L’expression « Ne pas importer le conflit en France » sous-entend, déjà, l’aveu d’un échec. Par Philippe Sola, écrivain

Alors porte-parole du gouvernement, Olivier Véran avait appelé dès le 9 octobre 2023 à « ne pas importer le conflit en France »

La découverte de la philosophie en classe de Terminale me fit l’effet d’une bombe nucléaire : enfin, je pouvais tenter de m’émanciper de mes propres pensées, du carcan théorique et moral qu’on m’avait transmis. Carcan pesant et restrictif certes, mais carcan indispensable : le bateau ne peut désirer prendre la mer s’il n’est pas déjà amarré. Il faut des amarres pour pouvoir s’en libérer.

Quand je retrouvais en cours Monsieur A, notre prof de philo, je savais que j’allais passer du bon temps. Un temps de destruction et un temps de construction. C’était coûteux mais putain que c’était bon.

Il prenait toujours le contre-pied de nos croyances. Par exemple, lorsque nous évoquions le sujet des médias, de la télévision en particulier, il nous suggérait d’écouter plutôt les arguments de ceux qui nous incitent à regarder la télévision puis d’y réfléchir par nous-mêmes, plutôt que d’écouter ceux qui réprouvaient instinctivement les écrans. C’était au moment de la polémique du « temps de cerveau disponible ». Sans promouvoir l’écran, il soutenait qu’il valait mieux écouter ceux qui prêchent l’abrutissement par la télévision plutôt que ceux qui prétendent vouloir en libérer les esprits. Parce que le réel n’a que faire de l’illusion du savoir. Mieux vaut une chaîne bien visible qu’une prison invisible. Osé de parler ainsi à des ados de 17 ans, mais un vent bien plus frais que la moraline qui m’entourait.

Je me souviens qu’un jour en particulier, peut-être en étudiant Camus ou le thème de la justice, il nous tint ce discours improbable : « Dans un meurtre, il vaut toujours mieux être l’assassin que la victime ». Phrase problématique sur le plan moral, mais vraie sur le plan de la santé.

Les Sages d’Israël tirent cet enseignement d’un passage de l’Exode : « Si une personne vient pour te tuer, lève-toi d’abord et tue-la ». Autre phrase problématique. Pas très juive, d’ailleurs, selon moi, de prime abord. Les actes sont fondamentaux dans le judaïsme et mesurent la qualité de la réponse de l’humain à l’écoute de son centre, en soi, pas en dehors, lieu de la Présence, qui prend la forme d’un trou noir autour duquel tout gravite, nos idées, nos émotions, l’illusion de notre identité. (Les tornades me fascinent depuis toujours, parce qu’elles viennent nous rappeler que le centre est certes toujours vide, mais aspiration (voire inspiration), que les débris sont nos appartenances, les formes que nous donnons aux choses, et qu’elles se réorganisent toujours en fonction du centre vide.)

La Bible n’évalue pas tant l’intention que les actes humains. Un « Commandement » n’est pas l’obligation ou l’interdiction d’une intention, mais d’un acte. Alors quelle légitime défense, quelle justice, à tuer quelqu’un qui « viendrait pour te tuer » ? Que signifie « venir pour te tuer » ? Cette phrase est à décoder : on doit considérer que la « venue » d’un autre constitue un acte offensif, non en soi mais par l’intention qu’il nous appartiendrait de comprendre, voire d’accepter, par les paroles prononcées qui signalent l’intention, par les gestes, les menaces, qui précèdent l’acte. Le mot et la chose ont parfois un lien étroit. Quand le mot colle à la chose, quand le mot devient performatif, qu’il devient un acte, le Juif se méfie : il ne peut plus ne pas agir. En général, il ne se laisse pas berner par la magie, l’hypnose des mots, car il sait que ni lui ni personne n’a le dernier mot. Il peut s’approcher du mot, du Nom, le sentir vibrer en lui, il ne cède pas à l’illusion de l’identité du mot et de la chose, du mot et de lui. Car il n’est pas une chose. Le mot vrai n’existe pour lui, ne s’actualise, qu’en présence du sujet, dans l’espace ouvert et détendu de son centre.

