
Pour ceux qui ont raté l’épisode précédent. Je roule sur l’autoroute, en Israël. A mes côtés se trouve un extra-terrestre. J’écoute la radio et mes larmes coulent. L’énergumène venu d’ailleurs – de sa voix hachurée, métallique de robot, s’interroge :
– « Vos glandes lacrymales produisent un liquide composé d’eau, d’électrolytes et de protéines. Or, vous n’épluchez point d’oignon, vous n’êtes guère enrhumée, je m’interroge donc sur la cause de cette liquéfaction oculaire. Vous êtes un danger public aux commandes de ce véhicule peu sophistiqué, lorsque vous pleurez le danger se multiplie par 7,9845 pour cent. Reniflez, cessez de pleurer ou bien garez-vous sur le bas-côté ».
D’un geste rapide il prélève une de mes larmes puis déclare : « Il s’agit de larmes émotionnelles causées par une émotion forte et contenant d’avantage d’hormones de stress. Pourquoi ? »
Comme la journaliste à la voix brisée, j’ai du mal à parler. J’entends qu’il y a des centaines de gens, le long de la route, émus, en pleurs, qui rendent un dernier hommage à un grand-père, une maman, un bébé, un enfant. Assassinés. Mon cerveau entend les informations mais quelque chose en moi refuse d’admettre l’horreur.
– « Vous n’écoutez pas la radio ? Je croyais que vous compreniez l’hébreu ! Quatre cercueils. Quatre innocents. Des monstres, des bêtes sauvages ont commis ces crimes. C’est inhumain ».
De sa voix artificielle au timbre mécanique il rétorque :
– « Rien de plus humain. Seule votre espèce commet le meurtre. Aucun autre mammifère, aucune autre créature, sur Terre ou dans toutes les galaxies, ne se comporte de la sorte. Seul l’Homme tue, massacre, torture. Vous ignorez encore ça à votre âge ? Vous venez de quelle planète ? C’est bien vous la Terrienne, femme, humaine. Pourquoi êtes-vous si étonnée ? »
Il continue son discours insupportable:
– « En analysant l’ADN de votre larme je décèle que vos ancêtres ont été massacrés, générations après générations, par des hordes multiples et diverses. Je peux déceler les langages des agresseurs. Je discerne de l’akkadien, de l’araméen, du grec, du latin, de l’allemand, du russe, de l’ukrainien, du polonais, du français, de l’arabe. Que des langues parlées par des humains. Point de bêtes féroces. Vous avez de la chance d’exister. Ce n’était pas gagné d’avance, vu vos antécédents… »
Je continue de pleurer en silence. Aucune envie de débattre avec le visiteur de l’espace.
– « Pourquoi la journaliste évoque-t-elle quatre ‘h’allal’ ? Je pensais que ‘hallal’ en hébreu, signifiait ‘espace, lieu, vide, trou, cavité, endroit' ».
Je l’interromps, des sanglots dans la voix:
– « C’est juste, mais un ‘hallal’ est aussi un soldat mort au combat. Ces quatre ‘halallim’ font un trou dans le cœur de tout un peuple. Ils laissent un gouffre béant, un vide rempli de tristesse, de souffrance, de douleur. D’incompréhension et d’effroi.
Fin du second épisode.
© Rachel Darmon
Née à Paris, Rachel Darmon vit en Israël depuis plus de 30 ans. Professeur de français, éducatrice, guide touristique, elle a toujours écrit. Lauréate du « Prix des arts et des lettres » pour sa nouvelle « Le mur du bruit », elle a publié deux romans chez Folies d’encre : « Le gâteau de Varsovie » et « Tâter le diable ».

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