Gérard Miller : comment et pourquoi personne n’a (presque) rien vu. Par Aurélie Raya

Les journalistes à l’origine des révélations publient leur enquête à propos du célèbre psy accusé de viols et d’agressions sexuelles par près de 30 femmes. Accablant.

Elles ont déconstruit le déconstruit. Alice Augustin et Cécile Ollivier avaient révélé l’an dernier dans le magazine Elle les turpitudes condamnables du célèbre psychanalyste Gérard Miller, accusé par plusieurs dizaines de femmes d’agressions sexuelles et de viols, des actes qu’il aurait commis, a minima, de 1988 à 2020. Ces deux journalistes sortent Anatomie d’une prédation*, résultat de mois de travail à rencontrer les victimes potentielles, à effectuer vérifications et recoupements. C’est accablant, à plus d’un titre.

L’homme aujourd’hui âgé de 75 ans usait visiblement d’une technique bien rodée pour piéger ses jeunes victimes, qu’il repérait en tout chemin, en tout lieu, pour peu que les proies aient l’air à peine majeures. Insatiable, aux aguets, baratineur, le médiatique psy faisait son marché, peu importe les aspirations des cibles. Le récit commence avec Aude, 17 ans, qui a trouvé cela incroyable de décrocher une interview de Miller pour le journal de son lycée. Suivent Mathilda, Vanessa, Anne, Jennifer, Delphine, Éva, Diane… 

De jeunes cibles même parmi son entourage

« Trois baby-sitters, trois anciennes petites amies de son beau-fils, une amie de sa nièce, une copine de la sœur de sa compagne et enfin Muriel Sachs, la fille de son collègue et ami, le metteur en scène Alain Sachs. Parmi elles, Narjess, un amour de vacances de son beau-fils, a déposé une plainte pour un viol qui aurait été commis lors d’une séance d’hypnose, au Club Med de Hammamet, en Tunisie, alors qu’elle était âgée de 15 ans », égrènent les deux reporters, qui ont dénombré 80 femmes dont les témoignages circonstanciés mettant en cause Gérard Miller. La moitié des actes auraient eu lieu entre 2000 et 2004, ils sont donc largement prescrits.

Le modus operandi du prédateur ? Engluer la « fille » de messages, de phrases doucereuses, dans un but précis : ramener celle-ci dans son hôtel particulier. À celles qui croyaient dîner au restaurant ou prendre un verre en journée, il disait qu’il devait passer chez lui nourrir ses chats, qu’il y aurait sa femme et sa fille, qu’il avait oublié un document important, ce petit détour était nécessaire…

Les voilà qui pénètrent l’antre du psychanalyste, une superbe maison emplie de boiseries proche de la place de Nation, qu’il prenait un plaisir évident, pervers dirions-nous maintenant, à faire visiter. Ensuite ? Pourquoi pas une séance d’hypnose dans « la salle japonaise » de la vaste demeure. De très nombreuses femmes relatent s’être retrouvées à demi nues, Gérard Miller au-dessus d’elles, le pantalon baissé, la main baladeuse. Les plus matures, comme la comédienne Marianne Denicourt, ont compris d’emblée que, lorsque quelqu’un vous susurre « ton corps est allongé sur le sable chaud, tu es nue et tu sens la chaleur du sol et du sable envahir ton corps », il fallait déguerpir. D’autres, souvent les plus fragiles, inexpérimentées, n’ont pas pu réchapper du piège.

Un comportement dénoncé à la faculté Paris-8

Au-delà de ces témoignages qui démontrent un comportement obsessionnel et un profond mépris à l’égard du sexe dit faible, l’intérêt de l’ouvrage réside dans la tentative de comprendre pourquoi et comment Gérard Miller a pu agir si longtemps. Les journalistes ont creusé chaque secteur d’activité du double personnage. Frère du gendre de Jacques Lacan, Miller a été un membre influent des cercles et réseaux psychanalystes. Il a enseigné la matière pendant des années à la faculté de Paris-8. Un professeur, de jeunes filles… Évidemment, l’endroit a constitué un vivier.

Une femme, Anne L, secrétaire du département de psychanalyse, a pointé en 2014 ses agissements et a provoqué une réunion avec les hautes instances de la faculté après avoir rapporté : « Selon ces dames, lors de cours sur la vie sexuelle chez Lacan, il a demandé à plusieurs jeunes femmes si elles avaient déjà pratiqué des fellations. […] J’ai aussi signalé à la direction qu’il ramenait souvent des étudiantes à la fin des cours. »

L’homme se serait aussi très largement payé des heures de cours non effectuées, il ponctionnait d’ailleurs chaque étudiant d’une somme en début de session. Miller ne sera jamais inquiété ni même interrogé, et c’est Anne L qui obtiendra sa mutation. Notoriété, pas de vagues, pas de plainte des élèves… On le sait dragueur lourd, mais comment imaginer qu’il soit si dangereux ?

