Ukraine, terres rares, Pax Americana. Par Francis Moritz


Dimanche soir, les feux de la rampe se sont éteints à Münich. Depuis l’élection de D.Trump, les 27 chancelleries de l’Union Européennes bruissaient du bruit d’éventuelles négociations de paix. On se préparait pour la conférence annuelle sur la sécurité, pas si sûr.

Le choc subi par les européens a été à la mesure de leur incompréhension à appréhender le nouveau pouvoir en place à Washington. Non seulement, c’est l’ombre de D. Trump que tous les participants ont cru apercevoir, mais aussi celles de Chamberland et de Daladier que d’autres ont cru voir rôder autour de la conférence. D’autres encore, perspicaces, pensaient à un Yalta version D. Trump.
Le Vice président américain J.D.Vance a remis les pendules à l’heure de la Maison Blanche. Les Européens ont dû se résoudre à accepter la mise à l’heure. Ils avaient cru voter pour K. Harris, mais leurs votes n’ont pas compté. Make America Great Again a pris le dessus sans contestation possible. L’Otan ne sera plus tout à fait l’Otan. Les alliés le découvrent, avec peine.
Dans le même temps, les vingts sept ministres des A.E. de l’Union participaient à des réunions, dites informelles(?) et d’autres, formelles… pour se préparer à la guerre, selon la formule de la présidente de la Commission, qui se voyait déjà intronisée cheffe de guerre. Puis vint la désillusion.
Alors, les terres rares, prétexte ou réalité, sans doute les deux.

C’est quoi les terres rares

17 éléments sont classés comme tels. On les appelle aussi cérium, dysprosium, neodyme, europium, lanthane. On les utilise notamment dans la production de drones, d’avions militaires, fusées, disques durs, éoliennes, voitures électriques, lentilles de télescope, écrans de télévision.
Ces terres rares se trouvent amalgamées avec d’autres minéraux. Il faut disposer de moyens très importants et coûteux pour trier les minéraux et en extraire ceux qu’on veut pouvoir utiliser. On estime les réserves mondiales à quelque 110 millions de tonnes. Des gisements inexploités existent en Allemagne et en Scandinavie.
Actuellement, la Chine, avec près de 44 millions, est le premier producteur mondial; suivent le Brésil avec 22 millions, l’Ukraine avec 20 millions, 21 millions au Vietnam, 10 millions en Russie, 7 millions en Inde. L’Allemagne dispose d’un gisement, inexploité en raison de ses contraintes écologiques.

Oui mais, la proposition américaine de soutenir l’Ukraine en échange de ces terres rares exclut la présence de soldats américains dans le conflit, exclut l’adhésion à l’Otan : explicitement les Américains envisagent l’abandon de territoires aux Russes et la présence de troupes européennes pour préserver un éventuel cessez-le-feu. On parle de 200.000 hommes, peut être plus. On n’en n’est pas encore là. Les Européens devront attendre.

Le monde a changé

Le vice président américain J.D. VANCE a ramené les Européens sur terre. Oui, il va bien y avoir des entretiens préliminaires pour ces négociations, pas à Paris, pas à Münich, pas à Berlin… mais en Arabie Saoudite. C’est le premier choc.
Ensuite, pour que tout soit clair, le président ukrainien pourrait être convié à rejoindre les entretiens préliminaires auxquels participeront Russes et Américains. Il n’y aura pas d’Européens. Second choc.
Pendant ce temps, W.Zelensky, soudain, évoque la possibilité de négocier … voire d’un « échange » territorial avec Moscou. Divine surprise ! Troisième choc. Il a changé de position depuis l’élection américaine.Mais côté européen on parle de guerre, de soutien indéfectible à l’Ukraine, de la poursuite des fournitures et financements, bref on affirme être prêt à poursuivre cette guerre qui dure depuis 3 ans avec son cortège de victimes, de grands blessés, d’un pays en ruine, de familles détruites…

Le président ukrainien a même été jusqu’à déclarer être prêt à rencontrer le président russe, ce qu’il affirmait plus tôt comme absolument exclu. Confusion et tension sont extrêmes en Europe. C’est le reflet de l’hydre à 27 têtes qui prétend avoir voix au chapitre. Chacun tire à hue et à dia. Ceux qui n’ont rien de concret et de réaliste à proposer cherchent à se faire entendre, alors qu’ils évitent de traiter leurs problèmes domestiques. La France et l’Allemagne en savent quelque chose.
On ne peut pas se faire entendre sérieusement lorsque 27 voix discordantes tentent de se faire entendre. Ce n’est pas de la polyphonie. C’est la cacophonie actuelle de l’Union Européenne.

