« Pour Roman Polanski ». Par Renée Fregosi

Roman Polanski est devenu la cible favorite des activistes et des suiveurs de MeToo, devenu discours dominant incontestable sous peine d’excommunication voire pire. Si l’on ose apprécier ses œuvres et a fortiori si on se met en tête de le défendre, la honte s’abat sur l’hérétique que nous sommes. Or, après les affabulations et les injures, voici venu le temps de la silenciation. Le livre de Roman Polanski et de son père, paru début mars, « Ne courez pas ! Marchez ! »[1] ? Même pas entendu parler ! 

En 2020, à la sortie du film de Roman Polanski sur l’affaire Dreyfus, « J’accuse », devant les salles qui l’avaient mis à l’affiche, des pancartes dénonçant le cinéaste avaient été brandies par des manifestantes de « balance ton porc » hurlant des insultes aux spectateurs « complices du violeur ».  Mais le film avait malgré tout connu un grand succès. Car la finesse d’analyse de Polanski, sa maîtrise de l’art cinématographique, et son audace, du point de vue adopté au casting parfait, ont fait de ce film un véritable chef d’œuvre. En choisissant de présenter l’Affaire Dreyfus à partir du personnage qui in fine permettra de déjouer le complot, Polanski invite à une réflexion sur la complexité des époques, des situations et des êtres. Le personnage central est en effet un anti-héros héroïque : le colonel Marie-Georges Picquart, militaire antisémite, arriviste et conservateur, adultère de surcroît, et au départ, partie prenante de l’accusation initiale contre Dreyfus. Décidément, Polanski prend la bien-pensance à rebrousse-poil !

Le succès du film « J’accuse », et ses récompenses au César, exacerbent alors la virulence des critiques et multiplient les accusations fallacieuses. Roman Polanski devient la figure emblématique du « violeur » et même du « pédophile », comble de l’abjection. Le boycott de ses œuvres mais plus largement de tout ce qui le touche, devient systématique. A tel point qu’en 2023 seul un petit nombre de cinéphiles français ont eu la chance de voir et d’apprécier le documentaire « Promenade à Cracovie » au cours duquel Roman Polanski et le photographe Ryszard Horowitz échangent leurs souvenirs d’enfance juive dans le ghetto. Car les exploitants des salles de cinéma ont pour la plupart cédé à une pression discrète mais insistante : « la programmation risquerait de provoquer des manifestations hostiles devant vos salles, vous savez bien qu’un film de ou avec « le violeur Polanski » ce n’est pas possible ! D’ailleurs le film n’est pas bon » disaient les critiques patentés.

Lorsque l’année suivante, le dernier film de Roman Polanski, « The Palace », est sorti en France en mars 2024, après huit mois d’atermoiement, les spectateurs parisiens de la seule salle à l’avoir mis à l’affiche ont bien failli ne pas le voir. Le premier jour de sa programmation, le responsable du studio Galande annonce aux clients abasourdis, qu’il a décidé de ne pas projeter le film pour éviter les manifestations dont on l’a menacé. Car la veille une manifestation préventive d’intimidation a déployé ses pancartes, et Keffiehs au vent, une petite troupe a vociféré devant la salle.  Finalement, la satire burlesque sera visible quelques jours plus tard, et les projections se déroulent dans le calme. Il n’empêche, non seulement chaque fois qu’il est question de Polanski, les accusations fusent, mais dès que l’on parle de viol, et on en parle souvent, le nom de Polanski est à nouveau systématiquement jeté à la vindicte des néo-féministes.

Alors, tandis qu’un ouvrage remarquable d’une grande portée historique et humaniste, signé de Polanski père et fils, vient de paraître, il subit le châtiment de la silenciation. Aucune publicité, pas une critique dans les grands médias. Pire que les vocifération mensongères, pire même que le déni de réalité, un silence assourdissant, un silence qui ensevelit sous son linceul deux voix qui dialoguent à travers le temps, deux vies résilientes qui se succèdent, se croisent et se répondent à distance. Seule Sabine Prokhoris a le courage de défendre, et d’une si belle façon, et l’ouvrage et ses auteurs. Dans la revue en ligne Telos[2], et repris dans Tribune Juive, son article rend compte de cette splendide « leçon d’humanité sur l’inhumain ». 

« Et l’on perçoit, reliant indéfectiblement l’homme qui, en 2006, a atteint l’âge qu’avait son propre père lorsqu’il lui envoya les lettres, et l’enfant à l’aube de son existence, un fil jamais rompu de tendresse et de douceur. En dépit de tout. Pas une once d’amertume en effet dans ce que confie Ne courez pas ! marchez ! À ces scènes incroyablement vives de la vie d’un jeune garçon plongé dans un cauchemar auquel il lui a fallu jour après jour imaginer comment résister, le récit entremêle les réflexions d’un homme qui a beaucoup vécu, beaucoup lu, beaucoup réfléchi et qui, surtout, n’a cessé de créer. C’est-à-dire, à mille lieues de tout solipsisme, de transformer en une œuvre artistique à portée universelle la matière impure de la vie. Telle aura été – telle est – la plus indestructible des résistances à l’anéantissement. »

Une fois encore, Roman Polanski nous met face à nous-même et à notre intelligence du monde, c’est sans doute aussi cela que beaucoup ne supportent pas. Nous sommes là en face de nos propres peurs, de nos interrogations, de nos fantasmes. Et en plus, il le fait avec humour, « constant chez Polanski y compris dans ses films les plus tragiques, l’humour, explosant dans mille détails. L’humour, ce « don précieux et rare » – antidote le plus radical de toute mystification –, qui signe une attitude, n’en déplaise aux grincheux, d’une insigne grandeur morale, à mille lieues de toute étroitesse moralisatrice face aux vicissitudes de l’existence. » Comme le disait déjà Sabine Prokhoris dans son livre[3] indispensable pour comprendre l’homme Polanski, le créateur et la victime expiatoire d’un délire victimaire.

