La Chronique de Rachel Darmon. « J’ai quitté mon îlot de guerres »

Votre serviteur ( serviteuse?) a quitté son îlot de guerres, direction: Europe. À l’aéroport, je descends le long couloir menant à l’envol. Au mur, une nouvelle exposition au titre grandiloquent, « Israël pour l’éternité ».

Rien que ça! J’ignore de quoi sera fait demain, si mon avion arrive à bon port, ce n’est pas le moment de me stresser avec l’éternité!

Une série de photos montrant des découvertes archéologiques « extraordinaires », souterraines, profondes, symboliques. Des légendes aux messages patriotiques et pompeux. Il ne me reste plus qu’à me mettre au garde à vous, à chanter l’hymne national et à hisser le drapeau.

Je découvre que c’est le ministère aux affaires de la Diaspora, le même qui a invité Jordan Bardella et Marion Maréchal à une conférence sur l’antisémitisme à Jérusalem, l’artisan de cette expo.

Face à cette galerie nationaliste – chauviniste – politique – tendancieuse – passionnante ( rayer les mentions inutiles) se trouvent à même le sol les posters des otages encore retenus dans les tunnels de l’enfer. Les larmes coulent toutes seules. Ce couloir, qui nous mène vers ailleurs,  illustre bien l’écart entre  le gouvernement obtus, plein de propagande et la société civile, dans la douleur et la lutte pour ramener les vivants.

Dans l’avion enfin (je vous épargne la liste des achats au duty free). La tête contre le hublot. Je vais m’assoupir lorsque mon voisin me secoue. Je reconnais sa voix métallique. Mon ami alien ne me lâche pas!

-« Penses-tu vraiment  qu’en t’éloignant d’Israël tu vas t’éloigner des problèmes? De la guerre? Du Maître Suprême au pouvoir depuis presque deux décennies et de sa campagne de destruction systématique de la seule démocratie de la région? “

– On se tutoie maintenant?

– Tu sursauteras à chaque sirène, à la recherche d’un abri, tu dévoreras les nouvelles chaque jour… tu es habitée. Tes amis Français te raconteront leurs frayeurs, leurs déceptions, leurs solitudes. Même les macarons de Carette n’effaceront pas la réalité.

J’ai fermé les yeux ( on n’a pas le droit de mettre un coup de tête à son voisin, alien ou pas). Avant de m’endormir je l’ai entendu dire « Dehors, ça ressemble au quartier où j’ai grandi ». J’ai cru déceler une once de nostalgie dans sa voix de robot. Puis j’ai trouvé le sommeil dans les nuages.

© Rachel Darmon

Née à Paris, Rachel Darmon vit en Israël depuis plus de 30 ans. Professeur de français, éducatrice, guide touristique, elle a toujours écrit. Lauréate du « Prix des arts et des lettres » pour sa nouvelle « Le mur du bruit », elle a publié deux romans chez Folies d’encre : « Le gâteau de Varsovie » et « Tâter le diable ».