Annie Toledano Khachauda: « Le seder chez nos parents. Te souviens-tu? »

Lettre écrite il y a 15 ans à la façon de Perec

 
 
  Ma très chérie, Juste après Pourim, un mois tout juste c’est Pessah, te souviens-tu de cette période ?
La maison était sens dessus dessous, les meubles revernis, les matelas vidés de leur laine et  entreposés à la terrasse  pour être nettoyés, un artisan venait les carder pour leur donner une nouvelle vie.
 
 
 
Nos chambres devenaient inaccessibles car nos sommiers subissaient l’épreuve du feu. C’est qu’au-delà du Hametz qu’il fallait traquer, il fallait surtout du neuf, du beau pour Pessah. 
 
Je sais que chez toi rien de cela n’a changé, il y a toujours le soleil qui chauffe les matelas que tu ne manqueras pas de sortir dans le jardin, une chambre dont il faudrait refaire la peinture, des tapis qu’il faudrait changer afin que, le soir du seder,  flotte dans toute la maison l’odeur de la peinture fraîche, des meubles vernis et des fumets de la cuisine qui s’échappent à travers les couloirs. 
 
J’ai beau essayer de reproduire cette ambiance suspendue dans l’air, je n’y suis jamais parvenue !
 
Te souviens-tu du bouquet d’arums que papa achetait spécialement pour le centre de table, je les trouvais affreuses, pour moi un bouquet de toutes les couleurs devait éclater. Mon père aimait l’élégance et la sobriété, cette fleur en était le reflet. Depuis j’adore les arums, et je sais que ceux de ton jardin participent à cette nostalgie ! 
 
Après les préparatifs pour débarrasser la maison du hamets et faire briller tous les coins, même les plus lointains, passant de la cave au jardin il fallait s’occuper des conserves. Maman mettait un soin particulier à les fabriquer et à les ranger sur les étagères de la cave. Des citrons confits, des fonds d’artichauts, des olives fraîches rangées dans des jattes en terre qui baignaient dans un jus citronné.
 
Tous les soirs nous étions chargés de tourner le bâton planté dans la jatte pour les imprégnerer et les plonger dans le jus citronné. A maturité, elles avaient un goût inégalé.
 
Ne pas oublier les fruits secs, les amandes et les noix qu’il fallait décortiquer et torréfier.
 
Des sacs de riz à trier, des fèves sèches qu’il fallait laisser tremper, décortiquer et frire, des fraîches qui accompagnaient le plat par lequel nous débutions le repas : l’alose aux fèves et au citron confit. Une multitude de recettes exclusivement réservées à cette fête. 
 
La dernière semaine était réservée pour la confection  des galettes à l’orange.  A Meknes, les rabbins savaient que toute la communauté respectait scrupuleusement les interdits spécifiques de cette fête.  De la farine « cacher Le Pessah » était vendue  et distribuée dans le local des dirigeants de la communauté pour permettre de les confectionner.
 
Aucune goutte d’eau ne devait rentrer dans la composition de ces galettes hormis des oranges fraîchement pressées. Tout le matériel pour ces galettes et autres pâtisseries ne servait que pour cette semaine. J’ai toujours été étonnée de la quantité de vaisselle et d’ustensiles que ma mère possédait  pour 8 jours, bien plus importante que pour le reste de l’année.
 
Après la peinture dans nos chambres et la réfection de nos placards, la cuisine était refaite complètement du sol au plafond, les carreaux du parterre étaient enduits de chaux et laissés ainsi toute une journée à sécher. Le soir, il fallait les brosser vigoureusement provoquant  un épais nuage blanc et laissant un interstice éclatant de blancheur entre les carreaux.
 
Cette couleur ne durait que le temps de la fête, le passage régulier de la serpillière et nos chaussures sur le sol en  dissimulait  de nouveau la blancheur.  
 
A cette période les arbres étaient en fleurs et les orangers diffusaient leur parfum dans toute la ville.
 
Je sais que chez toi on retrouve tout cela, la confiture de pétales de fleurs d’orangers, l’agneau rôti, les pigeons farcis.
 
Le soir du seder toute la famille est réunie, ce sont des moments rares et précieux qu’il faut absolument préserver et continuer avec tes enfants au risque de donner un petit coup de canif à leurs cours, bah ! cela  se rattrape, mais ces réunions familiales pour les fêtes de Pessah sont nos remparts de bonheur, on peut s’y adosser en cas de malheur.
 
