« Voyage en Belgiquiqstan ». Par Nadjet Cherigui et Judith Waintraub

In « Le Figaro »: Salma, une Française de 22 ans, qui vit en Belgique, a choisi de porter le niqab après sa conversion à l’islam. Yves Herman / REUTERS

La coalition dirigée par le conservateur flamand Bart de Wever, nommé premier ministre en janvier, a promis de changer la donne mais la société belge, coincée entre la pression woke et l’islamisme, semble toujours tétanisée face à cette idéologie qui avance en fissurant le principe de neutralité, censé garantir la cohésion du pays.

En ce vendredi matin, près de la Gare du Nord, érigée au milieu de la commune de Schaerbeek, au cœur de la capitale belge, deux artères parallèles se toisent en abritant deux univers, tout aussi parallèles. Le contraste est d’abord saisissant, puis déroutant. Les deux mondes se font face, mais ils s’ignorent. Malgré la proximité, ils sont aux antipodes l’un de l’autre. La rue d’Aerschot déploie son théâtre d’ombres et de néons. Ici, les corps des prostituées s’exposent derrière des vitrines comme autant de marchandises offertes aux regards avides des passants. La nuit ne tombe jamais vraiment sur le « quartier rouge » de la capitale belge. Elle se consume sous le ballet mécanique des désirs tarifés. À quelques mètres à peine, séparée par un souffle et un monde d’écart, la rue de Brabant affiche une tout autre ambiance, où le « sacré » est omniprésent. Là, une enfilade de vitrines et d’échoppes faisant commerce d’un autre genre. Les horloges y scandent, avec une précision helvétique, l’appel à la prière. C’est ce qui rythme le temps. Les tapis, empilés comme des sentinelles du rite, attendent d’être déroulés en direction de La Mecque. Derrière les vitrines, livres coraniques et autres ouvrages religieux sont à disposition. Et, suspendues sur des cintres, des étoffes austères, déclinées jusqu’aux tailles enfantines, préparent les petites filles à disparaître sous le voile d’une « pudeur » imposée, avant même que leur corps ait eu le temps d’atteindre la puberté.

“ÉCONOMIE ISLAMIQUE”

Une réalité à laquelle Fadila Maaroufi refuse de s’habituer. Pour cette ancienne travailleuse sociale, fervent défenseur des valeurs de neutralité qui prévalent au sein du royaume belge, la Belgique n’est certainement pas cette bigoterie vulgairement exposée. Lauréate 2024 du prix de la Laïcité remis à Paris par le Comité Laïcité République (CLR), son engagement et ses prises de position sans concession pour dénoncer l’emprise islamiste dans son pays lui valent d’être taxée par certains de ses concitoyens de racisme et d’ »islamophobie ». Toujours ce fameux mot-valise qui permet de pointer le doigt indistinctement, pour mieux entretenir la confusion, aussi bien en direction de ceux qui dessinent le Prophète au nom de la liberté d’expression que des militants de l’extrême droite, des défenseurs de la laïcité et des pourfendeurs de l’islam politique. « Il y a quelque chose de schizophrène dans ce quartier en particulier, confie-t-elle. D’un côté, l’exploitation d’êtres humains et de sexe à outrance et de l’autre les tabous et le fanatisme religieux. Les deux s’expriment avec violences dans des lieux délabrés et sales ».  

La capitale del’Europe change à vue d’œil. Depuis plusieurs années. Il n’y a qu’à ouvrir les yeux et se promener dans les rues de Bruxelles pour voir que le communautarisme et l’islamisme, tous deux ostentatoires, grignotent toujours plus l’espace. Dans certains lieux, seule « l’économie islamique » est visible. Tout est « halalisé ». Des salons de coiffure non mixtes jusqu’aux gargotes, en passant par les magasins de vêtements. Une mono économie au service non pas des musulmans, mais des islamistes. Dans les allées d’une de ces boutiques, une jeune femme feuillette un livre couleur rose bonbon dont le personnage principal, une petite fille de 4 ans, sans visage, habitant en France et prénommée Hidaya (qui veut dire conseil religieux) raconte comment et pourquoi elle porte le jilbab et se couvre les cheveux comme sa mère. Dès la première page, l’auteur écrit : « J’ai une idée ! Et si tu portais le hijab pendant qu’on te lit ce livre. Peut-être que ta maman ou ton papa peut t’aider à le mettre ». « Est-ce que c’est le genre de chose que l’on doit enseigner en priorité à des enfants ? interroge la militante laïque. Le religieux s’impose dans les espaces publics et dans les esprits. On remarque que les filles sont voilées de plus en plus jeunes. Les commerces sont communautaires. Le problème, c’est le manque de diversité. Les autorités devraient faire en sorte de préserver un équilibre, mais ce n’est pas le cas. La religion avance toujours un peu plus et les Belges, de peur d’être accusés d’islamophobie, se taisent et préfèrent regarder ailleurs ».

