TRIBUNE. La politique d’apaisement avec le régime iranien contraindra-t-elle l’Occident à se rapprocher de la Russie ?

Hamid Enayat

La politique d’apaisement menée à l’égard de l’Iran, officiellement destinée à contenir ce régime et son programme nucléaire, a en réalité entraîné des conséquences désastreuses pour le Moyen-Orient et même pour l’Europe. Elle a offert à la République islamique l’opportunité d’étendre son influence, de renforcer son programme nucléaire et de modifier l’équilibre des forces en sa faveur.

Cette stratégie a non seulement plongé le Liban, l’Irak, la Palestine et le Yémen — sous l’emprise des groupes affiliés à Téhéran — dans des crises profondes, mais elle a aussi transformé le peuple iranien en sa première victime. Le régime a exploité cette impunité pour intensifier la répression intérieure, accroître la persécution des femmes et multiplier les exécutions, restreignant toujours plus les libertés individuelles.

Quarante ans d’apaisement occidental, en particulier européen, à l’égard de Téhéran ont conduit les États-Unis, notamment sous la présidence de Donald Trump, à se rapprocher de la Russie pour tenter de résoudre les crises du Moyen-Orient et mettre un terme à la guerre en Europe, quitte à affaiblir l’Ukraine. Toutefois, ce rapprochement pourrait également être motivé par la guerre économique imminente contre la Chine.

Apaisement et montée en puissance de la République islamique

Lorsque l’Occident, et en particulier l’Europe, a gardé le silence face aux crimes du régime iranien — le massacre de dizaines de milliers d’opposants politiques entre 1981 et 1982, l’exécution de 30 000 prisonniers politiques en 1988, l’assassinat de dirigeants opposants dans plusieurs pays européens, ainsi que les prises d’otages et les actes de terrorisme au Liban — il était inévitable que ce régime en sorte renforcé et élargisse son influence dans la région.

Les conséquences de cette impunité :

  • Expansion des Gardiens de la Révolution : Grâce à la libération de milliards de dollars, les Gardiens de la Révolution et la Force Qods ont intensifié leur présence en Syrie, en Irak, au Yémen et au Liban. Ces fonds ont été investis dans le développement et l’armement de groupes paramilitaires affiliés.
  • Avancée du programme nucléaire et balistique : Alors que l’Iran prétendait respecter l’accord sur le nucléaire (JCPOA), il poursuivait secrètement le développement de son programme nucléaire et de ses missiles balistiques.
  • Prises d’otages et assassinats en Europe : La politique d’apaisement a encouragé la République islamique à intensifier ses enlèvements de ressortissants occidentaux et à mener des opérations terroristes contre ses opposants sur le sol européen.

Le régime iranien a perçu le soulèvement populaire en Syrie comme une menace directe, craignant que cette vague de liberté ne gagne l’Iran. Il a donc envoyé les Gardiens de la Révolution et son armée pour écraser la révolte. Le bilan est accablant : plus de 500 000 morts, dont des dizaines de milliers d’enfants, et des millions de déplacés.

Sous la direction de Qassem Soleimani, surnommé le « bourreau des enfants », le régime a impliqué la Russie dans le conflit syrien, lui permettant d’intensifier ses bombardements contre les civils. En échange, Moscou a bénéficié d’un accès privilégié aux ressources pétrolières et aux ports syriens, consolidant sa présence stratégique en Méditerranée.

L’Iran est même allé jusqu’à utiliser des armes chimiques, mais ni l’Europe ni les États-Unis n’ont réagi face à ces atrocités. Au contraire, le régime théocratique de Téhéran a renforcé son emprise sur la Syrie, transformée en plaque tournante du terrorisme, de l’acheminement d’armes aux groupes affiliés et du trafic de drogue vers l’Europe.

