« Indignation ». Par Claude Meillet

Il s’apprêtait, enfin, à s’immerger dans la relecture d’un roman d’un de ses écrivains favoris. Soudainement, comme sortie de l’air ambiant, elle jeta sur son bouquin ouvert sur ses genoux, cette couverture d’un magazine hebdomadaire. Avec l’injonction inévitable, Regarde !! Injonction inutile d’ailleurs, car il ne pouvait  pas ne pas fixer ses yeux sur cette galerie de visages d’enfants tués à Gaza. Injonction, il le comprenait, qui explicitait l’indignation de sa jeune nièce  venue lui rendre visite. Et, il le comprit tout de suite, injonction qui envoyait au pays des rêves inaccomplis cette ex future heure bénie de lecture.

Il se rendit compte aussi, immédiatement, qu’il ne s’en tirerai pas en évoquant le  ‘’Oh Barbara, quelle connerie, la guerre !’’ qui faisait partie de ses filtres habituels d’appréciation. Parce qu’à l’évidence, ça ne ferait pas le poids. Parce qu’il  lui fallait aussi, à lui, pénétrer dans les arcanes de cette tragédie. Il recommanda donc à sa nièce de s’assoir en face. D’inspirer fortement. D’expirer très lentement. Histoire de lui laisser le temps de tenter une exploration très aléatoire et très risquée de la situation. Histoire d’appliquer un mode nécessaire de raison dans un temps d’émotion légitime.

Jonathan admira alors intérieurement cette jeune indignée obéissante.

On ne peut pas réagir à cette horrible réalité, incontournable, sans se reporter à cette autre épouvantable réalité, le massacre du 7 octobre. La longue liste, encore non établie, des enfants morts pendant la guerre de Gaza, ne peut en aucun cas être liée et encore moins excusée, par cette si affreuse expression des ‘’dommages collatéraux’’. Mais elle se relie, qu’on le veuille ou non, par voie de cause à effet, à l’enchainement fatal qui a suivi le pogrom du 7/10. Images insoutenables des exactions prises par les exécutants eux-mêmes, capture violente des otages, bombardements et destructions, déplacement de centaines de milliers d’habitants des zones frontières, mobilisation massive, pertes quotidiennes de soldats, la plupart jeunes, rythmique générale des alertes, des attentats terroristes, jeu morbide du Hamas dans les négociations et les libérations au compte-gouttes, blessés, hôpitaux, angoisses. Pour être clair, la cause n’est pas la volonté de vengeance. Il s’agit de vie ou de mort . Par confrontation directe avec un environnement de groupes voués à l’élimination de l’Etat d’Israël, de sa population juive. Par affrontement d’un Etat commanditaire, l’Iran.

On ne peut pas, non plus, détacher ces visages d’enfants tués à la guerre, de toutes les scories que charrie la démocratie israélienne depuis plus d’une décennie. Les errements de la vie politique du pays ont peu à peu amenés à une situation de fracture entre camps, d’effilochage de l’unité nationale. D’entrée par effraction de la dimension religieuse dans le champ publique jusqu’à une quasi prise de pouvoir exécutif et législatif.  Avec pour conséquence, le manque de vigilance politique, sécuritaire et militaire qui a conduit au désastre du 7/10. Avec, pour reprendre malgré tout une de mes citations guides, ‘’la guerre étant une chose trop sérieuse pour être laissée aux militaires’’, la bride laissée  lâche aux responsables militaires israéliens,  sans réel cap, face à des objectifs contradictoires. Avec une indifférence majoritaire face aux dévoiements sécuritaires, administratifs, juridiques, moraux, des colons extrémistes et  de l’armée dans une partie des territoires de Cisjordanie.

Je veux bien retenir ma respiration, tout ça constitue une explication mais, en aucun cas, une justification.

Jonathan accusa silencieusement le coup. Il n’y a pas de justification à la mort d’enfants.

Puis il reprit lentement son exploration. Tentant de tracer  le contexte, les contours  des évènements conduisant à cette couverture de magazine.

D’un côté, du côté israélien, il y a, malheureusement, la dimension politique. Malheureusement car il s’agit, paradoxalement, du domaine le moins rationnel. Loin de la prise en compte, factuelle, logique, morale, d’éléments majeurs de la vie de la collectivité, économie, finance, habitat, santé, transport, éducation et science. Le pays est livré aux luttes stériles d’écuries politiques, à une vision aveuglément électoraliste, à la préservation d’avantages et de sécurité personnelle. Le bien public est relégué au second rang par l’effet du règne de la majorité, pour la conservation du pouvoir, la recherche de subordination du juridique à l’exécutif, le refus de responsabilité, l’accroissement des inégalités, la prédominance laissée au religieux.

Du côté des ennemis directs d’Israël, les velléités guerrières du Hezbollah, la persistance des attaques Houthis, le continuum des menaces, condamnations de l’Iran, les rodomontades erratiques du leader turque, constituent une toile de fond d’un danger existentiel latent. Accompagné d’une manière plus lointaine mais très intériorisé par la montée apparemment irrésistible d’un antisémitisme général, débridé, affiché. Qui fait apparaître le ‘’plus jamais ça’’ d’après Shoah, comme un vestige d’une conscience morale  évanescente. Et le Hamas. Mouvement islamiste extrémiste, héritier des errances archaïques mais puissantes de Daesh, des Frères Musulmans. Fort d’une structure souterraine en partie préservée, d’une emprise tyrannique sur une population civile manipulée, endoctrinée, maintenue en état de forte pauvreté.

Alors ? questionna la jeune nièce, moins vindicative, mais toujours en état de choc.

Alors, s’efforça de défendre Jonathan, ne pas se jeter la mort d’enfants à la figure. Considérer chaque visage perdu comme une perte irréparable. Israélienne comme Palestinienne. De tout enfant bien sûr. De tout humain. Ne pas laisser la considération morale citoyenne, juive, israélienne, devenir sélective sur elle-même. Ne pas la laisser s’effriter, ultimement disparaître sous l’effet  du trop de malheur, de la défense de soi. Plutôt prolonger la formidable, l’admirable forme de sursaut qui a soulevé la société israélienne toute entière le 8 octobre. Et qui se perpétue envers et contre tout.

Il bouscula énergiquement la chevelure blonde de la tête de sa nièce qui se posa sur son épaule.

© Claude Meillet

2 avril 2025

« Israélitude: Une découverte identitaire » de Claude Meillet
Arrivé à Tel Aviv, l’auteur a décidé d’appliquer à Israël la méthodologie professionnelle développée, avec un but opérationnel, pour l’étude de l’identité des entreprises. Cette étude, terminée fin 2012, sert de base à « Israélitude ».

Le héros, Jonathan (déjà présent dans la pièce de théâtre « Schlemil » du même auteur), en même temps qu’il conduit cette quête identitaire quasi policière, fait découvrir au lecteur un panorama de personnages, tous passionnants, et d’écrivains, tous fascinés par le destin du peuple juif et l’aventure israélienne.

Au bout de sa recherche, Jonathan découvre lui, un pays dont l’identité réelle se révèle l’inverse de son image externe, découvre Israël,  » Force de vie « .

Il rejoint la déclaration du président Shimon Peres,  » We are a nation with a life wish « .

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