LOGIQUE CLIENTÉLISTE
Peter est Belge. Fier de l’être, il porte son accent du cru, son humour caustique et l’autodérision comme un étendard. Ancien éducateur, son sourire pourtant s’efface lorsqu’il évoque les souvenirs de son ancien métier. Peter a travaillé à Boom et Malines, des villes situées entre Anvers et Bruxelles. L’homme dit avoir jeté l’éponge, écœuré par les méthodes, les non-dits et l’aveuglement des politiques locaux qui ont d’abord, selon lui, répondu à une logique clientéliste. Il dénonce sans détour « quarante années de laisser-aller et de laxisme ». Fils de syndicaliste, engagé et biberonné aux valeurs de gauche, l’homme dit avoir été ostracisé, dans son milieu professionnel, en raison des nombreuses critiques qu’il aurait osé exprimer publiquement. « Lorsque je travaillais à Malines, ma mission consistait, entre autres, à revitaliser les quartiers populaires en proie à la drogue et la pauvreté. Le problème, explique Peter, c’est que la politique des grands frères était à l’œuvre. Ces gens issus des mêmes quartiers ont déjà un esprit “frérisé” ou “salafisé” et influencent les plus jeunes sur qui ils ont un ascendant ».

La désillusion de Peter commence lors de sa toute première expérience, au sein d’un centre chargé d’accueillir des migrants pour les guider dans un processus d’intégration : « Nous devions leur expliquer le fonctionnement de nos institutions, de la société belge. Ma toute première réunion avec ce public de primo-arrivants, majoritairement de confession musulmane, s’est tenue en pleine période de ramadan et j’ai été choqué lorsque au moment de la pause déjeuner, alors que j’avais un sandwich et un café en mains, des membres de l’équipe m’ont demandé de me cacher pour ne pas heurter ces gens. C’est incroyable ! Ils exigeaient de me soumettre à une religion. Ce n’est pas sur cette base que nous devons accueillir les immigrés. On doit leur expliquer les principes de notre pays, ceux de la démocratie, de la liberté et du respect des différences. Seul le directeur de la structure m’a timidement soutenu. Nombre de membres du bureau, de confession musulmane, ont fait en sorte que je sois viré ». Ses positions fermes lui ont valu d’être soupçonné et accusé par d’anciens collègues de racisme et d’hostilité à l’endroit des musulmans.

VIRAGE POLITIQUE
Écœuré, il trouve un emploi dans une autre ville. À Boom, il devient travailleur de rue. Il arpente le macadam à la rencontre des jeunes en particulier ceux qui oscillent entre délinquance et désœuvrement. « La ville socialiste faisait face à un phénomène d’augmentation de la violence. Ils avaient besoin de personnes capables de nouer un dialogue… Ça tombait bien, j’ai aussi été un gangster », s’amuse Peter. Sur le terrain, il croise souvent un certain Fouad Belkacem. L’homme, très présent auprès des jeunes, est connu par la justice belge en raison de ses accointances avec les réseaux islamistes et djihadistes. « Je l’avais déjà vu auparavant, raconte Peter, mais quelque chose avait changé chez lui. Il s’était laissé pousser la barbe. Nous avions l’habitude de parler de sport, mais il n’évoquait plus que la religion. Il expliquait aux jeunes qu’il fallait pendre les homosexuels, justifiait la lapidation des femmes adultères, remettait en question les programmes solaires, notamment en biologie et en histoire. Un jour, il s’est permis de critiquer la décence de ma tenue car je portais un short sur un terrain de foot. J’ai trouvé ça tellement grotesque que lui ai tiré la barbe comme on le fait au père Noël. Il n’a pas aimé ».
Le sens de l’humour et de la dérision de Peter atteint ses limites lorsqu’il est témoin du virage politique de l’individu et de son entourage, devenus des figures locales influentes.

