
Monsieur le Maire,
Vous écrivez en préambule de votre tribune : « Pour le régime algérien vieillissant et sclérosé, qui s’accroche à un logiciel politique dépassé, cette liberté d’esprit (scil. de Boualem Sansal) est intolérable ». Permettez-moi quelques remarques à propos de cette phrase qui me paraît discutable sur certains points. Permettez-moi aussi quelques digressions qui ne viendront pas trop nuire, je l’espère, à la cohérence d’ensemble de ma lettre. Car l’affaire Sansal, au-delà d’une injustice faite à un homme, révèle le rapport que nous entretenons désormais avec le pouvoir politique, la force, la guerre et qui peut se résumer dans le désolant « en même temps » macronien : faire d’une main ce qu’on défait de l’autre dans le seul but de durer, de faire semblant de faire, de ne rien faire. En somme, il existe, selon moi, un rapport étroit entre la façon dont on abandonne un écrivain à son sort pour de mauvaises raisons et la façon dont on soutient l’Ukraine qu’on prétend ne pas abandonner pour d’autres mauvaises raisons.
Mais avant tout, M. Estrosi, soyez chaleureusement remercié pour avoir dit ce que vous avez dit. Il est bon que les hommes politiques de notre pays expriment publiquement leur solidarité avec Boualem Sansal, embastillé depuis quatre mois par l’arbitraire du régime algérien, et qu’ils rompent ainsi le silence qui entoure son incarcération pour dénoncer le calvaire qu’il endure. Les expressions publiques de soutien à sa personne auront été fort rares, il faut le constater, hélas, et le regretter. Il est donc tout à votre honneur d’avoir eu le courage d’aller à contre-courant de ces élus, ces universitaires, ces journalistes trop nombreux, qui ont préféré se taire par prudence ou par solidarité avec nos compatriotes franco-algériens, comme on a pu l’entendre, étrangement, dans la bouche de M. Fenech sur Europe 1, les supposant hâtivement solidaires d’un État que beaucoup pourtant avaient fui en cherchant refuge en France. Quant à la gauche, ce n’est pas son silence qui est à déplorer, mais plutôt la manifestation d’une solidarité bruyante avec l’Algérie, ses marques de réjouissance en apprenant l’arrestation de notre compatriote. Après le décès de Jean-Marie Le Pen, LFI se prépare à fêter la mort possible d’un écrivain, détenu dans un cachot où pas même son avocat ne peut lui rendre visite, faute d’un visa, pour les raisons que l’on sait, et qui soulignent mieux l’ignominie de la pègre corrompue qui dirige ce pays. Le sourire énigmatique de Rima Hassan, la Mona Lisa du Hamas, peut laisser présager le pire en la matière, elle qui n’hésite pas, par la perfidie de son vote à Strasbourg, à charger notre compatriote, censé être aussi son compatriote. Mais plus que des soutiens verbaux qui ne coûtent pas grand-chose dans le fond, ce sont des actes que l’on attend de la part des hommes politiques français, de ceux qui sont au pouvoir et, peut-on l’espérer, qui ont du pouvoir. Tous ces Macron, Malhuret et consorts, qui n’ont de cesse d’inonder ad nauseam les chaînes d’information de leurs bavardages pour nous rappeler leur existence, ou nous faire oublier leur lâcheté ou, peut-être pire, leur totale impuissance.
Le régime islamo-stalinien algérien, propriété exclusive et officielle du FLN, et, en sous-main depuis 1962, de l’État-major des forces armées, a toujours su montrer au public des momies, – souvenons-nous de M. Bouteflika, le premier mort de l’histoire à jamais diriger un État – ou des vieillards, comme l’actuel M. Tebboune par exemple. Cela s’appelle de la ruse. Faire croire au monde entier que le régime est sur le point de trépasser quand ses forces vives, dans l’ombre, le contrôlent et le conduisent d’une poigne de fer.