Tuer pour ne pas être tué : dilemme cornélien auquel personne de sain ne souhaite être jamais confronté. Comme OSS 117 soutient, dans une réplique surréaliste (et hilarante),  « Pourquoi ne pas rêver, un jour, à une réconciliation entre Juifs et nazis ? », on peut rêver d’un pays où les Juifs et les antisémites vivraient heureux, enfin. On peut reconnaître le réel, mais le forclore, le minorer, le désavouer, avec ce genre de mots : « Oui le Hamas et une large partie de la population palestinienne est antisémite, mais la paix au conflit est toujours possible », « Oui le Hamas est antisémite et veut rayer Israël de la carte, mais c’est un conflit territorial », « Oui en Occident les Juifs ont raison d’avoir peur parce qu’ils sont effectivement menacés, mais quand même ils exagèrent leur peur, l’instrumentalisent, ils la provoquent un peu eux-mêmes ». Une façon de vivre la tension en la relativisant, en faisant penser à autre chose, en regardant un peu à côté : « Et sinon, à part ça… »

Quand il nous est demandé, à tous, de « ne pas importer le conflit en France », il nous est demandé, en réalité, de ne pas sortir de la forclusion, de ne pas se prendre le réel en pleine face. Il s’agit de n’avoir jamais, à raison du point de vue social, à mettre en œuvre la phrase « Si une personne vient pour te tuer, lève-toi d’abord et tue-la ». Mais quelle est cette « personne » qui « viendrait » ? A-t-on vu des Juifs s’en prendre à des musulmans dans la rue, au hasard, s’en prendre à l’avocat d’un écrivain parce que musulman, s’en prendre à un animateur de télé parce que musulman, kidnapper et tuer des bébés musulmans, brûler des mosquées, chasser des musulmans en ville après un match de foot, les menacer dans le métro, sur les réseaux sociaux, les contraignant à changer leur nom sur la boîte aux lettres, à ôter le voile des femmes, à se dire qu’ils vont peut-être devoir fuir ? 

Non. « Ne pas importer le conflit en France » est une manière pudique, honteuse, acceptable socialement, de ne pas dire la vérité, une soumission à l’équivalence demandée entre deux prétendues potentielles violences. Ne nous y trompons pas : il s’agit seulement de ne pas importer l’antisémitisme, sans pouvoir le dire ainsi. L’expression « Ne pas importer le conflit » sous-entend, déjà, l’aveu d’un échec. Échec à ne pas voir le réel, échec à ne pas essayer de le théoriser, de le comprendre, échec à la saine névrose de celui qui a besoin d’élaborer et de hiérarchiser pour se sortir de la contradiction. Le « rayon paralysant » n’est pas l’accusation d’antisémitisme, mais « ne pas importer le conflit » pour ne pas penser ce dernier et ne pas voir, en réalité, qu’il s’agit de ne pas faire augmenter l’antisémitisme qu’on ne parvient pas, sans même « l’importation », à faire baisser. Faut-il, pour le faire enfin baisser, qu’il n’y ait plus de Juifs sur terre ? Je crois que, même si les nazis avaient réussi à mettre en œuvre totalement la « Solution finale », ils auraient quand même été angoissés à l’idée d’une résurgence juive, angoissés que les cendres dispersées dans la fosse de Birkenau continuent de transmettre de la judéité, angoissés à l’idée qu’il y ait d’autres Juifs dans l’univers. Contradiction de tous les antisémites : il ne faut pas que tous les Juifs disparaissent. Peut-être que les Juifs ne peuvent pas mourir, en fait, pour les antisémites.

Pour sortir de l’équivalence suggérée dans l’expression « Ne pas importer le conflit », pour rétablir une grille de compréhension et de distinction correcte entre ceux qui ne demandent qu’à vivre et ceux qui souhaitent leur disparition, revenons à des mots qui ne désavouent pas le réel : si les antisémites cessent d’être antisémites, il n’y a plus d’antisémitisme, si les Juifs et leurs amis cessent de combattre l’antisémitisme, il n’y a plus de Juifs.

© Philippe Sola

Yana Grinshpun a lu « Le Juif et le Nazi. Métaphysique de l’antisémitisme », de Philippe Sola: lien ci-dessous

https://www.tribunejuive.info/2024/08/10/je-r

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2 Comments

  1. Le conflit est importé par ceux qui promeuvent une immigration massive, ceux qui tiennent en toute impunité des discours de haine, ceux qui réécrivent l’histoire et désinforment le public 24 heures sur 24.
    Le conflit est (volontairement) importé par nos dirigeants et leurs alliés islamonazis.

  2. Le conflit dont parle Olivier Véran est importé depuis longtemps.Quand les musulmans sont arrivés en France aprés les accords d’Evian, et puis s’en est suivi le regroupement familial et maintenant nous sommes envahis en majorité par une population qui ne nous aime pas.

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