Fouad Belkacem a rejoint Sharia4Belgium. Cette organisation djihadiste prônait la fin de la démocratie et l’avènement d’un État islamique dans le pays. « À l’époque, entre 2004 et 2006 avant qu’il ne s’engage politiquement, j’ai signalé la dangerosité de son comporte-ment auprès de la mairie de Boom. Les politiques locaux m’ont demandé de faire le dos rond car attirer l’attention sur le sujet ne ferait, selon eux, qu’encourager les votes pour l’extrême droite. J’étais outré. Les familles nous faisaient confiance et nous devions dé- tourner le regard pour abandonner ces enfants et ces ados à des gens dont l’idéologie est dangereuse ». Fouad Belkacem représente une telle menace qu’il sera condamné à de nombreuses reprises, la dernière fois à douze ans de prison et à la déchéance de la nationalité belge pour avoir notamment été un acteur dans le recrutement de combattants djihadistes. Sharia4Belgium a été dissoute en 2012 pour incitation à la discrimination et à la haine. Certains de ses membres se sont évaporés en Syrie.

« La France devrait regarder ce qu’il se passe chez nous. Vous ne serez pas épargnés par le phénomène« 

COMPLEXITÉ
« La France devrait regarder ce qu’il se passe chez nous, insiste Peter. Nous avons pris de l’avance mais vous ne serez pas épargnés par ce phénomène. Ici, les listes communautaristes comme elle de Fouad Ahidar émergent dans le paysage politique. C’est dangereux ». Fouad Ahidar était membre de Vooruit, le Parti socialiste flamand. Il en a été exclu en 2022 pour avoir refusé de condamner l’abattage rituel. Aux législatives de juin, sa Team Fouad Ahidar, le nom du parti qu’il a fondé, a remporté trois des dix- sept sièges dévolus à la minorité flamande au parlement de Bruxelles- Capitale. En octobre 2023, il avait qualifié les pogroms du Hamas de « petite réponse » à la politique « géno-cidaire » d’Israël. Cette déclaration ayant suscité un tollé, il a présenté des excuses en se retranchant derrière un prudent « Toute mort est une mort de trop ». Aux municipales, en octobre, la Team Fouad Ahidar a confirmé son succès des législatives en faisant élire des conseillers dans cinq des sept communes bruxelloises où elle était présente. Sans pour autant parvenir à entrer dans une coalition. majoritaire. 

Mais cette percée inquiète Aline *. Élue de la commune d’Anderlecht à Bruxelles, elle a assisté ces dernières années à la progression du discours et des revendications communautaristes en politique. La faute selon elle à ceux qui, aux affaires, ont décidé sciemment de composer avec un électorat musulman. « La Team Fouad Ahidar est un cancer pour notre pays, tance la jeune femme. Le problème, ce sont les politiques belges. Ils n’ont toujours pas compris le phénomène d’entrisme qui est à l’œuvre depuis de nombreuses années, notamment grâce à la complicité du Parti socialiste qui, à Bruxelles, a mis en place un système clientéliste. Les ravages sont évidents. Cela s’est fait au prix d’une paupérisation de la société et de dégradation de la sécurité. C’est peut-être trop tard, mais les gens commencent à se réveiller. Ils reviennent du PS, de sa politique d’assistanat et de l’excuse ». 

Le système politique belge, fédéral et trilingue – français, néerlandais et allemand – brille par une complexité qui favorise l’entrisme islamiste et le lobbyisme woke. Comme chez nous, les partis de gauche sont les plus touchés. « Nous n’avons pas l’équivalent de votre gauche républicaine », explique Étienne Dujardin, juriste et conseiller municipal du Mouvement réformateur (MR) à Woluwe-Saint- Pierre. Selon cet élu de centre droit, « le Parti socialiste, Écolo, les écologistes belges francophones et le Parti du travail (PTB), d’extrême gauche, sont peu ou prou sur la même ligne que La France insoumise. D’ailleurs, ils ont déposé ensemble au Parlement belge une motion demandant des sanctions contre Israël, motion qui a été adoptée. Ils ont aussi fait des alliances dans trois ou quatre municipalités, à Bruxelles et en région wallonne, ce qui est une première ».