L’idéologie qu’exprime ce régime n’est donc pas comparable à un logiciel, comme vous l’affirmez. C’est mal connaître la nature et la fonction de ce qu’est une idéologie. Permettez-moi de vous suggérer une relecture de Marx toujours utile sur ces questions, et d’ailleurs sur quelques autres, ce que ne cessait de rappeler en son temps Raymond Aron. Parler de « logiciel » est une image impropre à double titre. D’une part, parce qu’elle laisse croire qu’il suffirait de le changer, par une simple mise à jour, pour résoudre un problème qu’on tiendrait pour simplement technique. D’autre part, parce qu’elle fait croire que ce « logiciel » serait dépassé ou obsolète. L’actualité récente en France, et plus largement dans le monde occidental, montre qu’il n’en est rien, que, chez la jeunesse wokisée ou islamisée de notre pays, le gouvernement algérien fait figure de porte-drapeau des opprimés, paraissant même davantage à son écoute que notre vieille République laïque avec ses droits naturels dits de l’homme, lesquels ne sont que blasphème au regard des droits d’Allah, de la charia, ou manifestation d’une islamophobie institutionnelle et civilisationnelle des plus inacceptables et humiliantes pour ces musulmans qui s’en disent les victimes.
Enfin, concernant Boualem Sansal, la liberté d’esprit n’est pas du tout ce qui éveille la colère des autorités d’Alger. Le gouvernement algérien, qui ne sait rien de la liberté et cela depuis ses origines, ne craint guère de la découvrir chez les autres ou d’en paraître offusqué. Ce gouvernement peu sensible visiblement à l’esprit, l’est uniquement à ses intérêts. La reconnaissance par la France de la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental en est la seule raison essentielle. En cela, il se comporte comme tous les gouvernements de tous les États du monde. Sauf peut-être les nôtres qui écoutent leurs intérêts comme les autres, mais toujours avec mauvaise conscience et moult déclarations jésuistiques pour ne pas (se) l’avouer. L’Algérie nous donne une vraie leçon de réalisme, voire de cynisme, et cela à nos propres dépens, leçon dont il serait bon que nous tirions quelques enseignements utiles.
Vous vous placez encore par votre propos liminaire, M. Estrosi, permettez-moi de vous le dire sans vouloir minimiser votre courage, sur le terrain des valeurs et de la morale, sur lequel l’Occident évolue depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, au prix de son progressif effacement de la scène de l’histoire. Ce qui est une façon pour lui d’expier la shoah au prix d’une haine de soi qui le déconstruit à la racine. Il faudrait commencer par relire de toute urgence d’autres classiques que les Épîtres de Paul ou les Évangiles qui n’offrent pour seul horizon à l’humanité dans son ensemble que la mondialisation des échanges et la sacralisation d’un homme individuel devenu le Dieu unique de ceux qui ne croient plus en Dieu, et que je nomme à titre personnel, inspiré par la lecture de Nietzsche, un « christianisme sécularisé ». Il vaudrait mieux chercher à relire Machiavel, s’inspirer de l’action d’un de Gaulle, d’un Clemenceau ou d’une Golda Meir, enfin observer avec attention et intérêt Donald Trump, en arrêtant de ne voir en lui que la réincarnation caricaturale de l’Empereur Néron, comme l’affirme complaisamment M. Malhuret. Un bien mauvais paroissien, me direz-vous ? Peut-être, mais qui a été élu triomphalement par un peuple américain fatigué des extravagances du wokisme qui valent bien celles de Néron. Quant à Machiavel, il n’aura pas été l’inspirateur de Hitler, comme le croient ceux qui ne l’ont pas lu, mais le moyen intellectuel de le combattre comme de Gaulle et Churchill, chacun dans leur style, auront su le montrer en s’en inspirant. Les États, ces monstres froids, ne connaissent que les rapports de force et l’égoïsme – parfois conjugué à d’autres –, de leurs intérêts personnels.
