Daniel Sarfati. « Boycott Israël. Pas de génériques Téva »

À mon âge, j’en suis à voir des adultes que j’ai connu enfants, des enfants d’enfants que j’ai jadis, opérés. 

C’est à cela que je mesure le temps qui passe. 

Cette petite femme, je la connais depuis l’enfance. 

Une surdité génétique, syndromique. 

Elle n’a pas grandi à l’âge adulte, ne perçoit que quelques mots malgré ses appareils auditifs et ses yeux sont animés d’un mouvement rotatoire incessant, un nystagmus congénital. 

Son visage offre peu d’expressions. 

Elle n’a pas eu beaucoup de chance dans la vie.

Elle est venue chercher son dossier médical. 

J’ai cru qu’elle était mécontente après toutes ses années et qu’elle voulait changer d’ORL. 

Non. 

Elle a rencontré un garçon, et elle va aller vivre avec lui, dans une grande maison avec plein d’animaux, à la campagne. 

C’est ce qu’elle me raconte dans une lettre où elle a tracé quelques mots d’une écriture malhabile, et qu’elle m’a tendu. 

« Je suis content pour toi. Tu dois être heureuse ».

J’ai enlevé mon masque et j’ai bien articulé pour qu’elle voit mes lèvres bouger. 

Son visage est inexpressif, ses yeux n’arrêtent pas de tournebouler. 

Soudain, je vois des larmes. 

Je ne l’avais jamais vu pleurer. 

Elle tapote son menton de ses 2 doigts.

Elle signe : « Merci ».

Moi aussi, je te remercie E.

Je te souhaite une belle vie.

Cette autre jeune femme, que je connais également depuis l’enfance. 

Une surdité profonde, non syndromique. 

Elle est maintenant voilée. 

Son beau visage est encadré par des voiles bleus et gris, très subtilement repliés. 

Elle a une hémorragie nasale et est venue en urgence. 

Elle s’est spontanément dévoilée pour que je puisse la mécher. 

Tout va bien, le saignement s’est arrêté. 

Elle est juste un peu pâle. 

Elle signe : « Merci », en tapotant son menton de ses deux doigts. 

Puis me tend sa carte vitale, sur laquelle est collé un sticker :

« Boycott Israël. Pas de génériques Téva ».

J’éprouve soudain une grande lassitude. 

Je me désigne, puis je signe en passant deux doigts crochus sous le nez. 

En langage des signes, ça veut dire : « Je suis juif ». 

Elle a de nouveau, bien ordonné son voile, mais ne me regarde pas en face. 

Mon vocabulaire en langue des signes n’est pas assez riche pour lui exprimer ce que je ressens.

© Daniel Sarfati

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