BRUXELLES « GANGRENÉE« 

Julien * n’a pas de mots assez durs pour qualifier les politiques de gauche en Belgique, qui oscillent entre naïveté et cynisme. Il s’étrangle encore lorsqu’il évoque ce jour de février 2024 où un imam d’origine pakistanaise, invité par le Parti socialiste, a récité pendant trois longues minutes des sourates du Coran du haut du perchoir de l’assemblée du parlement bruxellois. « Ce qui arrive dans ce pays est catastrophique, se lamente ce policier enquêteur de la police criminelle en région wallonne. Chez nous, la presse est muselée par l’islamo-gauchisme grâce à ce que les Frères musulmans pratiquent le mieux : l’entrisme. Ici, ils s’endonnent à cœur joie. Même le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF) qui a été dissous en France en raison de sa propagande islamiste a trouvé refuge en Belgique en se rebaptisant Collectif contre l’islamophobie en Europe (CCIE) ».

Le policier décrit une capitale « gangrenée » : « La police de proximité n’existe plus, les contrôles sont devenus quasi impossibles à mener, résultat ce sont les voyous qui occupent le terrain. Dans certains quartiers, les gens n’osent plus relever le courrier dans leurs boîtes aux lettres car elles sont surveillées par les dealers qui y cachent la drogue. Quant aux politiques, ils ont renoncé ou sont complices. Pendant le ramadan on nous demande de ne pas circuler dans certains quartiers, ceux à forte communauté musulmane, pour ne pas les déranger. Dans la police, des agents essaient, dorénavant, de négocier des temps de prière pendant le service… Voilà où nous en sommes. Je suis grand-père cinq fois et je suis très inquiet pour mes petites-filles et leur avenir en Belgique ».

HARCÈLEMENT MORAL

Hanane, elle, regarde la France et sa laïcité avec admiration. Elle considère avec sévérité la Belgique, où elle est née, dont les principes de neutralité sont insuffisants, selon elle, pour protéger la petite fille qu’elle a été de la pression communautaire et de l’intégrisme, et la société en général de l’entrisme religieux. Hanane prévient : son histoire n’est pas celle d’une petite gamine pauvre à faire pleurer dans les chaumières. Son père, d’origine algérienne, est un homme d’affaires prospère. Si elle ne manquait de rien matériellement, humainement, elle manquait de tout, en premier lieu de liberté et de dignité. À la tête d’un lieu de culte, son père est devenu un incontournable de la société bruxelloise. Au fil du temps Hanane a vu les politiques locaux défiler dans son bureau. Elle se souvient des conversations où son père négociait le vote de la communauté. Jeune fille, elle est déscolarisée, forcée de porter le jilbab et de se plier à une pratique rigoriste de la religion. Son courage force l’admiration : « Je suis sortie de l’islam à l’âge de 14 ans. J’étais cernée de haine et de violence. Dans l’école coranique dirigée par mon père, on parlait de tuer les kouffar, d’islamiser la Belgique. Je ne comprenais pas cela. J’ai quitté cette religion. Il faut comprendre ce que cela veut dire. Il s’agit de se défaire d’une identité pour en reconstruire une autre. C’est ce que j’ai fait. À la majorité, je me suis enfuie de nuit. Je n’ai pas revu ma famille. Ils ont promis de me tuer. Je sais qu’ils en sont capables. Mais je les connais et je sais comment passer sous leurs radars ».

Une autre combattante s’est elle aussi résolue à quitter sa famille, politique celle-là. Anne-Sophie Pelletier a été, un temps, députée pour la France insoumise élue au sein du parlement européen à Bruxelles. Au lendemain des attaques du 7 octobre en Israël, elle a été horrifiée par la posture ambiguë du parti vis-à-vis du Hamas : « Malgré les pressions internes j’ai voté la résolution condamnant les actions de cette organisation terroriste ».