La morale n’a décidément rien à voir avec la politique. Ce qui ne veut pas dire que la politique serait par nature immorale. L’immoralité, on s’en persuade mieux depuis le 7 octobre, c’est le sadisme des miliciens néonazis du Hamas, livrant à Israël, dans une mise en scène répugnante, les cadavres de ceux qu’ils auront assassinés. L’amoralité est tout autre chose. C’est comprendre que ce que vise la politique s’appelle la paix, l’entente, le compromis entre les nations, sans chercher à les convertir au préalable, l’évitement de la guerre par la diplomatie, la fin de la guerre par des ententes toujours partielles, relatives et provisoires, que sont tous les traités de paix venant, tout au long de l’histoire, mettre un terme aux guerres, cette façon dernière de faire de la politique par le moyen toujours mesuré de l’emploi des armes et rien d’autre. La finalité d’une guerre n’est pas de tuer pour tuer, voire pour le plaisir de tuer, comme le prétend une doxa anarchiste et pacifiste. Elle est un emploi de la force armée visant un but strictement politique, le moyen de faire céder un adversaire qui est aussi un ennemi, lequel veut, de son côté, nous faire céder et nous soumettre à ses propres raisons. De sorte qu’une guerre peut toujours être éphémère et ne durer que « six jours » si l’adversaire prend peur et se débande aux premiers coups de canon. La menace est souvent plus forte que son exécution et elle suffit à atteindre ses objectifs politiques, mieux parfois que s’ils étaient entrepris effectivement en faisant couler le sang.
La guerre est tragique et ne doit pas être souhaitée pour elle-même : elle n’a rien de désirable, elle n’est pas bonne en soi, elle n’est qu’un moyen pour une fin, la paix, qui lui reste toujours extérieure et relève exclusivement de la politique mais jamais de la morale ou de la foi religieuse. Quant au va-t-en-guerre, c’est celui qui vit de la guerre, qui en fait profession, qui n’hésite pas à inciter les autres à aller la faire, à sacrifier leur vie, pour se donner le beau rôle, celui de faire de beaux discours, au point de croire à la fin que lui seul sur son estrade fait la guerre, tandis que ceux qui la font vraiment, les armes à la main, se contentent bêtement d’y mourir. De Maurice Barrès, le rossignol des tranchées, aux enseignants de Sciences Po qui se bousculent sur France-Info pour nous expliquer comment vaincre Poutine et Netanyahou, ou des généraux-consultants qui préparent déjà le défilé de la victoire, la liste des braves en gueule est particulièrement longue. Enfin, le traité de paix que vise la guerre ne doit pas être la continuation de la guerre par d’autres moyens, comme le fut, en son temps, le traité de Versailles avec les conséquences dramatiques que l’on sait. La guerre doit aboutir à une paix juste, acceptable par les ennemis d’hier. Le christianisme a introduit dans les esprits cette idée folle que la guerre serait une lutte apocalyptique n’ayant pour seule fin que de jouir du triomphe inconditionnel de la vérité et du bien : une guerre par conséquent éternelle, tant que durera le monde, tant que le mal trouvera encore place en lui, une guerre sans paix possible, une guerre désespérée ou du désespoir puisque la guerre n’est plus un événement mais qu’elle devient alors la condition ordinaire des hommes qui vivent et habitent la terre. Pour ne plus être autre chose qu’un militaire ou un militant quand il faudrait préférer être un homme et savoir retourner à sa charrue, une fois la guerre terminée. Certes, on ne fait pas la paix avec le mal, on l’élimine à juste titre, on le défait militairement quand cela est nécessaire et que l’occasion se présente. Mais même contre le mal, on doit se garder de sombrer dans la folie de Quichotte en voulant l’éradiquer partout les armes à la main, à travers le moindre des déguisements dont il se vêt pour se dissimuler ou se rendre aimable. Car c’est alors que le mal nous aura vaincus, malgré nous, nous réduisant à être cette sorte de chevalier à la triste figure, serviteur d’une guerre sans fin où nous aurons perdu notre âme, rendus fous par un ennemi que nous n’aurons pas pu faire disparaître bien qu’il ait occupé toute notre existence. Si, en 1945, les Alliés ont détruit par les armes ce régime criminel que fut le nazisme, ils ont su aussi mettre un terme à la guerre, juger les nazis et faire la paix avec l’Allemagne, avec la nation allemande, celle-là même qui avait porté, douze ans