
Les autorités belges et le monde politique ont instruit un procès Dreyfus contre l’État d’Israël. Un procès qui dépasse de loin les frontières belges. Une opinion de Joël Rubinfeld, président de la Ligue belge contre l’antisémitisme.
Gand est la troisième plus grande ville de Belgique, derrière Bruxelles et Anvers. La métropole flamande est également l’un des bastions de l’antisionisme du pays, comme en témoignent le boycott académique d’Israël adopté par l’Université de Gand en mai 2024 et le boycott sportif de l’équipe israélienne au Championnat d’Europe Ultimate Frisbee des moins de 17 ans, organisé à Gand l’été dernier.
La semaine dernière, le tribunal correctionnel de Gand a franchi un cap supplémentaire dans l’infamie en acquittant le chroniqueur Herman Brusselmans qui, le 24 août 2024, a publié un brûlot antisémite dans l’hebdomadaire flamand « Humo », commentant en ces termes les images des victimes gazaouies de la guerre déclenchée par le Hamas le 7 octobre 2023 : « Je suis tellement en colère que j’ai envie d’enfoncer un couteau pointu dans la gorge de chaque Juif que je rencontre ».
Ce verdict fera date dans l’histoire judiciaire belge et aura de lourdes implications pour l’avenir des 30.000 Juifs que compte la Belgique. Comment pourrait-il en être autrement lorsqu’un tribunal légitime l’incitation au meurtre des Juifs dans l’un des principaux magazines du pays?
Il y a des précédents
La justice belge n’en est, hélas!, pas à son coup d’essai. Un autre exemple édifiant est le classement sans suite, par le parquet de Liège, d’une affaire impliquant un cafetier belgo-turc qui avait placardé sur la vitrine de son établissement: “Ici les chiens sont autorisés mais les Juifs en aucun cas!”.
En Belgique, comme pour d’autres démocraties européennes, la résurgence de l’antisémitisme remonte à la fin de l’année 2000, dans la foulée de la deuxième intifada. Cet antisémitisme a toutefois changé de nature après le 7 octobre, évoluant vers un antisémitisme d’État, lequel sera accompagné par une véritable flambée des chiffres: dans les 3 mois suivant le 7 octobre, les actes antisémites recensés ont augmenté de 1.000% en Belgique, pays hôte des institutions européennes et de l’OTAN.
Le monde politique a alimenté la montée de l’antisémitisme
Plutôt que d’endiguer cette déferlante d’antisémitisme sans précédent depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, nombre de politiques et de mainstream media l’ont alimentée.
Par électoralisme, couardise ou antisémitisme refoulé, la plupart des formations politiques se sont alignées sur le narratif du Hamas concernant les pogroms du 7 octobre et la guerre qui a suivi. Quasi instantanément à gauche et à l’extrême gauche, progressivement pour d’autres au centre droit de l’échiquier politique.
Cela inclut Alexander De Croo, qui occupait encore le poste de Premier ministre le mois dernier et qui, en novembre 2023, s’est rendu en visite officielle en Israël, d’où il est revenu avec un incident diplomatique: aux côtés du Premier ministre espagnol Pedro Sánchez, De Croo a tenu une conférence de presse hors-sol au poste-frontière de Rafah, en Égypte, le jour-même de la libération des premiers otages israéliens. Ni la Belgique ni l’Espagne n’avaient participé aux négociations pour la libération des otages, mais les deux dirigeants européens ont saisi l’occasion pour attaquer Israël, suggérant que l’État juif violait le droit international.
Sans surprise, le Hamas a salué « les positions claires et audacieuses » du Premier ministre belge.
Un antisémitisme qui ne se cache plus, dans certains partis
Il en va de même pour la présidente du Parlement d’alors, Éliane Tillieux, et l’ex-ministre de l’Environnement Zakia Khattabi qui, dans les jours qui suivirent les massacres du 7 octobre, ont refusé de qualifier le Hamas d’organisation terroriste; la vice-Première ministre Petra De Sutter, qui voulait poursuivre l’État d’Israël devant la Cour internationale de justice pour “génocide”; la ministre de la Coopération au développement Caroline Gennez, qui a assimilé l’État d’Israël au IIIe Reich; et la ministre de la Culture Bénédicte Linard, qui a appelé à l’exclusion d’Israël du Concours Eurovision de la chanson.
Tout comme les présidents du parti socialiste, Paul Magnette, du parti écologiste, Rajae Maouane — celle-là même qui en 2021 a posté une story sur Instagram contenant une chanson appelant le peuple arabe à prendre les armes contre les “fils de Sion” — et du parti communiste, Raoul Hedebouw, qui ont défilé sans vergogne lors de manifestations propalestiniennes d’où fusaient des appels rageurs à l’intifada et le slogan de la Solution finale 2.0 “From the river to the sea, Palestine will be free!”