L’Occident face à ses erreurs répétées

Depuis trois décennies, alors que le régime iranien vacillait à plusieurs reprises, les gouvernements occidentaux ont persisté dans une politique de négociation et de compromis :

  • 2009 et 2022 : Lors des soulèvements populaires, des émissaires américains étaient en pourparlers avec Téhéran, au lieu de soutenir le mouvement contestataire.
  • 2022 : Reza Pahlavi, fils de l’ancien dictateur, a soudainement émergé sur la scène politique en se présentant comme une alternative, multipliant les voyages diplomatiques. Résultat : l’étouffement du soulèvement populaire.
  • 2003 : Les États-Unis ont désarmé l’Armée de libération nationale d’Iran (ALNI), branche militaire du Conseil national de la résistance iranienne (CNRI), un geste qui a été accueilli avec enthousiasme par le régime des mollahs.

Cette politique d’apaisement n’a fait qu’alimenter l’extrémisme et le bellicisme de Téhéran, au détriment de la stabilité régionale.

Syrie, Ukraine, Gaza : un enchaînement de guerres facilité par l’impunité

L’intervention militaire de la Russie en Syrie sans réponse occidentale ne l’a-t-elle pas encouragée à attaquer l’Ukraine ?
Bien que plusieurs facteurs aient contribué au déclenchement de cette guerre, l’absence de réaction face aux massacres du régime iranien, y compris l’utilisation d’armes chimiques en Syrie, a certainement modifié l’équilibre des forces mondiales, facilitant l’agression russe.

De même, la guerre de Gaza et ses destructions massives auraient-elles été possibles sans le soutien de Téhéran ?
Le journal Diplomacy Iranienne, affilié à Kamal Kharrazi, ancien MAE et chef de la stratégie en politique étrangère iranienne, écrivait le 23 février 2025 : « Si les États-Unis cherchent un accord global au Moyen-Orient, le rôle de la Russie pourrait devenir un facteur clé. »

Dans le même article, la visite du ministre russe des Affaires étrangères à Téhéran est analysée comme une opportunité de redéfinir les stratégies en Syrie post-Assad et de réajuster les relations entre les deux pays.

Une stratégie erronée à corriger d’urgence

Aujourd’hui, la société iranienne est en ébullition. Partout dans le pays, des mouvements de contestation s’intensifient, menés par des unités de résistance qui se préparent à un soulèvement.

Un changement profond en Iran permettrait non seulement de mettre fin aux guerres régionales, mais aussi de modifier l’équilibre des forces dans le monde, éloignant ainsi durablement la menace de conflit en Europe.

Une alternative démocratique existe

Le Conseil national de la résistance iranienne (CNRI), la plus longue coalition politique de l’histoire moderne de l’Iran, rejette à la fois la dictature du Shah et celle des mollahs et propose un projet clair pour un Iran libre :

  • Libertés fondamentales et égalité des droits pour les femmes
  • Autonomie pour les minorités ethniques
  • Égalité entre musulmans chiites, sunnites et autres confessions
  • Séparation de la religion et de l’État
  • Abolition de la peine de mort
  • Un Iran non nucléaire, garant de la paix au Moyen-Orient

Selon le programme du CNRI, après la chute du régime, un gouvernement de transition de six mois organisera des élections libres, ouvrant la voie à une Assemblée constituante et au transfert du pouvoir aux représentants du peuple.

L’Europe doit abandonner ses vieilles illusions et se ranger du côté du peuple iranien, en soutenant la lutte des jeunes insurgés contre les Gardiens de la Révolution.
L’avenir du Moyen-Orient et de l’Europe en dépend.

© Hamid Enayat


Hamid Enayat, politologue, spécialiste de l’Iran, collabore avec l’opposition démocratique iranienne (CNRI). Pour La Dépêche, il analyse la situation en Iran. Aujourd’hui les conséquences du rapprochement des États-Unis de la Russie pour tenter de résoudre la guerre au Moyen-Orient et en Ukraine.


Source: La Dépêche du Midi

https://www.ladepeche.fr/2025/02/24/tribune-la-politique-dapaisement-avec-le-regime-iranien-contraindra-t-elle-loccident-a-se-rapprocher-de-la-russie-12532938.php

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