auparavant, Hitler au pouvoir. Jusqu’à le faire parfois avec une complaisance qu’on peut juger coupable. Mais il relève de la justice des hommes de ne pas se prendre pour la justice de Dieu en voulant juger les affaires humaines, comme Dieu jugera l’humanité le jour du Jugement Dernier. Accepter quand on est un homme et non un dieu que les choses humaines aient une fin, qu’un jour les guerres cessent, que les poursuites s’éteignent, que la mémoire n’oublie pas l’oubli pour rester capable de se souvenir, qu’elle soit cette oublieuse mémoire dont parle Michaux. Et disant cela, comprenez bien qu’il ne s’agit nullement pour moi de pardonner ou d’oublier les œuvres du mal, de tourner la page. On ne pardonne pas l’impardonnable, on le juge chaque fois qu’il est juste et possible de le faire, mais le juger ne signifie pas penser y mettre un terme, purifier le monde, restaurer sa santé ou faire son salut. Car le dire et le croire, ce serait partager le discours et la croyance les plus ordinaires et les plus maléfiques du mal lui-même.
L’amoralisme, modestement mais avec réalisme, se contente d’œuvrer dans l’espace, par-delà le bien et le mal, et vise seulement le « nomos » de la terre, soit un partage de la terre et de ses ressources suivant l’adage latin classique du « tribuere suum cuique ». La guerre « morale », entreprise au nom du bien, à l’inverse, est une apocalypse qui se conclut avec la fin de l’histoire ou le Jugement de Dieu, c’est-à-dire jamais, puisqu’il n’y a rien à partager sinon jouir de la vérité en étant le sujet de son royaume. La morale cherche le souverain bien, la politique se contente d’accorder les hommes et, comme avec un instrument de musique ou un orchestre, « accorder », on le sait bien, c’est toujours « réaccorder », mettre un terme au désaccord, à la discorde, quelquefois avec les moyens extrêmes du canon, cette ultima ratio regum. En fidèles chrétiens qui ne croient plus en Dieu, nous, les Occidentaux, chrétiens d’après la mort de Dieu, nous voulons une paix perpétuelle, résultat d’une conversion des âmes, une paix qui mettrait fin à toute guerre au terme d’une guerre sans fin, rendant précisément une telle paix impossible, puisqu’elle n’est que l’imagerie de notre espérance. Mais sans vouloir non plus s’y engager, se salir les mains pour l’entreprendre, puisqu’on la devine impossible à mener au vu du terme idéal qu’on lui assigne. Faire, somme toute, une guerre impossible à gagner tout en préférant garder les mains propres en ne la faisant pas. Cette contradiction est au cœur de notre ardeur guerrière toute verbale et de notre lâcheté, de nos renoncements vertueux qui sont les conséquences résultant de l’entrevue de cette impossibilité. On ne peut envisager de se vouer qu’aux combats qu’on croit gagnables. Les autres, on préfère les écarter, ne pas s’y livrer à moins peut-être de croire au martyre et au sacrifice, mais qui restent dans le fond, toujours et encore, une autre façon de se convaincre qu’on peut gagner quelque chose par sa propre mort.
La politique, redisons-le, n’a rien à voir avec un quelconque angélisme. Qui veut faire l’ange fait la bête, on le sait depuis Pascal. Là où se déploient les relations internationales, il s’agit de faire jouer des forces spéciales actives, capables de défendre les intérêts des États qui les emploient. Et qui œuvrent bien souvent dans le plus grand secret et avec des moyens que la morale réprouve, et pour atteindre des buts clairement réalisables. Machiavel nous le disait déjà : ces moyens sont au service de la seule vraie morale qui vaille, non pas celle des bons sentiments et des vertus chrétiennes mais de la défense de l’État lui-même, de sa pérennité et, à travers lui, des intérêts d’une nation qu’il est censé protéger. Israël nous en montre souvent de bien beaux exemples. « Je préfère vos condamnations à vos condoléances », disait admirablement Golda Meir. Le comble de l’immoralité en politique, ce n’est pas de violer le cinquième commandement qui ne s’adresse qu’à des personnes humaines, mais de laisser l’État, personne morale, sombrer en permettant la guerre civile, le bellum omnium contra omnes, cette guerre de tous contre tous, contre laquelle Hobbes nous met en garde. De ne plus assurer les missions dites « régaliennes » de l’État au profit exclusif des questions « sociétales », jusqu’à faire que les citoyens se sentent en danger et menacés au cœur-même de l’intimité de leur vie quotidienne.