Ce qui lui a valu une cabale. Elle a été exclue du mouvement pour cause de harcèlement moral à l’encontre de ses collaborateurs, accusation dont elle a été blanchie par une enquête interne de la présidence et du parlement. Anne-SophiePelletier est amère. Aide-soignante de profession, elle avait rejoint Mélenchon en 2019 convaincue, alors, qu’il était le seul homme politique à s’intéresser aux « invisibles ». Elle se dit aujourd’hui déçue de cette gauche communautariste au point d’en oublier ses valeurs premières et les ouvriers. « Ces gens ne tolèrent aucune critique. Si on parle immigration, on est réduit au silence en étant traité de racistes. On a pourtant le droit de dire qu’il faut faire attention à qui on accueille. Quant au racisme, je le vois dans leur comportement. Ils n’aiment pas ces gens qu’ils prétendent défendre car le communautarisme est la base de la discrimination ».

Le parti Écolo n’a rien à envier la France insoumise en matière d’islamogauchisme. Pour Étienne Dujardin, la claque électorale subie par les Verts belges aux élections législatives, en juin dernier, est la sanction de leur « glissement vers l’extrême gauche ». Leur tout dernier haut fait est d’avoir appelé en janvier à la suspension de X en Belgique. Selon eux, le réseau est devenu « un vecteur de désinformation massive » depuis son rachat par Elon Musk. Leur ancienne coprésidente, Rajae Maouane, rescapée du nau- frage de son parti puisqu’elle a été élue en juin, mais qui a dû quitter la tête de l’appareil, professe que « l’écologie politique sans lutte des classes, c’est du jardinage ». Pour elle, cause palestinienne et climat sont liés.

SIGNES CONVICTIONNELS

Écolo milite pour l’autorisation du port du voile pour tous les fonctionnaires, au nom de l’ » inclusion »L’Écolo Farida Tahar, patronne du groupe Écolo au parlement bruxellois et sénatrice, porte d’ailleurs un turban dans l’exercice de ses fonctions. Formée durant quatre années en sciences islamiques à l’Académie des sciences islamiques et culturel- les de Belgique, elle est également fondatrice de l’association TETE ( Toutes Égales au Travail et à l’École) qui milite contre l’interdiction du voile dans l’administration, et vice-présidente du CCIE.

« La burqa est interdite en Belgique, explique Nadia Geerts, militante laïque et féministe, mais aucune législation n’y interdit uniformément le port du voile islamique non intégral. On est confronté à diverses législations, variant selon les niveaux de pouvoir : pour les agents de l’État, certaines communes autorisent le port de signes convictionnels, d’autres pas, et certaines les autorisent uniquement pour les fonctionnaires sans contact avec le public ».

En 2020, Nadia Geerts enseignait la philosophie, l’histoire des religions, la citoyenneté et la neutralité dans une Haute École pédagogique bruxelloise. Après l’assassinat en France de Samuel Paty, elle poste le hashtag « Je suis Samuel Paty » sur la page Facebook de son établissement. Aussitôt, elle se fait traiter d’ »islamophobe » par des anonymes. L’une de ses collègues la contacte non pas pour la soutenir, mais pour lui dire qu’elle a effec- tivement un problème vis-à-vis de l’islam. D’autres lui manifestent leur solidarité, alors que les menaces contre elle affluent, y compris de mort. La direction de l’école attend près de deux mois pour la défendre à son tour sur Facebook. « J’ai quitté l’enseignement et intenté des procédures judiciaires, l’une au civil, où j’ai obtenu gain de cause, et l’autre au pénal, explique Nadia Geerts. Malheureusement, sur les dizaines d’individus visés, seuls sept ou huit ont pu être identifiés et sont aujourd’hui inculpés. Comme il s’agit de publications sur les réseaux sociaux, donc de délits de presse, soit ils iront devant la cour d’assises, soit ils bénéficieront d’un classement sans suite ».  La décision devrait tomber en juin.

