« Chronique du divorce entre Vous, Israël et les Juifs de France »: Lettre ouverte à Emmanuel Macron. Par Claude Goldenfeld

Monsieur le Président,

Face aux images insoutenables du week-end dernier, dévoilant les visages creusés, les corps martyrisés et décharnés des otages israéliens libérés après seize mois d’une captivité inhumaine entre les mains du Hamas, je ne pus m’empêcher de me remémorer cette poignante cérémonie d’hommage aux victimes du 7-Octobre que vous aviez organisée à Paris, il y a tout juste un an.

En ce 7 février 2024, dans une cour d’honneur des Invalides submergée par l’émotion, la solennité du moment le disputait à la communion des âmes. Des âmes meurtries, brisées et à jamais marquées par le déchaînement d’une ineffable barbarie qui, quatre mois plus tôt, avait précipité dans l’effroi l’ensemble du monde civilisé.

« Le 7 octobre dernier, à l’aube, l’indicible a ressurgi des profondeurs de l’histoire », aviez-vous proclamé. (…) « Il était 6 heures et le Hamas lança, par surprise, l’attaque massive et odieuse, le plus grand massacre antisémite de notre siècle. Et dans les notes de musique d’un lieu de fête ont éclaté les tambours de l’enfer. (…) La barbarie. Celle qui brûle et qui brise, qui abuse et qui tue. Celle qui déchire les familles, abat une petite fille parce qu’elle ralentit la colonne, happe sur son chemin un enfant en pyjama, en tue un autre au creux même des bras de son père. Celle qui nie la joie, l’art, la culture, la liberté de la fête. »

Dans une allocution aux accents lyriques, vos paroles, comme toujours en pareilles circonstances, touchèrent l’assistance au cœur et furent pleinement à la dimension de l’événement, à la hauteur de cet hommage de la nation, à la fois sobre et digne, même si d’aucuns soulignèrent alors l’angélisme incongru de cette formule : « Nous sommes 68 millions de Français endeuillés par les attaques terroristes du 7 octobre. »

Qu’il nous soit en effet permis de douter que les 45 % de musulmans français (versus 10 % de l’ensemble de la population) qui, selon un sondage IFOP du 18 décembre 2023, ont considéré le 7-Octobre comme « un acte de résistance contre la colonisation » aient souscrit à vos propos et communié à l’unisson dans ce recueillement national, seuls 29 % d’entre eux, contre à peine 54 % du reste de l’opinion publique (!), reprenant par ailleurs à leur compte le terme d’« acte terroriste » pour qualifier cette abomination.

Le bataillon pléthorique des autres apologistes du pogrom n’a pas davantage applaudi ce vibrant discours, de LFI au bien nommé PIR en passant par le NPA et les multiples courants « antifas », indigénistes et islamogauchistes, sans oublier les agitateurs « intersectionnels » en keffieh de Sciences Po ou d’ailleurs, les hérauts de la bien-pensance antisémite tendance Blanche Gardin ou Guillaume Meurice, les irréductibles nostalgiques de l’extrême droite traditionnelle, et tant d’autres pourfendeurs de j… (pardon, de « sionistes/génocidaires »).

Le 24 octobre 2023, au moment où, depuis Tel-Aviv, vous aviez lancé votre proposition, aussitôt rejetée, de mobiliser la coalition internationale contre Daesh afin de combattre le Hamas, qui aurait pu prévoir que, un an plus tard, vous auriez, à ce point, défait les liens d’amitié historiques, et prétendument indéfectibles, qui unissaient la France à la seule démocratie du Proche-Orient et dilapidé votre capital de sympathie auprès des Français juifs ?

Qu’elle vous fût ou non soufflée par l’homme qui murmure à votre oreille depuis de longues années, le sinistre islamiste Yassine Belattar, ce n’est pas tant votre absence à la manifestation nationale contre l’antisémitisme, le 12 novembre 2023, après plusieurs jours d’atermoiements, que les raisons invoquées pour la justifier, au nom de « l’unité du pays », qui semèrent le trouble jusque dans vos propres rangs. Comment « ne rien céder à un antisémitisme rampant, désinhibé » tout en refusant de regarder en face la division, et même la fracture de la société française entre les victimes et leurs bourreaux islamistes ? Comment prétendre s’ériger en rempart contre ce fléau qui gangrène la France tout en se posant en trait d’union entre les Lumières et les ténèbres obscurantistes, entre la République et ses fossoyeurs antisémites ? Sans doute le « en même temps » s’accommode-t-il de quelques contorsions que la raison ignore. Reste que la capitulation face au risque d’un embrasement de nos banlieues explique une bonne part de ce renoncement originel.

