Etgar Keret : le récit doux amer d’un Israël contemporain 

Etgar Keret est un écrivain israélien, auteur de bande dessinée et réalisateur ©Getty

Écrivain mondialement reconnu, scénariste et réalisateur, Etgar Keret explore avec humour et nuance la vie en Israël, offrant un regard à la fois grave et léger sur les complexités de cette société singulière. Avec un ton léger, il aborde des sujets graves, les 33 nouvelles de Correction Automatique (L’Olivier) témoignant de cette prise décalée, mais juste, avec la réalité d’un monde absurde.

Un regard résolument humain sur notre monde

Etgar Keret écrit à la fois sur la société israélienne et sur la société contemporaine dans son ensemble. Ses nouvelles interrogent les bouleversements que la technologie a introduits dans nos vies. Dans Gondole, il met en scène une femme engagée dans une liaison avec un homme qu’elle croit marié, avant de découvrir qu’il ne l’est pas : « C’est l’histoire d’une femme qui a une aventure avec un homme marié. Elle découvre en fait qu’il n’est pas marié, mais qu’il raconte qu’il l’est parce qu’il a peur d’une relation durable. Elle arrive à un moment où elle doit choisir : se séparer du menteur ou s’en tenir à son amour et accepter cette situation. C’est un choix que nous faisons tous, probablement, dans notre vie : lutter pour la justice de la vie que l’on voudrait avoir, ou alors passer à autre chose, en se disant que ce qui se cache derrière les choses, c’est l’amour, l’intérêt pour l’autre. Ce n’est pas excellent, c’est comme les photos sur Instagram avec des filtres, mais il y a de l’humanité là-dedans, et on s’accroche à cette humanité ». 

Sans jamais tomber dans la caricature ou le discours moraliste sur les réseaux sociaux, Keret cherche à capter ce qui subsiste de vrai dans un monde saturé de faux-semblants. Ce qui l’intéresse, ce sont les constantes de l’expérience humaine – l’amour, l’attention, le lien – même dans un univers technologique parfois désespérant. Dans une autre nouvelle, il imagine un enfer où chaque mot ne peut être prononcé qu’une seule fois, une manière de souligner la force performative du langage : « Mais quand vous dites une fois « Bonjour Etgar Keret », vous avez vraiment mis l’intention. Donc, je pense que les mots sont chers, et chaque mot a un sens, une importance. Peut-être que dans un monde des réseaux sociaux dans lequel nous sommes condamnés à nous représenter à mort, si quelqu’un vous dit « je t’aime, je n’aime que toi » et « je ne peux pas le dire à quelqu’un d’autre », vous aimeriez que ce soit vrai ». 

L’inévitable 7 octobre

Pourtant, c’est précisément là que Écriture automatique se distingue du reste de l’œuvre d’Etgar Keret : la violence du 7 octobre 2023 en Israël a profondément bouleversé l’auteur. Il raconte combien le conflit l’a transformé : « Pendant la guerre, vous voulez aider tous ceux à qui vous pouvez apporter une aide. Vous vous retrouvez parfois dans une situation où une femme vous écrit sur Instagram qu’elle n’a pas parlé à son mari depuis trois mois. Il l’a appelée depuis la bande de Gaza, ils se sont disputés, et pendant la dispute, il lui a dit : « Tu veux me rendre heureux ? Écris une histoire sur un crocodile ! » Elle m’écrit sur Instagram : « Je suis sans mari depuis trois mois, je gère tout toute seule. Je ne sais pas écrire sur les crocodiles. Écris-moi, toi, Etgar, une histoire sur le crocodile. » Et on se retrouve dans une situation à écrire sur un crocodile. On n’écrit pas la meilleure histoire du monde, mais on écrit une histoire pour que quelqu’un qui est vraiment dans le besoin se sente un peu mieux. Dans ce livre, il y a beaucoup d’histoires dédiées à différentes personnes, parce que c’est un livre qui a été réellement entremêlé avec la vie. Ce sont des histoires que l’on écrit parfois quand on est assis à l’arrière d’une voiture, en rentrant d’un hôpital, ou après avoir rencontré quelqu’un. Il y a quelque chose dans cet écosystème qui vous envoie vers une vision différente, par exemple, moins bourgeoise ». 

Au-delà du choc émotionnel, la guerre a aussi profondément modifié sa manière d’écrire, voire la place même de l’écriture dans son existence : « Je pense que c’est un autre monde, plus naïf, plus innocent. Il y a quelque chose pendant toute cette période qui, même si ça tourne les tripes et brise le cœur, vous relie à la vie. Ça vous fait comprendre ce qui est important pour vous et ce qui l’est moins. Je sens que tout mon lien à l’écriture a changé. Je continue d’écrire, mais le rôle de l’écriture dans ma vie a changé ». 

Provenant du podcast « France Culture va plus loin » (l’Invité(e) des « Matins »)

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