Car Roman Polanski n’a rien à voir avec le monstre que le martyrologue de MeToo a construit. 

Il faut sans cesse le répéter en effet : il n’a pas violé Samantha Geimer (qui refuse elle-même de se présenter comme la victime de Polanski, et entretient avec lui une relation cordiale et apaisée). Il a été condamné pour une relation sexuelle délictueuse avec une mineure, ce qu’il a reconnu, et pour laquelle il a purgé sa peine en 1977. C’est peu après qu’il ait été libéré, qu’un autre juge américain avide de publicité a lancé une procédure extravagante alimentée par des accusations plus invraisemblables les unes que les autres qui se mirent à proliférer contre Roman Polanski, de la part de différentes femmes, certaines d’entre elles, anonymes, étant même recrutées par un site créé à cet effet. Cette folle dynamique a obligé Polanski à quitter les États-Unis où l’impartialité de la justice ne lui était plus garantie.

Alors, tandis que la persécution se poursuivait à bas bruit, le phénomène MeToo a explosé, ranimant les braises des bûchers assoupis et alimentant un incendie galopant.  Mais pourquoi viser tout particulièrement Polanski ?  « Qui a peur de Roman Polanski » tout spécialement ? Outre le fait qu’il est un réalisateur de génie adulé dans le passé par les critiques, mais surtout par un large public, un autre élément à charge est à prendre en compte : l’antisémitisme. Polanski à l’outrecuidance de se revendiquer Juif : « un homme dont la mère périt à Auschwitz assassinée par les nazis, et qui enfant survécut après s’être échappé du ghetto de Cracovie ». C’est ainsi qu’a fleuri « sur les trottoirs de Paris le tag « Polanski, bois nos règles » -autrement dit : le sang des femmes et des enfants pour le pain azyme du vampire-violeur-pédocriminel juif, à quoi s’ajoute la mémoire d’images de rabbins contraints de lécher le sol dans les rues de Vienne[4] ».

Les insultes proférées à l’encontre de Polanski appelé « Atchoum » à la cérémonie des César de 2020 (qui donc a également un gros nez dans l’iconographie antisémite ?) relevaient en effet incontestablement de l’antisémitisme. Et parmi les manifestantes on avait même entendu : « Celui qui doit être gazé c’est Polanski ». « Que cet aspect antisémite ait été le plus souvent dénié ne supprime pas ce que l’analyse précise des slogans et des discours fait clairement apparaître », comme le démontre encore parfaitement Sabine Prokhoris.  

Ainsi, contre toute évidence, contre les faits, contre les criantes vérités, lorsqu’on défend Roman Polanski, on est accusé de soutenir un « violeur », et on nous reproche même « d’instrumentaliser l’antisémitisme ».  Mais contre le courant dominant de la victimisation dégradante des femmes au nom d’un féminisme pris à contre-sens, contre l’injonction menaçante du « Femmes on vous croit ! », face aux insultes ou dans le silence glaçant, Polanski mérite plus que jamais toute notre admiration et notre soutien. Alors ne trainez pas, courrez lire « Ne courez pas ! Marchez ! » 

© Renée Fregosi

Philosophe et politologue, Présidente du CECIEC, Renée Fregosi a publié en 2023 aux Éditions de l’Aube « Cinquante nuances de dictature. Tentations et emprises autoritaires en France et ailleurs« .


Notes

[1]  Roman Polanski, Ne courez pas ! Marchez ! Flammarion, 2025

[2] Telos, 8 mars 2025 : https://www.telos-eu.com/fr/societe/polanski-une-lecon-dhumanite-sur-linhumain.html

[3] Sabine Prokhoris, Qui a peur de Roman Polanski ? Le Cherche Midi, 2024

[4] Sabine Prokhoris, Qui a peur de Roman Polanski ? Le Cherche Midi, 2024


Suivez-nous et partagez

RSS
Twitter
Visit Us
Follow Me

2 Comments

  1. « Rosemary’s baby » et « La Neuvième Porte » font partie de mes films préférés. Deux chefs-d’oeuvre absolus, des merveilles cinématographiques à l’état pur. Le second semble être une réécriture ludique et parodique du premier, puisque le diable incarné par Emmanuelle Seigner y prend l’apparence d’une femme séduisant le héros (Johnny Depp) : c’est exactement le contre-pied de Rosemary’s baby mais ces deux chefs-d’oeuvre se complètent mutuellement.

  2. Le Bal des Vampires et Le Pianiste, aux antipodes. Mais le génie de Polanski, partout!
    Merci Renée Fregosi. Je vous ai lue avec un bonheur réparateur, avec une solide et réjouissante admiration, dans la Revue des Deux Mondes également. Merci merci merci.

Poster un Commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*