
Alors que l’Algérie a rejeté « sur la forme et sur le fond » la liste des ressortissants « dangereux » que la France voulait expulser en priorité du territoire national, Bruno Retailleau a aussitôt annoncé la mise en place d’une « riposte graduée ».
Bruno Retailleau avait menacé ce samedi de quitter le gouvernement si Paris cédait face à l’Algérie, qui refusait de reprendre ses ressortissants en situation irrégulière sur le territoire national.
Foulant aux pieds les règles du droit international, le régime du président Tebboune, agissant à la manière d’un « État voyou », a refoulé pas moins d’une vingtaine de compatriotes interdits du territoire français et sous le coup d’une procédure d’expulsion.
L’un d’eux était accusé de violences sur sa conjointe en présence d’un mineur, en décembre 2023, puis, la semaine suivante, d’avoir frappé en état d’ivresse un policier municipal. Après une tentative de débarquement avortée, il a été reconduit dans le centre de rétention administrative (CRA) de Metz. Le lendemain, deux autres ressortissants algériens, Abdelkadir B. et Nas Eddine K., respectivement condamnés pour trafics de stupéfiants à Montpellier et vols aggravés dans les Hauts-de-France, ont été expulsés vers leur pays d’origine avant d’être à leur tour refusés par l’Algérie et renvoyés en France.
Comme ces Français qui lui demandent de reprendre le contrôle de l’immigration dans le pays, Bruno Retailleau veut que cela cesse. Conformément à ce qu’il avait promis, il avait finalisé ces dernières semaines une liste de « plusieurs centaines » de ressortissants algériens aux « profils dangereux » à renvoyer en Algérie, dans une stratégie de « riposte graduée » contre le régime du Maghreb. Une liste finalement rabotée à une soixantaine de cas, loin des aspirations initiales du ministre. Ces individus présentent un danger « parce qu’ils ont commis des troubles à l’ordre public ou parce qu’ils figurent dans notre fichier des radicalisés pour terrorisme », a martelé en petit comité Bruno Retailleau.
Les tensions déjà vives entre Paris et Alger étaient encore montées d’un cran au lendemain de l’attaque au couteau de Mulhouse, le 22 février dernier. À la stupeur générale, les Français ont découvert que Brahim A., l’Algérien de 37 ans qui avait poignardé à mort un passant et blessé six autres personnes aux cris d’ »Allah akbar ! », avait déjà fait l’objet de quatorze tentatives d’expulsion vers son pays d’origine. En situation irrégulière depuis son arrivée en France, en 2014, il était sous le coup d’une OQTF depuis novembre 2023.
Alors que le premier ministre, François Bayrou, avait jugé la situation « inacceptable », Bruno Retailleau avait déploré : « Cet attentat n’aurait pas eu lieu si l’Algérie avait respecté ces obligations ».
Le ministre d’État sait qu’il n’est plus seul à assumer le bras de fer. « La France assume un rapport de force. Désormais, cette fermeté n’est plus seulement la mienne, mais celle du premier ministre, et donc du gouvernement. Cela a été la conclusion du comité interministériel de contrôle de l’immigration. Je me réjouis de voir que notre pays relève la tête ».
Dès le 26 février dernier, à l’issue d’un comité interministériel de contrôle de l’immigration, François Bayrou avait frappé du poing sur la table en évoquant une possible dénonciation des accords de 1968, qui donnent un statut particulier unique pour les Algériens. Sous forme d’un ultimatum qui ne dit pas son nom, l’hôte de Matignon avait donné à Alger un délai d’ »un mois, six semaines » pour vérifier que le régime de Tebboune se mette au diapason des accords internationaux. « Pendant ce temps, va être présentée au gouvernement algérien une liste ‘d’urgence’ de personnes qui doivent pouvoir retourner dans leur pays et que nous considérons comme particulièrement sensibles », avait-il annoncé. « S’il n’y avait pas de réponse au bout du chemin, il n’y a pas de doute que c’est la dénonciation des accords qui serait la seule issue possible ».
Un scénario que le premier ministre disait alors ne « pas souhaiter ». Pour mémoire, les accords de 1968 ont déjà été révisés à trois reprises. Paris et Alger étaient convenues en 2022 de les modifier une nouvelle fois, mais sans concrétisation à ce jour.
Pendant ce temps, l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal, arrêté le 16 novembre dernier, croupit dans les geôles algériennes alors qu’il est âgé et malade.
Vent debout contre le sort réservé à celui qu’il considère comme un « prisonnier politique », Bruno Retailleau n’a pas de mots assez durs pour fustiger « une situation qui n’honore pas le régime algérien ». Surfant sur une rente mémorielle vieille de plusieurs décennies, à l’origine d’une crise exacerbée depuis qu’Emmanuel Macron en a dénoncé l’existence en 2021, l’Algérie, avec sa réaction à cette liste, ne fait pas mentir la crainte du ministre de l’Intérieur qui indiquait il y a peu : « Ce sera l’épreuve de vérité ».
Selon les informations du site « Intelligence Online », le gouvernement aurait dressé, dès la mi-février, une liste de 800 personnes membres de la nomenklatura algérienne qui doivent désormais fournir des justificatifs administratifs si elles viennent en France.
Le rejet de la liste par les Algériens appelle une réponse ferme.
Mais la France ira-t-elle jusqu’au bout de sa détermination ? Au risque de brouiller le message d’un gouvernement sous forte pression politique sur le front brûlant de l’immigration, Emmanuel Macron s’est quant à lui déclaré, le 4 mars dernier, « favorable, non pas à dénoncer, mais à renégocier » l’accord de 1968.
Comme un rappel à l’ordre à l’encontre de son premier ministre, le chef de l’État a rappelé au passage que ce traité relevait de la seule prérogative présidentielle et qu’il avait « acté » en 2022, avec son homologue algérien, Abdelmadjid Tebboune, sa « modernisation ».
Il n’est pas certain que ce soit en soufflant le chaud et le froid que Paris fasse plier Alger et sa posture plus que jamais retorse. Le pari est d’autant plus incertain qu’il risque de remettre en cause de précieuses coopérations dans les domaines du renseignement, de la lutte antiterroriste et du crime organisé.
© Christophe Cornevin Jean-Marc Leclerc
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