TÉMOIGNAgES ACCABLANTS

L’Université belge, comme l’école, sont comme partout en Europe des cibles privilégiées de l’expansionnisme islamiste. Le 8 février, Nadia Geerts a participé à l’organisation d’un colloque du groupe de réflexion Les Universalistes, défenseur des principes des Lumières, sur les difficultés des enseignants face aux revendications notamment identitaires et religieuses de leurs élèves. Intitulé « Paroles de profs ! », il a permis de recueillir des témoignages accablants, pour la plupart anonymes. Florilège : « Des professeurs ont renoncé à emmener leurs élèves de 12 à 18 ans dans des Musées des Beaux-Arts tant le risque de chahut est grand devant des nus sculptés ou peints, d’hommes ou de femmes ».   « Je suis professeur de sciences. Dès ma première année d’enseignement, j’ai été confronté au refus de certains élèves d’étudier certaines matières pour des raisons religieuses. Le sujet est dit “haram”, il est interdit […]. Par exemple, j’ai quelques élèves qui se  cachent sous leur banc quand j’affiche au tableau un schéma anatomique du système reproducteur masculin ou féminin. Ou bien d’autres qui prennent un marqueur noir indélébile et qui couvrent dans leur cours les parties anatomiques du corps humain jugées indécentes ». « Au cours de chimie, des élèves refusent de sentir de l’alcool présenté sous sa forme chimique d’éthanol », raconte un autre enseignant.

ANTISÉMITISME GALOPANT

Certains ont jeté l’éponge, tel ce professeur d’histoire à Bruxelles, qui avait pris l’initiative d’organiser pour ses élèves du premier degré des visites de lieux de culte après les attentats du 11 Septembre. Il voulait montrer « qu’il y avait beaucoup plus de res-semblances entre les religions que de différences ».  Il a fini par y renoncer :

« Tout simplement parce que, quand on rentrait dans la synagogue, il fallait porter la kippa et ça n’allait plus, les élèves refusaient. Mes collègues ne voulaient donc plus continuer, ça devenait impossible ».

Ce prof d’histoire souligne un point essentiel à ses yeux : « Les musulmans modérés ne sont pas assez aidés, soutenus, entendus. Ils ont aussi peur de s’exprimer au sein du corps professoral ».  Et on les comprend, à lire des témoignages comme celui-ci : « Un collègue, musulman non pratiquant, se fait traiter de “mécréant” en pleine salle des professeurs par un autre, parce qu’il boit en période de ramadan. D’autres n’osent plus boire un café en salle des profs lors du ramadan tant la pression est forte ». « À l’école pri- maire, la fille de 8 ans d’un collègue d’origine algérienne a été jetée dans une grande poubelle par des camarades de classe, à la récréation, pour avoir choisi le cours de morale »raconte un instituteur. Ce cours, non confessionnel, est une alternative aux cours de religion, catholique, protestante, orthodoxe, juive ou islamique. Il faut obligatoirement en suivre un dans le public, une heure par semaine et pendant toute la scolarité. « Ce système favorise l’entrisme islamiste, estime Nadia Geerts, puisque les professeurs de religion sont sous l’autorité non de la direction de l’école ou du ministre de l’Enseignement, mais de l’organe chef de culte, qui seul peut contrôler le contenu des cours donnés ».

Et bien sûr, l’antisémitisme est galopant. Gad Deshayes, président de l’Union des étudiants juifs de Belgique, a lancé un cri d’alarme chez 21NEWS, le tout jeune site d’information créé par Étienne Dujardin : « On n’ose plus dire qu’on est juif. La situation a empiré car le rectorat ne réagit pas ».  Les facs servent en particulier d’incubateur à deux mouvements propalestiniens, l’Université populaire de Bruxelles et Samidoun, interdite en Allemagne mais dont la justice française a autorisé la manifestation parisienne du 7 au 8 mars, où des appels à l’intifada ont été scandés.

Le monde de la culture n’est pas en reste. Nous avons les César, les Belges ont depuis 2011 les Magritte. Leur dernière édition, le 22 février, n’a été diffusée que sur Auvio, la plate-forme digitale de la RTBF, au grand dam de ses organisateurs et participants. La maîtresse de cérémonie était une Belge bien connue des auditeurs de France Inter, Charline Vanhoenacker. En guise de mise en bouche, l’humoriste a gratifié le tout-cinéma d’une reprise de son cru du « Tourbillon de la vie » immortalisé par Jeanne Moreau, transformé en « Me-too ‘rbillon de la vie » et chanté – faux – par elle-même. Les deux très longues heures qu’a duré la soirée lui ont permis d’arborer une multitude de tenues, de la somptueuse robe de bal à l’uniforme militaire, en passant par un déguisement en part de pizza, pour « rendre hommage aux techniciens ». Mais le clou du spectacle a été la vraie-fausse irruption sur scène d’une quarantaine de nominés, qui ont lu un texte dénonçant  « la montée de l’extrême droite partout dans le monde » et « le génocide à Gaza ». « Déconstruisons nos imaginaires coloniaux, racistes, islamophobes, misogynes, homophobes et transphobes », ont ânonné tour à tour ces braves, en condamnant haut et fort les dirigeants belges « qui s’abstiennent de toute sanction contre les crimes de guerre israéliens ». Est-il nécessaire de préciser que les pogroms du 7 octobre, eux, n’ont pas été mentionnés de la soirée ?

