

Hier, sur le bon conseil de ma belle amie cinéphile C.M., j’ai vu un film que l’on peut qualifier, avec simplicité, émotion et respect, de BEAU film.
Qu’est-ce qu’un « beau » film? Ce n’est pas forcément un « grand » film ou un chef d’œuvre.
C’est un film vrai, juste, et qui par là même nous touche. Et pas seulement parce qu’Emilie Dequenne vient de mourir, d’une façon aussi émouvante qu’injuste.
Le film est, de la première à la dernière séquence, d’une JUSTESSE magnifique et bouleversante, en particulier dans ses dialogues, d’une finesse et d’une cruauté sous-jacente terrible et tragique. Et sans aucune volonté de démontrer quoi que ce soit.
Justesse sociologique évidemment puisque cette rencontre improbable entre un prof de philo parisien et une jolie shampouineuse nordique est parfaitement « documentée ». Cela s’accompagne, comme dans les films « géographiques » de Rohmer, d’une justesse dans la manière de filmer les « lieux », provinciaux ou parisiens, parfaitement crédible. Moi qui ai été nommé professeur au Havre après avoir eu mon concours en étudiant à La Sorbonne, je confirme absolument toutes les intuitions balzaciennes de ce voyage vers la province profonde, ses lieux, ses cafés et ses autochtones.
Justesse psychologique surtout. Ces deux personnages, esseulés chacun à sa manière dans sa « province » sont d’une cohérence impressionnante, jusque dans ce qui détruira leur bonheur.
L’approche amoureuse est très belle, d’une délicatesse qui n’exclut jamais la cruauté sous-jacente, et les dialogues sont au laser, avec une Émilie Dequenne au sommet de sa délicatesse et de sa sensibilité, autant par sa sensualité sans chichi, comme actrice et comme personnage, que dans les nuances psychologiques délicates de son jeu.
Évidemment la voir si sensitive et belle, alors quelle vient de mourir de cette saloperie de crabe, est bouleversant. C’est fou comme elle exprime chaque nuance ambiguë d’état d’âme, sans aucune mièvrerie ni putasserie sentimentaliste. On dirait qu’elle sait sans le savoir qu’elle est fragile et mortelle, qu’elle va mourir après avoir aimé un homme qui ne la méritait pas. Dans le film comme dans la vie. Mais elle assume et ça c’est beau.
Sa lucidité est magnifique et tragique, de même que sa vitalité et son authenticité déchirante.
Le prof de philo qui l’a, sans presque le faire exprès, mise « à sa place » sociologique dans son esprit, alors que cet imbécile l’aime vraiment, n’est pas non plus caricaturé, il est lui aussi respecté en tant personnage, tout autant déterminé et aliéné que celle qu’il croit déterminée par son milieu et sa profession. Et elle ne manque pas de lui apprendre des choses, avec son sens à elle de la vérité, que, in fine, il ne comprend pas, même s’il en est fasciné, lui qui écrit sur « la chair et le désir ».
La manière dont, malgré son addiction amoureuse, elle se révolte contre cette manipulation socialement et psychologiquement implacable est une des plus belles affirmations féminines et sociales que j’aie vues au cinéma, et c’est tragique et bouleversant.
Vraiment un très BEAU film, authentique et vrai.
(Et quand elle chante « I will survive », j’ai pleuré, même si aussi avant, mais là c’est déchirant.)
© Sylvano Del Monte
Magnifique analyse