Ne fais surtout pas comme maman, elle se fatiguait tellement à tout embellir et à préparer des montagnes de gâteaux, quand  le soir du séder arrivait elle était exténuée.
 
Te souviens-tu ? Elle les enfermait à double tour dans les placards de notre chambre, « C’est pour les invités » disait-elle, nous dormions avec les effluves de mandarines confites, d’amandes pralinées et de cannelle saupoudrée.  
 
Mais maman était aussi bonne que ses gâteaux, et elle ne refusait jamais de nous en régaler.
 
La seule chose que je retrouve de maman chez nous toutes mais chez toi particulièrement c’est le  soucis du détail et ce raffinement qu ‘elle apportait à sa table du seder et dont nous avons toutes hérité. La nappe amidonnée, les verres marqués, chaque enfant avait son nom gravé sur son verre, c’étaient disions nous  nos « koussots », sans nous rendre compte que nous parlions hébreu sans le savoir comme monsieur Jourdain avec sa prose. Les coussins étaient rembourrés, c’est qu’il fallait trinquer tantôt droits tantôt accoudés.
 
Nous étions tellement fatiguées après les prières et le festin préparé que rares étaient celles qui continuaient jusqu’à HAFGADIA. Papa terminait seul où avec la plus courageuse d’entre nous ce chant du veau, du bâton, du feu, de l’eau, de l’ange, et enfin du chef d’orchestre, qui régit tout, ici-bas !
 
Auparavant il nous racontait pour la énième fois l’histoire de la sortie des juifs d’Egypte et la fin de l’asservissement et de l’esclavage, il nous la récitait  en Araméen, en Espagnol en arabe et nous reprenions en Français, il ne manquait jamais de nous dire invariablement, tous les ans, « Racontez le à vos enfants»  et nous, tous en chœur, et en anticipant « Et à vos petits-enfants »  car c’est la phrase qui suivait invariablement.
 
L’après midi qui précédait le seder, mon père nous imposait une sieste prolongée, elle nous permettait de rester éveillées et de ne rien manquer de la soirée.
 
Que de ruses nous avons déployées pour échapper à l’endormissement imposé !
 
Le soir, la plus jeune d’entre nous chantait MANICHTANA de sa plus haute voix, et nous répondions toutes et tous en chœur.
 
La Haggadah se terminait par la phrase que nous répétions à l’unisson « Lechana havaa  vééretz Israël »
 
Le Seder quant à lui, se clôturait avec le chant de papa à la gloire de l’Espagne précédant l’inquisition, aux douceurs de l’Andalousie et à cette « Spania » à jamais perdue.  
 
C’était un moment solennel et il se répétait ainsi au cours des générations.
 
Il ne faut jamais désespérer car depuis, notre cousin, Rabbi Gabriel Toledano a reçu du roi Juan Carlos les clefs de la ville de Tolède édifiant un pont à l’expulsion et à l’exil de plus de cinq siècles.
 
Ce chant nous l’avons entendu avec bonheur et étonnement à l’issue des 7 bénédictions du mariage de ta fille Vania que j’aime autant que je t’aime.
 
La famille de Didier ayant émigré en Argentine perpétue la tradition.
 
Quelle leçon de vie ! 500 années et la mémoire inaltérée ! Et qu’elle gifle à tous les révisionnistes qui veulent tout nier après seulement 60 années !
 
Puissions-nous transmettre à nos enfants toutes ces belles traditions qui ont fait de nous les hommes et les femmes que nous sommes devenus ! Je t’avoue, j’en doute car cela se dilue dans l’intégration obligée.
 
Je vous souhaite à tous de très belles fêtes !
 
Je vous embrasse comme je vous aime,

© Tanie

Merci à Annie Toledano Khachauda

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3 Comments

  1. Merci pour cette magnifique lettre qui nous met l’eau à la bouche , non seulement pour les mets préparés avec tant de soin, mais aussi pour ce climat d’amour , d’ordre , de propreté intense marquée par un grand respect , de beauté, de fidélité, d’unité familiale ……Ca fait rêver ! une non-juive qui vous souhaite à chacun : Hag Pessah Sameah !

  2. Annie, c’est trop beau ces traditions, la perfection ,nos familles qui restent dans nos coeurs le mal que se donnait notre maman pour nous faire plaisir. Je n’ai jamais été aussi perfectionniste mais je me débrouille.

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