
Parfois, les éditeurs de littérature vous le diront, les meilleurs romans sont ceux qui proviennent par la poste. Je ne suis pas éditeur, mais il peut m’arriver cependant qu’un des meilleurs livres à chroniquer m’arrive par les voies, parfois chaotiques, du courrier postal ; une source que les courriels, les PDF et autres fichiers audio n’ont pas encore tout à fait tarie.
Avec « La planète de Jacob Ginzburg » de Dimitri Friedman, dont j’avoue n’avoir jamais entendu parler jusqu’ici, c’est ce qui est arrivé. Un contact par Facebook, disant en substance : « Sarah Cattan m’a parlé de vous, puis-je vous faire parvenir mon roman ? ». Et quelques jours plus tard, dans la boite aux lettres, à la suite de mon approbation et de mes remerciements, un livre enveloppé solidement dans une grande enveloppe provenant de l’Ile d’Yeu. Lieu magique de bout du monde et de bout de France où le dénommé Friedman vit aujourd’hui et exerce donc, la retraite venue, le métier d’éditeur au sein de sa propre maison d’édition joliment dénommée « Pilpoul édition » !
Argentina, mi amor
Il ne me restait plus qu’à décacheter l’enveloppe, à saisir le livre qu’elle contenait et, quelques jours plus tard – une fois mes lectures en cours terminées – à me lancer dans sa lecture. En couverture : une photo révélant les pas chaloupés et sensuels d’une danseuse aux jambes gainées de bas résille, virevoltant autour d’un danseur de tango et ses chaussures noires et blanches. On croit entendre le son d’un bandoneon, les notes de Carlos Gardel ou d’Astor Piazzolla…
De danse et d’Argentine il est question dans ce livre, de Buenos Aires à la Patagonie, mais aussi de Paris, des Femmes (avec un F majuscule), du poids de la mémoire et des relations homme-femme, de la dictature des généraux argentins et de la démocratie fragile qui a suivi, du judaïsme ashkénaze et du Yiddishkeit reconstitué à Paris au cœur du « shmattes » de Paname » puis décousu, d’une grand-mère dibbouk, femme prétendument de petite vertu, qui met en péril la santé mentale de son petit-fils Jacob, sorte de looser magnifique et lumineux… Et de tant de choses encore…
Foisonnante et truculente, épique en certains instants, la plume experte de Dimitri Friedman, journaliste pendant de longues années*, et déjà auteur par le passé de deux livres (« le dernier souffle de Phoolan Devi » et « Cuba, carnets de voyage »), nous entraine dans son tango mémoriel et actuel en même temps, jonglant avec les mots français, yiddish et espagnols, multipliant les citations réelles et les pensées apocryphes, nous aveuglant de sa vision des femmes belles et sensuelles la majeure partie du temps, tordues et calculatrice parfois…
Jacob, Abram devenu Ernesto son père, Hannah sa grand-mère qui squatte son cerveau, Doña Maria, Anna Luisa, Herschel, Elie, Rebecca, Johanna et tous les autres sont autant de personnages qui vous accompagneront longtemps après que vous aurez refermé le roman.
De même, tous les endroits visités de la rue de Belleville au centre-ville de Buenos Aires, d’Holmy à la Patagonie, sont autant de lieux-personnages qui imprègnent l’histoire et rendent le parcours du héros, je devrais dire des héros, aussi unique que singulier.
Un grand roman inattendu dont on cherche les influences chez Saül Bellow, Cynthia Ozick ou Philip Roth. Un parcours initiatique, à cheval sur deux continents, plusieurs époques et une religion en guise de fil rouge : le judaïsme. Un judaïsme triomphant ou contraint voire effacé en apparence. Un judaïsme, sa philosophie plurimillénaire et ses descendants venus d’Europe de l’Est qui charrient avec eux des dizaines de pensées fulgurantes en yiddish qui fleurissent tout au long du roman comme des herbes de la pampa dansant sous le vent de l’histoire…
© Gérard Kleczewski
. La planète de Jacob Ginzburg, de Dimitri Friedman, Pilpoul Editions. 400 pages.
* Né en 1947 d’une famille paternelle originaire d’Odessa et d’une famille maternelle venant de Salonique et d’Istanbul, Dimitri Friedman a fondé l’édition française de « Foreign Policy », fut rédacteur-en-chef de « L’essentiel des relations internationales » et de « Club Cigares », a travaillé pour les magazines Vogue et CB News. Son prochain ouvrage, sur lequel il travaille actuellement, se nomme « Les Cendres ». Un roman choral se déroulant à l’heure de la Shoah en Ukraine, Allemagne, Suède, Turquie et USA.
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