
Les juifs, français ou non, sont régulièrement la cible d’attaques verbales et physiques et envisagent l’exil en Israël. Une situation alarmante qui interpelle sur la responsabilité politique.
«La perception du départ des Juifs de France comme une bonne chose est particulièrement forte chez les sympathisants RN (15 %) et LFI (20 %). Cependant, on observe des évolutions très différentes entre ces deux partis. En effet, les sympathisants RN étaient 22 % à considérer qu’il s’agissait d’une bonne chose en 2020, soit une baisse de 7 points en quatre ans. À l’inverse, les sympathisants LFI n’étaient que 4 % à partager cette opinion en 2020, soit une hausse 16 points en quatre ans», révélait l’Institut Ipsos en novembre 2024.
Cette enquête n’est pas tombée dans l’oreille d’un sourd, si l’on en croit le dernier dérapage contrôlé de Monsieur Mélenchon, enjoignant à «la diaspora» de se désolidariser des autorités israéliennes après le refus d’entrée dans le pays adressé à Rima Hassan, qui utilise son passeport français pour brocarder les sociétés occidentales. Une attitude qui contraste avec la mansuétude dont elle fait preuve à l’égard de ces dictatures arabes et islamistes – comme cette Algérie assimilée à «la Mecque des libertés».
Se poursuit ici l’entreprise de dénationalisation des juifs français par la gauche. L’antisémitisme figure, depuis longtemps, parmi les racismes qu’il est de bon ton de minorer. «Nous sommes désormais la seule minorité qui, si elle exprime son sentiment d’exclusion, est accusée d’instrumentaliser sa souffrance», lit-on dans une tribune collective publiée dans Le Monde le samedi 1er mars, un an après que Mélenchon estime que l’antisémitisme en France était résiduel. Une affirmation que contredisent tous les chiffres officiels qui montrent que les Juifs de France constituent la communauté qui essuie le plus d’attaques racistes.
L’antisémitisme comme variable d’ajustement
Mais à qui la faute ? En juin 2024, Emmanuel Macron jugeait «inexplicable» la montée de l’antisémitisme. L’écrivain Pascal Bruckner parlait, à ce sujet, de «l’antisémitisme d’abstention», qui se caractérise par le refus de désigner l’ennemi ou d’agir contre lui. Ce qui revient à lui donner un blanc-seing. Les enquêtes sociologiques, elles, ne versent pas dans la langue de bois et montrent depuis plus de vingt ans que les musulmans sont surreprésentés parmi les auteurs de violences antisémites dans toute l’Europe occidentale, tandis que ces derniers sont plus sensibles que la moyenne à la haine antijuive.
Il n’est dès lors guère étonnant que la lutte contre l’antisémitisme devienne une variable d’ajustement aux yeux des partis qui capitalisent sur un électorat antisémite en pleine expansion et faiseur de rois, tandis que les institutions les plus officielles de l’islam de France – comme la mosquée de Paris – ne jugent pas utile de soumettre la religion musulmane à un examen de conscience similaire à celui que les catholiques ont fait.
Aux Pays-Bas, quinze ans avant que la ville d’Anne Frank soit le théâtre d’une chasse aux juifs préparée en amont d’un match de football (en novembre 2024), l’homme politique néerlandais Frits Bolkestein faisait scandale dans son pays en énonçant que les israélites n’avaient plus leur place dans la patrie de Spinoza en raison de la croissance de l’immigration arabo-musulmane.
En France, l’enquête menée par Jérôme Fourquet et Sylvain Manternach en 2016 montrait que les juifs étaient plus tentés que la moyenne des Français par l’exil. «Quitter la France et partir s’installer en Israël n’est plus aujourd’hui quelque chose d’extraordinaire, mais fait au contraire partie de l’univers mental et relationnel de bon nombre de Juifs. Si 13 % de la communauté juive projette sérieusement de partir en Israël, 38 % des personnes interrogées déclarent dans le même temps avoir un ou des proches ayant déjà effectué leur alya [l’acte d’immigration en Israël]», était-il écrit.
Reste à savoir si cet exil leur sera permis. À la question, posée sur les réseaux sociaux, de savoir qui a commencé le conflit israélo-arabe, le député Aymeric Caron répond «Israël, en 1948». La création d’Israël formerait le péché originel à l’origine de l’incapacité du Proche-Orient à retrouver la paix qui le caractérisait sous le joug bienveillant de l’Empire ottoman, avant que les mandats britanniques et français mettent fin à cet âge d’or.
Un procès réservé aux seuls Israéliens
Est-ce à dire que les conditions dans lesquelles l’État d’Israël a été créé relèvent du tabou ? En 1967, l’orientaliste Maxime Rodinson jetait un pavé dans la mare dans la revue de Jean-Paul Sartre, Les Temps modernes, en se demandant si l’on pouvait qualifier l’État juif de projet colonial. Et Rodinson de répondre par la positive en arguant qu’Israël n’aurait jamais vu le jour sans l’appui des puissances occidentales, bien qu’il notât que toutes les nations ont une origine peu ou prou impériale. Cette caractéristique ne pouvant pas constituer un péché gravé dans un marbre éternel.
Toutes proportions gardées, il est de notoriété publique que la Turquie s’est construite sur plusieurs génocides, que l’Arabie saoudite a pris forme après deux tentatives ratées au cours desquelles des tombeaux ont été profanés, des femmes ont été éventrées et des chiites massacrés, que l’Irak, la Syrie et la Jordanie sont eux-mêmes le fruit de transactions politiques entre les puissances mandataires et quelques élites arabo-islamistes qui ont fait peu de cas de leurs minorités respectives, dont la présence précédait l’avènement de l’islam.
Et pourtant, peu de commentateurs jugent utile d’envoyer à la figure des nouvelles générations turques les crimes réels ou supposés de leurs ancêtres pour délégitimer leur présence. Ce seul procès semble réservé aux seuls Israéliens quand le sionisme figure parmi les nationalismes qui ont tenté de s’implanter le plus pacifiquement possible, par des transactions foncières, tout en ayant été le terreau d’une importante littérature sincèrement préoccupée par la protection des minorités.
«Et s’il arrive que des fidèles d’une autre confession, des membres d’une autre nationalité habitent aussi chez nous, nous leur accorderons une protection honorable et l’égalité des droits», écrivait Theodor Herzl à la fin du XIXe siècle dans son célèbre manifeste intitulé L’État des Juifs. Cent trente ans plus tard, la petite nation juive compte beaucoup plus d’Arabes prospères en son sein qu’il n’y a d’israélites en sécurité dans le vaste monde que la superstition de Mahomet a forgé depuis les conquêtes du VIIe siècle. Les colons ne sont pas toujours là où on le croit.
© Ferghane Azihari
Consultant en politiques publiques, Ferghane Azihari est délégué général de l’Académie libre des sciences humaines (ALSH). Il publie des articles pour la presse écrite ( Le Figaro, Le Point, Marianne notamment) et des notes pour divers médias et think tanks anglophones et francophones
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