Hamid Enayat. Iran : un séisme politique en vue ?

Les évolutions politiques et sociales en Iran se déroulent à un rythme sans précédent. Les signes de cette crise sont visibles à travers divers événements récents, notamment un rassemblement de femmes vêtues de linceuls devant le Parlement iranien.

Sans autorisation légale, elles ont bloqué les routes pour exiger l’application stricte de la loi sur le hijab obligatoire. En réponse, certaines factions du régime ont jugé ces manifestations suspectes, affirmant que les participantes avaient été rémunérées pour y prendre part.

Mahmoud Nabavian, membre influent du Front de Persévérance (Jebhe-ye Paydari), un parti au sein du gouvernement, a décrit ces protestations comme faisant partie d’un « plan ennemi » visant à semer des troubles dans le pays.

Ce qui complexifie encore davantage la situation, c’est la montée des tensions internes au régime, qui pourraient s’embraser et aboutir à une crise majeure, voire à un soulèvement populaire.

« La guerre des loups »

Contrairement à d’autres pays, la structure politique iranienne ne repose pas sur des factions traditionnelles. À la place, le régime est dominé par des groupes mafieux se livrant une lutte acharnée pour le pouvoir et l’enrichissement personnel. Ces rivalités internes, connues parmi les Iraniens sous le nom de « guerre des loups », ont atteint un niveau de violence tel que même le guide suprême, Ali Khamenei, semble incapable de les contenir.

Ces crises révèlent des fractures profondes au sein du régime et une situation sans précédent qui menace directement sa survie.

L’une des factions dominantes, dirigée par un ancien candidat à la présidentielle, estime que la seule manière d’empêcher l’effondrement de la République islamique est d’appliquer strictement des lois répressives comme le port obligatoire du hijab. Pour ce groupe, compte tenu de l’explosion sociale imminente et des échecs répétés du régime sur la scène internationale, une répression accrue est essentielle pour maintenir le contrôle.

Cependant, le Conseil suprême de sécurité nationale — la plus haute instance sécuritaire du pays — considère que l’application immédiate de ces lois pourrait déclencher un soulèvement et préfère les reporter. Cette divergence montre que même les directives de Khamenei ne sont plus systématiquement respectées au sein du cercle du pouvoir.

Destitution de hauts responsables : fissures dans le cabinet

La destitution du ministre de l’Économie, Abdolnasser Hemmati, ainsi que celle de Javad Zarif, vice-président (et ancien ministre des Affaires étrangères), est un autre indicateur de la crise interne du régime. Ces figures clés, qui occupaient des rôles stratégiques dans la gestion économique et diplomatique du pays, ont été évincées sous la pression croissante des factions rivales.

Khamenei avait maintenu Zarif au sein du gouvernement afin de maintenir une ouverture diplomatique avec l’Occident. Mais aujourd’hui, sous la pression des courants ultraconservateurs, et alors que Zarif est jugé « périmé », il a été écarté. Parallèlement, un groupe influent de députés, défiant l’autorité de Khamenei, exige l’application stricte des lois sur le hijab et la morale islamique.
Ces événements illustrent une réalité cruciale : Khamenei ne contrôle plus totalement son propre gouvernement.

Les méga-crises en Iran

Au-delà des luttes politiques internes, l’Iran est confronté à des crises multiples et de grande ampleur :

  • Deux tiers de la population vivent désormais sous le seuil de pauvreté.
  • La monnaie nationale s’effondre, accélérant l’inflation incontrôlée.
  • La corruption gangrène tous les secteurs de l’économie et de l’administration.
  • Des coupures d’électricité ont provoqué la fermeture des écoles et des usines.
  • Téhéran, la capitale, est au bord d’une crise majeure de pénurie d’eau.

Selon l’ancien ministre de l’Économie, plus d’un million de litres de diesel sont quotidiennement exportés illégalement. La montée de la pauvreté et les avertissements des médias proches du régime sur un « soulèvement des affamés » inquiètent profondément les autorités.

Par ailleurs, les échecs stratégiques du régime dans la région aggravent les tensions au sein du pouvoir et fragilisent davantage la position de Khamenei. Pourtant, ce dernier continue d’affirmer dans ses discours que « nous sommes devenus encore plus forts ».

L’essor des unités de résistance

Au cours de la dernière décennie, les unités de résistance, créées par l’Organisation des Moudjahidines du Peuple d’Iran (OMPI/MEK), sont devenues le principal défi du régime. Ces milliers d’unités, réparties à travers le pays, ont joué un rôle actif lors des grandes révoltes de 2019 et 2022.

Le régime a tout tenté pour empêcher la reconnaissance de leur existence par la communauté internationale. Mais malgré une répression brutale et des exécutions massives de leurs membres, ces unités continuent de s’étendre et de gagner en influence.
Les factions du régime débattent de la meilleure stratégie pour contenir ces mouvements :

  • Une répression directe et brutale.
  • Une répression plus ciblée et stratégique pour préserver l’image du régime sur la scène internationale.

Mais dans tous les cas, la crainte principale reste la même : qu’un soulèvement incontrôlable marque la chute du régime.

Un changement d’ère

L’Iran semble entrer dans une nouvelle phase. L’échec du régime sur plusieurs fronts — de l’affaiblissement du Hezbollah et des groupes armés affiliés à l’aggravation des crises internes — accentue la pression sur le gouvernement.

Dans le même temps, la politique occidentale de complaisance envers l’Iran a changé : la communauté internationale ne ferme plus les yeux sur les crimes du régime, du moins concernant son programme nucléaire.
Les conditions désormais posées pour toute interaction avec l’Iran incluent :

  • L’arrêt total et vérifiable du programme nucléaire.
  • L’abandon du soutien aux groupes armés dans la région.

Face à cela, le régime se retrouve à un tournant décisif :

  1. Continuer son programme nucléaire et son soutien aux milices, comme jusqu’à présent.
  2. Négocier avec la communauté internationale et abandonner ces projets en échange d’une levée progressive des sanctions.

Jusqu’à présent, Khamenei a obstinément choisi la première option. Il a publiquement déclaré que négocier avec les États-Unis « n’est ni rationnel, ni intelligent, ni honorable ».

Un précédent historique ?

Une exception historique existe cependant : en 1988, après des années de guerre contre l’Irak et malgré ses promesses de combattre « jusqu’à la dernière maison de Téhéran », Khomeini a été contraint d’accepter un cessez-le-feu — et non une paix — face à la menace de l’Armée de Libération Nationale d’Iran (branche militaire de l’OMPI basée à l’époque à la frontière irakienne).

Mais aujourd’hui, avec la faiblesse extrême de Khamenei et la fragilité du régime, il semble peu probable qu’il puisse reculer de manière aussi stratégique, même si sa survie en dépendait. Contrairement à Khomeini, Khamenei pourrait être incapable de sauver son régime d’un effondrement imminent.

© Hamid Enayat

Hamid Enayat, politologue, spécialiste de l’Iran, collabore avec l’opposition démocratique iranienne (CNRI).

Source: la Dépêche

https://www.ladepeche.fr/2025/03/17/tribune-iran-un-seisme-politique-en-vue-12575093.php

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