DÉCOLONIALISME

Comme la nôtre, l’actualité culturelle belge vit au rythme des polémiques contre l’art « patriarcal ». Dernière œuvre à en faire les frais, La Maturité, réalisée en marbre blanc de Carrare au début du XXe siècle, qui représente un groupe de personnages au centre duquel trône un homme barbu. « Des stéréotypes figés sur la famille et le pouvoir masculin », selon le gouvernement bruxellois. Bannie du quartier central où elle se trou- vait, La Maturité sera remplacée par une œuvre garantie « féministe »réalisée par une artiste autrichienne à partir de déchets de chantier collectés à Bruxelles.

Certains édiles belges mettent eux aussi beaucoup de zèle à liquider un passé occidental qu’ils jugent honteux. Jusqu’à, parfois, se heurter aux limites de l’intersectionnalité des luttes. En 2020, à la suite de la mort de George Floyd, des statues de Léopold II, symbole du colonialisme pour ses détracteurs, avaient été vandalisées un peu partout dans le pays. Quelques mois plus tard, les autorités bruxelloises imaginèrent de rebaptiser le long tunnel qui mène de Molenbeek à la Basilique nationale du Sacré-Cœur et qui portait le nom du créateur du Congo. « À l’échelle de la Belgique, effacer Léopold II de l’espace public serait l’équivalent de supprimer toute référence à Colbert ou à Napoléon des monuments français », explique Alain Destexhe, sénateur honoraire belge devenu chercheur au Gatestone institute, un think-tank conservateur américain. Une consul- tation en ligne offrit le choix aux Bruxellois entre les noms de plusieurs femmes. Ce fut celui d’Annie Cordy, morte en septembre 2020 en France mais née en Belgique, qui émergea. Las, la chanteuse avait commis un titre, Chaud cacao, qui la rendait tout aussi odieuse aux décolonialistes que le défunt roi. La polémique fit rage, mais le gouvernement tint bon.

CENSURE

La RTBF (Radio-télédiffusion belge de la communauté française) a, elle, rendu les armes depuis longtemps. Une précision qui a son importance : il n’y a pas « un » audiovisuel public en Belgique avec plusieurs médias dans les trois langues parlées dans le pays – ce serait beaucoup trop simple ! – mais deux organismes publics de radio-télévision, la RTBF pour la communauté française et la VRT pour la communauté flamande, auxquelles s’est adjointe une chaîne germanophone. L’ensemble des compétences en matière de culture, d’information, de presse et d’audiovisuel dépend des pouvoirs communautaires.

Le scandale de la diffusion en différé du discours d’investiture de Donald Trump, le 20 janvier, ne concerne que la RTBF. Les téléspectateurs des chaînes publiques néerlandophones ont pu, eux, écouter le premier discours du président américain en direct. Aurélie Didier, directrice éditoriale adjointe de l’information de la RTBF, a justifié le choix d’un « léger décalage » dans la retransmission par les propos « racistes, d’extrême droite, xénophobes et d’incitation à la haine » qu’aurait tenus précédemment Donald Trump.

« Le plus beau, soupire Alain Destexhe, c’est qu’elle a précisé que ce n’était “pas de la censure” ! »

Le traitement infligé à Trump n’a pas provoqué de remise en cause des méthodes de la RTBF, même si Georges-Louis Bouchez, le président du Mouvement réformateur (MR, centre droit), l’a dénoncé en termes virulents. « En démocratie libérale, il n’y a que des magistrats qui peuvent éventuellement décider que vous ne respectez pas les principes démocratiques, s’est-il indigné, en affirmant que la direction de l’information de la RTBF n’est pas le ministère de la Censure et de la Propagande ».  La polémique a rebondi au Parlement bruxellois où Jacqueline Galant, ministre également MR des Médias en Fédération Wallonie-Bruxelles, a demandé à la direction de l’audiovisuel public des « éclaircissements sur la méthodologie et les arguments juridiques » qui ont conduit à cette diffusion en différé. En vain.