Sentiment d’insécurité qui fait partie intégrante de la sécurité, là où la gauche avec ses bataillons de sociologues, ses maîtres de conférences, son lumpenproletariat intellectuel, produit de la massification de l’enseignement, croit bêtement qu’un tel sentiment ne serait qu’une illusion subjective, un fantasme, mis dans la tête des gens à force de les laisser regarder CNews ou écouter le juif Hanouna sur Europe 1. En réaction à quoi, le petit peuple, qui n’a pas fait assez de sociologie pour se convaincre que son sentiment serait la seule cause de l’insécurité qu’il vit tous les jours, quand il le tient, avec bon sens, pour l’effet même de cette insécurité, et qui n’a pas non plus la chance de vivre dans ces villes « wokes » de gauche où les portes des appartements sont blindées et les racisés des agents de sécurité qui protègent les résidents au lieu de les racketter un couteau sous la gorge, ce petit peuple méprisé vote, lui, massivement pour l’extrême droite, et le fera bien après que la gauche, l’Arcom et les sociologues, ajoutant l’humiliation au mépris, auront réussi dans un avenir proche à fermer CNews, au prétexte qu’on doit respecter la « liberté d’expression » et les bonnes manières.
Petit peuple méprisé, en effet, par une partie de la gauche et qu’elle qualifie volontiers de « fasciste », de la part de ceux qui dénoncent sans cesse le mépris de classe ou le racisme à l’endroit des migrants, et qui, par facilité, nomment « fascistes » tous ceux qui ne pensent pas comme eux, sans même pouvoir imaginer que la plupart de ceux qu’ils nomment de la sorte le sont souvent beaucoup moins que les belles âmes qui les affublent de ce nom. Cette régulation un peu stricte qui s’opère chez ces donneurs de leçons, disons carrément cette censure, prétend favoriser la liberté d’expression, à ce que disent ces censeurs. De sorte que si dans les faits la gauche censure et fait régner un terrorisme intellectuel comme on a toujours censuré et terrorisé de tous temps, elle nie le faire puisqu’elle dit se montrer seulement soucieuse de travailler au respect du droit, bafoué par ceux qu’elle doit faire taire juridiquement et moralement. La gauche est devenue puritaine, calviniste et, cerise sur le gâteau, antisémite. La liberté dont elle se veut la gardienne vigilante étant à chercher, comme l’avait formulé Spinoza, le père spirituel du dogmatisme moderne, non pas dans un choix, un pluralisme, cette vaine illusion du libre- arbitre, mais dans la suppression impitoyable de tout ce qui fait obstacle à une chose afin qu’elle soit libre, suppression d’autant plus souhaitable quand la chose empêchée ou entravée est la vérité elle-même ! Quand on (dé)tient la vérité, laquelle est vérité seulement parce que je suis l’autorité qui en pose les principes sans contradiction, il devient parfaitement vain d’entendre, d’attendre, de rajouter quelque chose de plus pour faire son salut et vivre dans la joie. Pas de liberté pour les ennemis de la liberté. Qu’on médite ce mot vertigineux de Simone de Beauvoir : « La vérité est une : l’erreur, multiple. Ce n’est pas un hasard si la droite professe le pluralisme. » A quoi bon en effet en rajouter quand tout serait dit, sinon par un plaisir pervers de perdre son temps et le faire perdre aux autres, de ternir coupablement l’éclat de la vérité et chercher par intérêt à tenir l’humanité dans la servitude ? C’est en somme, forger un terrorisme intellectuel à toute épreuve, qui, comme le disait Deleuze, se doit de refuser par principe tout débat avec le faux, puisqu’on est assuré de posséder soi-même la vérité enfin more geometrico. Il faut oser appeler « sagesse » l’adhésion exclusive à un système unique où la vérité se montrerait toute nue, et « folie » la liberté de penser en doutant de tout. L’Éthique est ainsi le premier livre philosophique moderne à faire usage de la novlangue sans la nommer.
