Pascal Bruckner: « Résolution pour la libération de Boualem Sansal, le PS invente la solidarité sans participation »

Pascal Bruckner. © Fabien Clairefond

On a envie de dire au président Tebboune : Oubliez-nous ! Reprenez vos OQTF et rendez-nous le grand Boualem Sansal. Et bon vent !

TRIBUNE – Ce mardi en commission des affaires étrangères, tous les députés de gauche se sont abstenus lors du vote d’une résolution appelant à la « libération immédiate et inconditionnelle » de l’écrivain. Le Parti socialiste emboîte ainsi le pas à une France insoumise inféodée à l’islam politique, déplore le philosophe.

Mais quelle mouche a donc piqué les socialistes pour qu’ils s’abstiennent de voter une résolution exigeant la libération immédiate de l’écrivain Boualem Sansal, otage du pouvoir d’Alger ? De la part de La France insoumise, amoureuse des régimes autoritaires et inféodée à l’islam politique, le refus va de soi : déjà Rima Hassan, la petite télégraphiste du Hamas, avait refusé de voter la résolution du Parlement européen sur ce thème le 24 janvier 2025 au motif que la cause de M. Sansal, tout à fait légitime, était instrumentalisée par la droite extrême et oubliait les droits des Palestiniens.

Mais de la part des élus du Parti socialiste, MM. Hollande et Faure étant absents ? Leur défense est étrange. Ils refusent d’autant plus d’appuyer la résolution qu’ils se proclament en faveur de « la libération immédiate et inconditionnelle de Boualem Sansal ». Comprenne qui pourra : je te lâche d’autant plus que je te soutiens. Le texte proposé par les centristes leur déplaît car il appelait à conditionner les futurs versements de fonds européens à l’Algérie à des progrès substantiels en matière d’État de droit et de libertés individuelles. Cela semble logique : si Alger respectait les droits humains, elle n’aurait jamais kidnappé Boualem Sansal à l’instar de n’importe quel groupe djihadiste. Or on ne touche pas à l’Algérie, c’est une cause sacrée en raison de la colonisation. 

« Une véritable campagne stalinienne contre l’Hexagone« 

On le sait, trois éléments au moins ont contribué à la fureur de la clique des autocrates d’Alger. D’abord l’attribution du prix Goncourt à Kamel Daoud le 4 novembre 2024 en dépit d’une intense campagne de calomnies dirigées contre les jurés du prix et l’auteur de Houris coupable d’avoir rouvert le dossier, interdit, de la guerre civile (1990-1999) avec une formidable puissance d’évocation. Pendant une heure, Kamel Daoud a expliqué aux dix jurés du prix qu’il est sur une liste noire de personnes à traquer, qu’il a dû déménager, changer son fils d’école et qu’en entrant dans le restaurant, il a craint d’être rafalé ou poignardé par un fanatique, malgré la présence d’une quarantaine d’agents en civil de la police française.

Les articles se succèdent dans la presse algérienne pour accuser Daoud, grand ami de Boualem Sansal, d’avoir battu son ancienne épouse, plagié l’histoire d’une patiente de sa femme qui est psychiatre. Un procès est en cours contre lui qui se tiendra le 7 mai pour atteinte à la vie privée. Avec ce prix aussi politique que littéraire, les relations franco-algériennes ont pris un tour saumâtre.

Des personnalités prétendent soutenir l’auteur du Village de l’Allemand avec un « oui mais » assorti de réticences

Quelques jours auparavant, fin octobre, Emmanuel Macron avait effectué une visite officielle de réconciliation au Maroc qu’il avait boudé pendant ses premières années de présidence. Durant ce séjour, Emmanuel Macron confirme ce qu’il avait déjà annoncé durant l’été : la reconnaissance de la souveraineté de Rabat sur le Sahara occidental, pomme de discorde avec l’Algérie. La coupe est pleine pour les autorités algériennes qui lancent une véritable campagne stalinienne contre l’Hexagone. Paris doit payer le prix de son insolence. Le 22 novembre, l’agence officielle Alger Presse service publie un communiqué : « La France macronisto-sioniste s’offusque de l’arrestation de Boualem Sansal à l’aéroport d’Alger ».  En d’autres termes : le lobby juif fait la loi à Paris pour mieux discréditer l’islam et l’Algérie.

