
Hamid Enayat, politologue, spécialiste de l’Iran, collabore avec l’opposition démocratique iranienne (CNRI). Pour La Dépêche, il analyse les négociations entre l’Iran et les Etats-Unis autour de la question du nucléaire iranien.
Les négociations directes entre l’Iran et les États-Unis se sont déroulées le samedi 12 avril à huis clos, dans un cadre ultra-confidentiel à Oman, loin des caméras et de toute couverture médiatique. Pourtant, les médias officiels, et même certains proches du régime, continuent de prétendre qu’il ne s’agissait que de pourparlers indirects, limités à
Si Donald Trump n’avait pas révélé publiquement l’existence de ces négociations directes, il est probable que Téhéran aurait poursuivi sa stratégie de déni — d’autant plus qu’à peine un mois plus tôt, Ali Khamenei, Guide suprême du régime, avait solennellement déclaré que négocier avec les États-Unis n’était ni « sage », ni « rationnel », ni « honorable ».
La menace qui a forcé Khamenei à reculer
Selon des sources à Téhéran, c’est à l’occasion d’une réunion confidentielle que de hauts responsables — du Corps des Gardiens de la Révolution (CGRI), des services de renseignement, ainsi que des membres du gouvernement, dont le président du Parlement Massoud Pezeshkian — ont mis en garde Ali Khamenei.
Le message était sans ambiguïté : en cas d’attaque américaine contre les installations nucléaires iraniennes, suivie d’opérations ciblées similaires à celles menées par Israël contre le Hezbollah au Liban, c’est toute l’architecture du pouvoir iranien qui risquait de s’effondrer. Une telle déstabilisation ouvrirait inévitablement la voie à un soulèvement populaire massif, avec comme issue probable : la chute du régime.
Face à ce péril existentiel, Khamenei n’a eu d’autre choix que de reculer et d’accepter, à contrecœur, l’ouverture de négociations directes avec les États-Unis.
Ce qui distingue ces négociations de celles de 2015
La grande différence entre les négociations actuelles et celles qui ont abouti à l’accord de 2015 (JCPOA) réside dans un élément majeur : la pression militaire américaine, omniprésente bien qu’indirecte. Deux porte-avions, des bombardiers B-2 capables de transporter des bombes de pénétration de fort tonnage, ainsi qu’un dispositif militaire impressionnant, incarnent la « langue de la force » adoptée par l’administration Trump.
Cette présence militaire massive plane silencieusement au-dessus de la table des négociations.
Une fracture inédite au sommet du régime
L’autorisation donnée par Khamenei à ces discussions a suscité des divisions sans précédent au sein des plus hautes sphères du pouvoir iranien. Même au cœur du bureau du Guide suprême, des voix se sont élevées pour dénoncer une initiative jugée suicidaire : engager un dialogue avec les États-Unis, c’est prendre le risque de fissurer, voire de briser, le « noyau dur » du régime — celui qui repose sur le CGRI, les milices Bassidj et les multiples appareils sécuritaires du régime.
Mais à mesure que les discussions avançaient, et surtout après leur tenue, les critiques les plus virulentes se sont tues, conscientes de l’extrême gravité de la situation pour Khamenei.
Une stratégie de sécurité en ruine
Dans les années 1990, les stratèges du régime avaient bâti la doctrine de défense de la République islamique sur la création et le soutien de groupes armés dans toute la région. Ces « bras armés » devaient constituer un bouclier protecteur en cas d’agression.
Aujourd’hui, ces relais sont en grande partie neutralisés ou démantelés. Le régime iranien se retrouve désormais seul, face à un peuple qui :
- Vit, pour plus des deux tiers, sous le seuil de pauvreté, épuisé par une crise économique sans fin et une pénurie d’eau sans précédent ;
- A participé aux dernières élections présidentielles à hauteur de 8 % seulement, souvent contraint ou sous pression ;
- Assiste à l’émergence de milliers d’unités de résistance à travers tout le pays, dont les actions spectaculaires menées à l’occasion du Nouvel An persan ont profondément modifié le climat social en Iran.
Khamenei face à son propre « calice empoisonné »
Née de dogmes religieux moyenâgeux et étrangère aux valeurs universelles, la République islamique d’Iran a toujours maintenu son pouvoir sur deux piliers : l’exportation de la guerre au-delà de ses frontières et une répression féroce à l’intérieur.
C’est l’opposition iranienne, le Conseil National de la Résistance Iranienne (CNRI), qui, grâce à sa stratégie de paix avait forcé Khomeiny, le fondateur du régime, à mettre fin à la guerre Iran-Irak. Une guerre absurde qui a causé plus de deux millions de morts et de blessés et coûté un millier de milliards de dollars.
Khomeiny avait lui-même qualifié cette reddition de « boire le calice empoisonné ». Pour échapper au jugement de la société iranienne, il avait alors ordonné le massacre de 30 000 prisonniers politiques.
Aujourd’hui, Ali Khamenei se retrouve exactement dans la même situation. Mais, à la différence de Khomeiny, il est infiniment plus affaibli. Terrifié par la perspective d’une nouvelle révolte populaire, il n’est même plus capable d’imposer le port obligatoire du voile.
Face à lui : un peuple en colère et des unités de résistance capables, désormais, de briser l’appareil sécuritaire du régime.
Le noyau dur du régime au bord de l’effondrement
Un théoricien proche du régime a récemment admis que négocier avec les États-Unis, c’est prendre le risque de voir le noyau dur du régime se désintégrer.
Pendant plus de quarante ans, le slogan « Mort à l’Amérique » a servi de ciment idéologique et d’arme de répression. Mais aujourd’hui, c’est Ali Khamenei lui-même qui est contraint de l’abandonner.
D’où la volonté du régime de mener ces discussions dans le plus grand secret. Mais chaque pas de recul devient de plus en plus visible.
Et dans le contexte actuel, la levée partielle des sanctions, au lieu d’apaiser la société iranienne, risque bien d’attiser davantage encore la colère du peuple.
© Hamid Enayat
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