La nature regorge de fleurs, les champs embaument, on dirait que le parfum « fleurs d’orangers » de Fragonard a été vaporisé dans tout le pays. Nissan – le premier mois de l’année ecclésiastique Juive – annonce le printemps. Et Pessah’. La fameuse fête. Celle de la fin de l’esclavage, de la traversée du désert, de la LIBERTÉ (pour la fraternité et l’égalité, on verra plus tard. On ne peut pas tout faire à la fois). Dans sa grande mansuétude votre serviteur (serviteuse ?) vous livre le « kit de la liberté ». Gratuit.
1. Du rangement . On ne peut pas être libre quand il y a des toiles d’araignées au plafond, de la poussière sous le tapis, des miettes du passé. Quand votre maman vous disait « Range ta chambre « , elle savait de quoi elle parlait.
2. Sortir de votre zone de confort. Vous aimez le bon pain chaud ? la pâte dorée solaire de la brioche ? la magie du temps matérialisé dans le levain et la fermentation, sous le beurre et la confiture ? Vous oubliez, pendant une semaine. 8 jours où ça ne gonfle plus. Ne flatte plus. Ne « h’amets » plus. Une semaine où ça craque. C’est plat. Ça ne se digère pas. Ca ne rassasie pas. Le dépouillement total. J’ai nommé « la matsa ». On n’a pas le temps de pétrir. Vous voulez être libre, oui ou non ? Alors ça passe par le pain azyme et la constipation.
3. Un évènement (si vous n’avez pas la chance d’habiter en Israël , DEUX évènements) que je décrirai comme une mise en scène, un rituel de transmission, un festin (si vous êtes ashkénaze, ce serait plutôt les 10 nuances de gris – du gefilte fish aux keaidlach en passant par les soupirs de la grand-mère ). Je veux parler du SEDER (« Ordre » en hébreu) où l’on se raconte une histoire, on chante, on s’engueule, on se passe la salade – Tu me donneras la recette ? – on travaille sur « la gratification modérée » ( en termes simples : attendre avant de se précipiter. En termes de pessah : passer trois heures à écouter Tonton Prospère nous lire la Agada, en araméen, alors que les odeurs délicieuses des boulettes de Tata Fortunée transpercent nos pensées). Vous voulez être LIBRES, oui ou non ? On n’a jamais dit que c’était facile ! Je précise : pas de liberté dans la solitude ou le silence. Faut que ça piaille, que ça crie, que ça chante, qu’on soit serrés à table – Momo, va chercher 4 chaises pliables. Sur le balcon, derrière les valises. Voilà, chers amis, le kit qui fera de vous un être libre. Ou pas. Personne ne sait si ça marche mais on tente. De génération en génération.
On sort d’Egypte. Cette année, c’est très difficile. Je me pose beaucoup de questions. Comment célébrer Pessah’ alors que nos frères sont encore prisonniers à Gaza ? Peut-on être libre dans un pays en guerre ? Un pays où règne le culte de la personnalité du dirigeant ? Ce kit suffit-il ou bien faut-il manifester ? Se battre pour préserver la démocratie ? Qu’est-ce que la liberté ?
Joyeux Pessah’ à tous
© Rachel Darmon
Née à Paris, Rachel Darmon vit en Israël depuis plus de 30 ans. Professeur de français, éducatrice, guide touristique, elle a toujours écrit. Lauréate du « Prix des arts et des lettres » pour sa nouvelle « Le mur du bruit », elle a publié deux romans chez Folies d’encre : « Le gâteau de Varsovie » et « Tâter le diable ».
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