Un pouvoir « qui pratique la séduction par l’insulte« 

Il faut ajouter à ce psychodrame un entretien donné par Boualem Sansal au média français Frontières dans lequel il reprend la position du Maroc et ajoute que toute la partie ouest de son pays était marocaine avant la colonisation française dont les trois villes, Tlemcen, Oran et Mascara. Il rajoute une phrase qui a fait hurler le pouvoir algérien: si la France n’a pas colonisé le Maroc (elle en a fait un protectorat de 1912 à 1955), c’est que ce dernier « est un grand État » qui existe depuis treize siècles. En effet, « c’est facile de coloniser des petits trucs qui n’ont pas d’histoire mais coloniser un État est difficile« . Les dirigeants du « petit truc » ont vu rouge.

Rappelons que l’Algérie a été soumise à la régence ottomane de 1516 à 1835 tout en gardant une large autonomie. Mais c’est contre la France que les dirigeants de ce pays dirigent leurs coups car la Sublime Porte était musulmane. Boualem Sansal s’est ainsi rendu coupable de trahison et de porter atteinte à l’intégrité territoriale de son pays. Tout le lobby de la nomenklatura algérienne en France, appuyé par des sites fréristes tels Mediapart, se mobilise ainsi qu’une partie de la gauche officielle. Les gardiens du fromage mémoriel grondent et trépignent, on leur vole leur gagne-pain !

Le décolonialisme sert de marxisme de substitution à toute une gauche en perte de compréhension du monde

Des personnalités prétendent soutenir l’auteur du Village de l’Allemand avec un « oui mais » assorti de réticences. Telle Sandrine Rousseau qui pratique la solidarité calomnieuse en affirmant que Sansal « n’est pas un ange »  et tient des propos relevant de l’extrême droite. De même qu’il est des nostalgiques de la guerre froide, il est des intellectuels et des partis qui n’ont jamais accepté mentalement l’indépendance des anciens territoires sous administration française. L’anticolonialisme ou le décolonialisme sert de marxisme de substitution à toute une gauche en perte de compréhension du monde. Or l’Algérie est indépendante depuis soixante-trois ans. Mais, pour les autocrates au pouvoir, le ressentiment antifrançais est un dérivatif parfait aux malheurs du peuple. Cela évite aux généraux de faire leur examen de conscience et de s’interroger sur leurs propres fautes ou crimes. La guerre d’indépendance ne doit jamais s’arrêter.

Le pouvoir pratique la séduction par l’insulte : il nous crache au visage pour obtenir des avantages indus et nous demande de tendre l’autre joue. Ce qui est terrible dans cette affaire c’est que le régime FLN ne parvient pas à nous effacer et continue à être obsédé par la France, son idée fixe. La France reste une passion algérienne, l’inverse n’est pas vrai. En 1957, Raymond Aron, plus lucide qu’Albert Camus et Jean-Paul Sartre, plaidait dans La Tragédie algérienne et contre son propre camp pour « l’héroïsme de l’abandon« .

La décolonisation était inéluctable. Il faut plaider de nos jours pour l’héroïsme du divorce. Combien de temps tolérerons-nous encore les vitupérations du régime islamo-soviétique dont la vraie crainte n’est pas une « recolonisation« , comme le dit la propagande officielle, mais l’indifférence croissante des Français vis-à-vis de cet ancien département.

On a envie de dire au président Tebboune : Oubliez-nous ! Reprenez vos OQTF et rendez-nous le grand Boualem Sansal. Et bon vent !

© Pascal Bruckner

Source: Le Figaro

https://www.lefigaro.fr/vox/politique/pascal-bruckner

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