Lorsqu’il devient une personnalité publique, à la télévision chez Drucker ou dans la bande de Laurent Ruquier, le raisonnement semble identique. Oui il drague les filles dans le public, oui les techniciens l’ont affublé d’un surnom en rapport avec cette pratique « lourdingue », mais personne n’a soupçonné quoi que ce soit. Drucker a refusé de s’exprimer et Ruquier s’exécute de façon laconique. La féministe Isabelle Alonso, moquée pour son aveuglement dans cette affaire, a consenti à recevoir les deux enquêtrices. Elle le jure, elle n’a constaté aucun comportement répréhensible de son désormais ancien ami. Cécité de l’époque, sans doute.

Omerta chez LFI

Les copains de La France Insoumise, si prompts à dénoncer les travers des uns des autres quand il s’agit d’adversaires politiques, n’ont rien à déclarer sur le sujet, ou si peu. Miller a été un très proche de Jean-Luc Mélenchon, avant de rompre avec lui en 2018 au sujet du Média. Il était un intime du couple Garrido-Corbière, qui refuse de se prononcer, Alexis Corbière évoquant sa « déception » sans un mot de compassion pour les victimes présumées. Manuel Bompard, Manon Aubry, tous essaient de détricoter les fils le rattachant à eux. Malaise. Omerta. 

C’est comme si tous ceux qui l’avaient connu, à différents moments et en divers milieux, avaient aperçu quelque chose qu’ils avaient aussitôt oublié. Pourquoi ? L’homme est connu, puissant, sympathique, les mécanismes habituels se mettent en place pour le dédouaner. Sauf que l’ouvrage assure qu’une plainte a été déposée contre lui par Vanessa en 2003 dans une gendarmerie des Yvelines, pour agression sexuelle. Et ? Rien. La plainte s’est évaporée. Pas de procédure, pas d’enquête, pas de problème. Finalement, ce qui a perdu Gérard Miller est ce par quoi il a brillé toute sa vie : sa parole.

Lorsqu’il apparaît sur un plateau de télévision, le 10 janvier 2024, pour se justifier du documentaire qu’il a réalisé en 2011 avec son ami Benoît Jacquot, dans lequel ce dernier se vante d’utiliser le cinéma comme une couverture pour séduire de jeunes filles, Miller n’y trouvant alors rien à redire, il s’excuse. Le voilà qui défend vigoureusement MeToo, « un mouvement formidable ».

« Ce soir-là, sans le savoir, Gérard Miller a commis la première erreur de jugement de son parcours, aveuglé par son ego et un sentiment d’impunité totale, l’intellectuel n’a pas mesuré la colère qui gronde chez les femmes. […] Quelques jours après l’émission, une première femme nous fait part de sa rencontre avec Gérard Miller quand elle avait 18 ans et d’une proposition d’hypnose », notent les autrices.

La chute s’enclenche. Une enquête de police est ouverte à la suite des articles ravageurs. À la fin de l’ouvrage, Gérard Miller nie toute malversation financière à Paris-8, mais se fait plus subtil concernant les accusations sérieuses, jouant sur les mots, attaquant les femmes sans les traiter de menteuses, expliquant n’avoir jamais forcé un rapport sexuel. Son avocate se nomme Louise Tort, ce qui, pour un psychanalyste lacanien, peut faire sourire, tout de même.

© Aurélie Raya

Source: Le Point

https://www.lepoint.fr/societe/affaire-gera

Anatomie d’une prédation, d’Alice Augustin et de Cécile Ollivier, éditions Robert Laffont.

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3 Comments

  1. Gérard Miller fréquente la FI, le parti des Nazis racistes et sexistes complices du Hamas (*). Donc rien d’étonnant à ce que soit un criminel sexuel : Ses actes sont en accord avec ses idées.

    (*) plus de 30% des électeurs

  2. Gerard Miller,ancien compagnon de route de LFI a connu une rupture significative avec ce mouvement notamment avec son leader Jean-Luc Mélenchon depuis l’été 2018;en résumé la relation entre G.Miller et le mouvement LFI est marqué par une rupture suite à des divergences politiques et des accusations graves qui ont mis à mal son image et celle du mouvement (qui n’est pas un parti), des féministes comme la députée Clémentine Autain ayant exigé son exclusion.

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