L’Ukraine seule n’est pas en capacité de poursuivre le conflit car le prix à payer augmente chaque jour un peu plus. L’UE sans l’Otan ne peut pas suivre. L’Otan sans les États-Unis n’est plus l’Otan. On évite d’évoquer les plus de 100.000 grands blessés, mutilés, amputés. L’usure et la résignation accablent une population déjà très éprouvée par les bombardements, les privations, les drames familiaux. Les déserteurs sont de plus en plus nombreux, à mesure que l’âge de la mobilisation baisse. Les quelques semaines d’entraînement envoient au front les plus jeunes, transformés par avance en chair à canon.
La loi en vigueur en temps de guerre interdit la tenue d’élections. Certains opposants à Zelensky le contestent déjà au vu de cette guerre qui ruine le pays et sa population. On ne manque pas de lui rappeler sa promesse électorale pour se faire élire : je ferai la paix avec la Russie. Il ne bénéficie plus d’un soutien total dans son pays, loin s’en faut.
Apparait le président américain qui avait annoncé ses intentions de proposer un deal à Kiev : livrez nous les terres rares et nous continuerons à vous soutenir, ainsi que l’Otan.
Las, on feint de découvrir la nouvelle politique économique de Washington.

La Défense européenne

Le message ne semble pas avoir été bien compris des Européens, commission en tête. À se demander à quoi pensent les élites qui nous gouvernent ? Comme il l’a annoncé, Trump va exercer un très forte pression, en exigeant que les membres de l’OTAN portent à 5% et plus de leur budget national leur participation à l’OTAN.
L’Allemagne et la Pologne semblent désireuses d’atteindre cette participation. Tandis qu’on voit mal la France consacrer 5% de son budget quand elle veut « atteindre » un déficit d’au moins 5,4%.

Ce qui n’empêche pas nos dirigeants d’évoquer la Défense européenne chaque fois qu’un danger apparaît à l’horizon, une sorte de monstre du Loch Ness dont chacun voudrait prendre le commandement. Les egos s’affrontent. On fait du sur-place.

Ce qu’il faut en retenir aujourd’hui :

Très clairement, Washington vient de fixer les règles d’une Pax Americana.
L’Union Européenne, une fois de plus dans le déni des réalités, démontre son incapacité à se comporter à la hauteur des responsabilités qui incombent normalement à une puissance économique et une population de 450 millions d’habitants. Alors qu’elle a été absente au Moyen-Orient, chassée d’Afrique, exclue des négociations d’un conflit à ses frontières de l’est de l’Europe, les dirigeants de l’Union Européenne n’ont toujours pas compris les modalités des nouvelles règles du jeux d’une compétition planétaire. Les plus grands, les plus forts, les plus riches, les plus armés parlent à leurs pairs. On peut le déplorer, on peut s’y opposer, on peut le rejeter. Mais les faits restent les faits. Ne pas les prendre en compte restera toujours un déni de réalité. On ne peut pas mener de négociations avec 27 voix discordantes face aux grandes puissances qui jouent dans la cour des grands.

En mal de capacité à affronter la situation, une réunion dictée par l’urgence – on vient de découvrir ce que Trump a martelé depuis des mois – a eu lieu lundi, une de plus. Pendant ce temps, Américains et Russes reprennent un dialogue bilatéral et plus selon affinités. La question que cela pose maintenant avec acuité : la France, l’Allemagne, sont ils prêts à s’impliquer militairement, la population y est-elle prête ? Les gouvernements en ont-ils les moyens ?

Ainsi va le monde.

© Francis Moritz


Francis Moritz a longtemps écrit sous le pseudonyme « Bazak », en raison d’activités qui nécessitaient une grande discrétion.  Ancien  cadre supérieur et directeur de sociétés au sein de grands groupes français et étrangers, Francis Moritz a eu plusieurs vies professionnelles depuis l’âge de 17 ans, qui l’ont amené à parcourir et connaître en profondeur de nombreux pays, avec à la clef la pratique de plusieurs langues, au contact des populations d’Europe de l’Est, d’Allemagne, d’Italie, d’Afrique et d’Asie. Il en a tiré des enseignements précieux qui lui donnent une certaine légitimité et une connaissance politique fine. Fils d’immigrés juifs, il a su très tôt le sens à donner aux expressions exil, adaptation et intégration. © Temps & Contretemps


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