
« En Israël il n’y a que trois saisons, l’été, l’hiver et la guerre ». Hanoch Levin. L’été n’est pas arrivé, l’hiver a disparu, la guerre est toujours là.
Certains sont encore en bottes, d’autres déjà en scandales. Comment s’habiller ? C’est la réflexion que je me fais – dans le train – en observant des jeunes filles en short à côté d’un jeune homme au pull à capuche. Les transports en commun sont un bon moyen de découvrir un pays. Un touriste Norvégien entendrait parler hébreu, arabe, yiddish, russe, français, anglais. Il verrait une multitude de vêtements, « identitaires », traditionnels, à la mode, déjantés. Mais que ferait un touriste Norvégien dans ce train qui me mène à Jérusalem? Je pense à tout cela quand mon voisin de siège me secoue. Sa voix métallique de robot me transperce le tympan. « Encore lui ? C’est du harcèlement ! ». Il reprend sa discussion exactement là où il l’avait laissé la semaine dernière.
– Comme je te le disais, j’ai rencontré votre fameux « créateur du monde ».
– Tu as prié ? Jeûné ? Ingurgité des substances interdites ? Eu un orgasme intense ? Mangé du chocolat de la boutique de Tivon ? Comment as- tu fait ?
– Je lui ai envoyé un mail et on a pris rendez-vous. En fait, ton créateur est une créatrice : caractéristiques féminins, chromosome XX, œstrogènes et progestérones, …
– Je m’en doutais. Raconte, cher Alien, ça m’intéresse.
– Je résumerai en deux mots : énorme malentendu. Elle a évoqué « une erreur de jeunesse ». Un devoir d’école ou bien un pari stupide alors qu’elle était saoule. Je ne suis pas certain. J’avais des problèmes avec mon interprète. Une chose est sûre : elle vous trouve insignifiants et regrette de vous avoir créés. Elle vous trouve pathétiques, nuls. Comiques. Entre nous ? Elle n’est pas très sympa. Elle abhorre tout ce qui est – soi-disant – accompli en son nom. Le bien comme le mal. Je dirais que, pour elle, vous avez la même importance qu’a pour vous une puce sur le testicule droit d’un chien errant.
Je regarde autour de moi, inquiète. Le jeune Juif religieux orthodoxe qui hurle sur son portable, en yiddish, le vieux Musulman barbu avec son chapelet de perles, la bonne sœur, le nez dans son missel . Si, je vous assure, on est tous dans le même wagon. Heureusement, personne ne prête attention aux dires de mon extra-terrestre.
En l’écoutant, pour quelques instants, je ne pense plus au ministre de l’Éducation qui refuse de donner le Prix d’Israël à Eva Illouz, à notre Souverain Suprême au pouvoir depuis presque deux décennies qui enfreint la décision de la Cour Suprême et nomme un nouveau chef du Shin Beit, puis change d’avis, au « Qatargate », à la future destitution de la Procureure générale. Aux 59 Israéliens prisonniers en enfer.
A la troisième saison, qui n’en finit pas.
© Rachel Darmon

Née à Paris, Rachel Darmon vit en Israël depuis plus de 30 ans. Professeur de français, éducatrice, guide touristique, elle a toujours écrit. Lauréate du « Prix des arts et des lettres » pour sa nouvelle « Le mur du bruit », elle a publié deux romans chez Folies d’encre : « Le gâteau de Varsovie » et « Tâter le diable ».
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