Une plainte déposée par Alain Destexhe contre l’interview de François Dubuisson, professeur de droit international àl’ULB (Université libre de Bruxelles), le soir du 7 oc- tobre, a finalement été considérée comme infondée par le conseil de déontologie journalistique. Invité du JT de 19 h 30 de la RTBF, cet universitaire y avait affirmé, sans être contredit, que « les illégalités étaient au départ commises par Israël », qui occupait selon lui « l’ensemble du territoire palestinien » – François Dubuisson ignore apparemment qu’Israël a quitté la bande de Gaza en 2005. Le présentateur du journal l’a remercié d’avoir « donné les clés pour bien comprendre (cette) journée noire au Proche-Orient ».

LIBERTÉ D’EXPRESSION

Une partie de la presse écrite n’est pas en reste. Créé en 1936, Humo est un hebdomadaire de gauche néerlandophone et populaire. En août dernier Herman Brusselmans, figure médiatique de la littérature flamande, y a publié une chronique après avoir vu l’image d’un enfant de Gaza pleurant sa mère morte sous les décombres. « Je suis tellement en colère que j’ai envie d’enfoncer un couteau pointu dans la gorge de chaque Juif que je rencontre », a-t-il notamment écrit. Saisi en citation directe, le tribunal correctionnel de Gand a relaxé l’auteur le 11 mars, suivant ainsi l’avis du ministère public, qui invoquait la liberté d’expression. Plusieurs autres plaintes sont encore en cours. « La justice belge n’en est, hélas !, pas à son coup d’essai », commente sur son compte X Joël Rubinfeld, président de la Ligue belge contre l’antisémitisme, en rappelant « le classement sans suite réservé par le parquet de Liège à l’affaire du cafetier belgo-turc qui avait affiché sur la vitrine de son établissement “Ici les chiens sont autorisés mais les Juifs en aucun cas !” » 

C’était en 2014. Depuis, le climat s’est encore dégradé. 

© Nadjet Cherigui et Judith Waintraub

* Le prénom a été changé.

Source: Le Figaro du 21 mars 2025

 https://www.lefigaro.fr/actualite-france/la-fr

 

  

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4 Comments

  1. Au fait, peut on affirler qu’être musulman c’est promouvoir la tolérance, la Paix, la liberté de penser, de s’exprimer, l’amour de la Vie bref aimer la Vie et les Autres ?
    Est ce que ceux qui soutiennent ceux nous traitent d’infideles, de kouffars qu’il faut decapiter, exterminer, sont de bons francais ou bien des collabos, des traîtres ?
    Ne pas vouloir être décapités par des coucous qui nous squattent, et veulent nous supprimer. nous genocider fait-il de nous des Fascistes des Islamophobes ?
    Si la réponse est oui, alors nous sommes résolument, passionnément, contre les liberticides, et joyeusement Islamophobes ! N’en déplaise aux merluchon et sa poiscaille de bas fonds, qui pourrissent déjà par la tête….

  2. Regardez plus encore ce qui se passe en Angleterre…C’est à frémir d’horreur. L’Europe de l’Ouest ou la majeure partie appartient désormais à l’axe du Mal. L’axe des Ténèbres.
    Il faut agir et penser en conséquence. Nos gouvernements et nos États sont des gouvernements collaborationnistes, au même titre que ceux qui collaboraient avec l’Allemagne nazie il y pres de 80 ans.

  3. C’était au temps où Bruxelles sombrait
    C’était au temps des cinémas fermés
    C’était au temps où Bruxelles priait
    C’était au temps où Bruxelles musulmait

    Place de Brouckère, on voyait des vitrines
    Avec des femmes, que des femmes en niqab
    Place de Brouckère, on voyait la mosquée
    Avec des hommes, des messieurs en qamis

  4. Et la France est dans le même bateau, A Paris Un magasin qui vend des nikab y compris pour les petites filles, vient d’ouvrir,une file de femmes attend pour faire ses achats, dans les banlieues c’est pareil, dans les grandes surfaces il y a des rayons hallal. pas de rayon cacher, parce que nous avons nos propres boutiques. Nous ne sommes pas invasifs.

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