
Je lis depuis des mois de nombreux textes sur Trump, certains laudateurs, la plupart vitupératoires. Je précise d’emblée que je n’aime pas ce personnage mais ce n’est pas un fou furieux ; derrière ce qui semble être une frénésie d’agitations, se cache une méthode, par contre je ne suis pas convaincu que cette méthode résulte d’une stratégie murement réfléchie.
D’un coté, immoralité, intempérance, conflits d’intérêts, favoritisme pour les plus riches, rêve d’un pouvoir dictatorial, raciste, agent russe, grossièreté, absence de toute culture, narcissisme extrême, menteur pathologique, rage vindicative, imprévisibilité rendant incertain tout engagement, absence de toute loyauté à l’égard de quiconque, sa fidélité n’ayant qu’un objet : lui-même.
De l’autre côté, une capacité politique presqu’unique dans l’histoire de la république américaine à capter et canaliser une profonde frustration et colère d’une large partie du peuple américain à l’encontre d’élites qui le méprisent depuis des décennies en prétendant vouloir son bien, une capacité à agir avec brutalité pour obtenir des résultats tangibles rapidement. À cela s’ajoute un désir probablement sincère d’éviter toute guerre coûteuse.
Les seuls défauts et qualités qui comptent au final sont ceux et celles qui affectent durablement les États-Unis ou le monde.
Les accusations d’immoralité et de conflits d’intérêts à son encontre sont vraies mais on peut affirmer sans l’ombre d’un doute que tous les dirigeants précédents, qu’ils fussent républicains ou démocrates ont agi de même avec peut-être un soupçon d’embarras dont Trump n’a que faire.
Beaucoup plus graves sont les accusations de :
a) transformation de la république américaine en une pure oligarchie.
b) désinvolture avec laquelle Trump balaie l’architecture de la grande alliance transatlantique.
c) quasi complicité avec Poutine dans le lâchage de l’Ukraine
d) mise en place d’un pouvoir exécutif non imputable
Tout d’abord, rendons à César ce qui lui appartient, en voici deux exemples:
Trump a réussi en quelques semaines à porter un coup décisif à l’insupportable wokisme qui prétend enfoncer dans la gorge de tous des changements sociétaux que l’immense majorité refuse, tels qu’un prétendu éventail de sexes en lieu et place des sexes masculin et féminin ou la folie des politiques DEI (diversité, équité, inclusion) qui instituent un droit à la différence au mépris de l’égalité de tous devant la loi.
Autre initiative désirable, la chasse aux superstructures bureaucratiques inutiles qui sont comme une mort entropique de tout système. La méthode utilisée par contre est carrément folle, car elle consiste à changer des parties du moteur d’avion alors que celui-ci est en vol; c’est la technique de Musk, casser la machine et reconstruire ce qui est strictement nécessaire; or l’État américain est bien plus complexe que Twitter.
Je prédis que la méthode Musk va se heurter bientôt à un vent de révolte non des bureaucrates, mais des électeurs, qui exprimeront leurs vues auprès de leurs représentants et sénateurs. L’idée est bonne, elle avait d’ailleurs fait l’objet de projets de loi il y a bien longtemps sous la forme des sunset laws, toute loi créant une bureaucratie quelconque devant expirer à l’issue de quelques années et requérant pour être maintenue un vote nouveau du congrès. Pour des raisons que je soupçonne mais que je ne connais pas vraiment, la pratique des sunset laws n’a jamais vraiment décollé.
Revenons à l’accusation d’oligarchie. Elle est malheureusement justifiée, mais il importe de rappeler que les États-Unis sont en processus d’oligarchisation (désolé pour ce barbarisme) depuis les années 70. On estime en effet qu’il y eut depuis ce demi-siècle un transfert de près de 10% du PNB en faveur de la rémunération du capital au détriment de la part versée sous forme de salaire aux travailleurs. Mais plus significatif encore, les 1% des plus fortunés possèdent 50% de la richesse américaine (Stiglitz, Krugman). À titre d’anecdote la fortune combinée des 3 plus riches américains (Musk, Bezos et X) avoisine le trillion de dollars. Back to the future vers les nouveaux barons-voleurs. Trump n’est aucunement responsable de cette tendance, il en profite joyeusement comme ses prédécesseurs démocrates et républicains qui ne firent rien pour contrecarrer ce processus.
En ce qui concerne l’OTAN, l’Ukraine et les mamours faits à Poutine, on peut dire que Trump avait plus ou moins annoncé la couleur, en s’énervant des faibles dépenses d’armements des pays membres de l’OTAN mais peu de gens imaginaient la brutalité des actions de Trump, tablant sur l’immense inertie de ces engagements. Les États-Unis avaient pourtant déjà envoyé des signaux sous Clinton et Obama, quant à l’importance pour eux du redéploiement d’une grande part de leurs ressources militaires vers le Pacifique, compte tenu du fait que dans le siècle qui s’en vient, leur seul grand rival sera la Chine, la Russie restant essentiellement une immense station de gaz et pétrole, mais en aucun cas, un challenger pour la suprématie. Toutefois l’incroyable désinvolture de Trump et Vance dans leur lâchage de l’Europe portera un coup sévère, peut-être fatal à la nécessaire confiance au cœur de tout traité comme celui de l’OTAN ou vis-à-vis d’un pays comme l’Ukraine, lorsque après 3 ans, leur principal ancrage devient un complice du fossoyeur. Mais l’autre coté du malheur sera peut-être un ressaisissement de l’Europe. En passant, si j’étais Israël, j’aurais pas mal d’appréhension.
La dernière accusation, la plus grave selon moi, est la résistible marche vers un pouvoir présidentiel non imputable. Trump a exprimé clairement qu’il serait un dictateur pour un jour, mais il cherche le moyen de transformer le un jour en mille jour. J’ai foi dans la résilience du système constitutionnel américain, mais je ne sûr de rien. Cependant, il importe de rappeler à toutes les pleureuses professionnelles des élites intellectuelles qu’elles ne peuvent pas hurler au fascisme, lorsque le peuple se prononce, car alors elles dévoileraient leur vrai visage, un refus viscéral du vote démocratique.
En conclusion, je n’aime pas l’homme orange, mais son incroyable ascension le démarque de tous les autres présidents de la république. Comment expliquer qu’un personnage dont les compétences intellectuelles sont relativement limitées puisse avoir une telle emprise sur le peuple américain, la seule explication qui me vient à l’esprit est la jonction de deux phénomènes : d’abord l’existence d’une immense colère, les dirigeants américains au cours de ce dernier demi-siècle ont tellement méprisé le peuple et ignoré sa souffrance qu’ils ont créé un énorme capital de ressentiment, et ensuite le surgissement d’un démagogue hors pair qui a su l’exploiter.
Mais au bout du compte, les historiens jugeront plus tard, qui aura commis les plus grands dégâts, Bush junior très BCBG avec les centaines de milliers de mort en Irak et les 5 trillions de dette suscitées par sa guerre, Obama avec son stupide discours du Caire, ou Trump avec son narcissisme et sa grossièreté. Les 4 années qui viennent nous donneront le verdict du peuple américain.
© Léon Ouaknine