Pas étonnant que Spinoza soit la référence obligée de la gauche stalinienne ou anarchiste qui croit en la liberté d’expression de la seule vérité et que Descartes reste celle d’une droite qui croit encore au pluralisme ou à la liberté d’expression des hommes.
Pas étonnant, non plus, qu’on se sente en droit, quand on est un spinozien de gauche, de fermer une chaîne de télévision, comme jadis on mit le feu, selon la légende, et pour les mêmes raisons, à la Bibliothèque d’Alexandrie. Avec une telle conception de la liberté d’expression qui consiste à laisser uniquement s’exprimer celui-là seul qui détient la vérité et peut légitimement parler en son nom, – là où le petit peuple caresse la bête immonde et regarde CNews en buvant de la bière –, la liberté d’expression de la gauche, et d’elle seule, se voit enfin garantie et son travail de censure devient une œuvre d’émancipation légitime à l’endroit d’un petit peuple qu’on ne cherche même plus à rééduquer mais à réduire au silence, à faire taire, à humilier. Car ce peuple, la gauche ne le représente plus, elle le méprise et souhaite clairement qu’il disparaisse, qu’il soit « grand » remplacé. La dernière fois qu’un programme génocidaire était ainsi ouvertement rendu public, ce fut au Rwanda, sur l’antenne de Radio mille collines… L’extrême gauche ne dispose pas encore des moyens du regretté Beria pour aider à imposer le vrai par la liquidation du petit peuple des campagnes, traditionnellement hétérosexué et blanc, et qui lui fait obstacle. Ah ça ira, ça ira ! Un peuple des campagnes qui a longtemps été l’âme de la France et que la gauche voudrait voir au plus tôt refoulé de chez lui par le peuple des « quartiers » en pleine expansion démographique. Mélenchon, le chantre de la « créolisation » heureuse, euphémisme insoumis pour nommer la solution finale qui viendra remplacer la vieille France, a fini par convaincre ses satellites de laisser le petit peuple croupir dans sa misère et cuver son mauvais vin, et ses régulateurs, comme Patrick Boucheron, le Grand Inquisiteur du Collège de France, le soin de faire taire à coup de cognée ceux qui dans la faschosphère auraient encore des choses à rajouter une fois la messe dite par les officiants de l’Université. « Ne perdez pas votre temps avec eux », disait Mélenchon en parlant de ces gens qui votent désormais pour Marine. Probablement que le grand Timonier s’en occupera plus tard, en effet, c’est fort probable, comme Staline l’avait fait une fois au pouvoir avec les koulaks. On a hâte de voir la mise en œuvre de ce programme émancipateur dans le cadre de la VIe République qui vient. Quand Hobbes expliquait que la « guerre civile » était la fin de la politique au sens de sa disparition, Mélenchon, à l’inverse, en fait son seul et unique but. Sont- ce sur ces ruines qu’il espère, en bon « républicain », accéder un jour au pouvoir ? Puisse Dieu, s’il existe, nous en préserver.
© Alain Bienaimé
_________
À Relire:
https://www.tribunejuive.info/2025/03/10/bou
J’ai remarqué que parmi les derniers républicains que nous sommes, ceux venant de la droite collent à la FI et à Macron les étiquettes de gauche tandis que ceux (moins nombreux) venant de la gauche collent à la FI et à Macron l’étiquette d’extrême-droite. Il y a des arguments chez les deux. L’important est qu’on soit d’accord sur l’essentiel : la FI et ses alliés sont des Nazis.