Un mince espoir réside dans le fait que, le mois dernier, la Belgique s’est dotée d’une nouvelle coalition gouvernementale, basculant du centre-gauche au centre-droit — un changement qui, à défaut d’apporter une solution aux défis existentiels auxquels sont confrontés les Belges juifs, devrait au moins leur offrir quelques années de répit.
La responsabilité des médias
Les médias portent également leur part de responsabilité dans la situation actuelle. Quelques exemples.
Dans la soirée du 7 octobre 2023, alors que les pogroms étaient encore en cours dans le sud d’Israël, la chaîne publique belge RTBF reçoit sur son plateau François Dubuisson, un professeur de droit international de l’Université libre de Bruxelles, pour “tenter de bien comprendre ce qui se passe là-bas”. Pendant trois longues minutes, Dubuisson s’emploiera à légitimer le massacre perpétré par les terroristes et les civils palestiniens, invoquant le “contexte” et le “droit international”, et n’aura pas un traître mot de condamnation à l’encontre de ceux qui venaient de se livrer au plus grand massacre de Juifs depuis la Shoah.
Le 13 octobre 2023, le quotidien francophone Le Soir ouvre ses colonnes à Marianne Blume, une ancienne enseignante à Gaza qui, quelques jours plus tôt, exultait devant les images insoutenables diffusées par les terroristes palestiniens et les prises d’otages: “Je ne peux m’empêcher de jubiler”, écrit-elle sur Facebook le 7 octobre.
La chronique antisémite d’Herman Brusselmans — qui veut “enfoncer un couteau pointu dans la gorge de chaque Juif qu’[il] rencontre” — en est un autre exemple, à l’instar d’une autre de ses chroniques publiée le 13 décembre 2023 dans Humo, titrée “Israël utilise les mêmes méthodes pour détruire une race entière que les Allemands” et débutant par ces mots monstrueux: “Il n’est pas inconcevable que quelqu’un, n’importe qui, devienne antisémite contre sa nature.”
Une insécurité grandissante pour les Juifs
À ce sombre tableau s’ajoutent les murs de la capitale de l’Europe souillés par des tags antisémites, des drapeaux palestiniens, des croix gammées, des étoiles de David et des “Free Palestine” ou “Israël apartheid”; les occupations sauvages de campus universitaires; les manifestations propalestiniennes quotidiennes, l’activisme de nombreuses ONG, politiciens, universitaires et journalistes, ainsi que les agissements d’organisations extrémistes parmi lesquelles le mouvement antisémite BDS.
Ce à quoi nous assistons depuis le 7 octobre n’est rien de moins qu’un procès Dreyfus à l’échelle planétaire, où les procureurs ont remplacé le capitaine juif par l’État juif, instruisent exclusivement à charge et condamnent collectivement les Juifs à l’opprobre public. Dans ce tribunal fantoche, on distingue deux types de “juges”: l’antisémite qui, comme l’a formulé le philosophe Vladimir Jankélévitch, voit dans l’antisionisme “la possibilité d’être antisémite tout en étant démocrate”, et le lâche qui, selon les mots de Winston Churchill, “nourrit un crocodile en espérant qu’il sera le dernier à être mangé”.
Quelles que soient leurs motivations, ces apprentis sorciers apprendront un jour à leurs dépens la métaphore du canari (juif) dans la mine (belge). Car l’histoire nous l’a enseigné: les antisémites commencent toujours par les Juifs, mais ne s’en tiennent jamais là. Dit autrement, les Juifs sont l’entrée, les autres le plat principal.
Nous l’avons vu avec l’attentat terroriste islamiste qui a frappé le Musée juif de Bruxelles en mai 2014, suivi des attentats à Brussels Airport et dans une station de métro en mars 2016.
Le même schéma s’est répété en France, où les terroristes ont d’abord ciblé des soldats et une école juive à Toulouse en 2012, puis des journalistes, des policiers et un supermarché casher à Paris en janvier 2015, avant, dix mois plus tard, de retourner leurs armes contre des jeunes attablés aux terrasses et d’autres venus assister à un concert au Bataclan et, le 14 juillet 2016, contre la foule venue célébrer la Fête nationale sur la Promenade des Anglais à Nice.
Les politiques belges qui ont sacrifié leurs concitoyens juifs sur l’autel de l’électoralisme n’ont pas tiré les leçons de l’histoire. À défaut d’apprendre du passé pour éviter de reproduire les tragiques erreurs de leurs prédécesseurs, ils pourraient au moins lire la fable du Scorpion et de la Grenouille pour, peut-être, réaliser que ceux dont ils se font aujourd’hui les porte-voix se retourneront demain contre eux. Telle est l’implacable mécanique de l’Histoire.
© Joël Rubinfeld
Joël Rubinfeld est Président de la Ligue belge contre l’antisémitisme
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Ce texte initialement publié le 17 mars 2025 dans l’hebdomadaire britannique « The Jewish Chronicle » (https://www.thejc.com/opinion/belgium-is-at-the-centre-of-the-global-dreyfus-trial-k3g8k4wk) est publié ce 19 mars dans les pages « Opinions » du média belge « 21News
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