Votre image auprès de la rue arabe, certains se souviennent que vous aviez déjà contribué à la façonner, sur la scène internationale, lors de votre « coup de sang » contre la sécurité israélienne, le 22 janvier 2020, devant la basilique Sainte-Anne à Jérusalem : « Everybody knows the rules ! I don’t like what you did in front of me! Go outside ! (…) You know the rules ; nobody, nobody has to provoke nobody ! OK ? » Bien que surjoué, le mimétisme avec le célèbre esclandre de Jacques Chirac, en octobre 1996(« What do you want ? Me to go back to my plane and go back to France ?) était tout simplement parfait : même lieu, même tonalité, même accent franglais ostensiblement poussé à l’extrême…

Deux jours avant le premier anniversaire du 7-Octobre, vos déclarations sortaient, cette fois, clairement du cadre de l’anecdote. Vous n’avez alors pas hésité à provoquer une crise diplomatique avec l’État hébreu en appelant, au cours d’un entretien sur France Inter, à l’arrêt des livraisons d’armes à Israël, pourtant engagé dans une guerre existentielle face au terrorisme palestinien qui est aussi celle de l’Occident contre le totalitarisme islamiste : « Je pense qu’aujourd’hui, la priorité, c’est qu’on revienne à une solution politique, qu’on cesse de livrer les armes pour mener les combats sur Gaza. » Une position défendue le jour même, durant la conférence de presse de clôture du 19e sommet de la Francophonie :

« Si on appelle à un cessez-le-feu, la cohérence c’est de ne pas fournir les armes de la guerre. […] Je pense que ceux qui [les] fournissent ne peuvent pas, chaque jour, appeler à nos côtés au cessez-le-feu et continuer de les approvisionner. »

Vous devriez « avoir honte », vous avait répondu, sans ambages, le Premier ministre israélien.

Dix jours plus tard, le 15 octobre 2024, de nouveaux propos consternants, tenus dans le huis clos du Conseil des ministres et confirmés par plusieurs participants, déclenchaient un tollé à la mesure de leur animosité et de leur approximation historique : « Netanyahou ne doit pas oublier que son pays a été créé par une décision de l’ONU ; par conséquent, il ne devrait pas s’affranchir des décisions de l’ONU. » Faut-il en déduire qu’Israël serait l’unique État au monde à jouir d’une légitimité précaire et conditionnelle, donc susceptible d’être révoquée à tout moment par cette institution onusienne dont l’impartialité à son égard comme l’exemplarité en matière de promotion des droits de l’homme ne sont, au demeurant, plus à démontrer ?

Cette fois encore, la réplique cinglante de Benjamin Netanyahou ne se fit pas attendre : « Un rappel au président de la France : ce n’est pas la résolution de l’ONU qui a établi l’État d’Israël, mais plutôt la victoire obtenue dans la guerre d’indépendance avec le sang de combattants héroïques, dont beaucoup étaient des survivants de l’Holocauste – notamment du régime de Vichy en France. »

« Une faute à la fois historique et politique. Laisser penser que la création de l’État d’Israël est le fruit d’une décision politique de l’ONU, c’est méconnaître à la fois l’histoire centenaire du sionisme, l’aspiration millénaire des Juifs au retour à Sion et le sacrifice de milliers d’entre eux pour établir l’État d’Israël », a déploré pour sa part Yonathan Arfi, le président du CRIF, avant d’ajouter : « À l’heure où l’antisémitisme se nourrit de l’antisionisme, ces propos renforcent dangereusement le camp de ceux qui contestent la légitimité du droit à l’existence d’Israël. »

Le même jour, la France décidait d’exclure les entreprises israéliennes du salon de défense Euronaval avant d’être désavouée, deux semaines plus tard, par la justice. Le 31 mai 2024, c’était leur présence au salon international de défense et de sécurité terrestre Eurosatory que le gouvernement français avait déjà tenté d’interdire avant que le tribunal de commerce de Paris ne juge, là encore, cette décision discriminatoire. Il s’agissait alors de la toute première disposition de boycott décrétée par un pays occidental envers Israël…

Pour autant, en ce mois d’octobre 2024 de toutes les outrances anti-israéliennes, le pire restait à venir.

Neuf jours plus tard, lors de la conférence internationale de soutien au Liban, vous endossiez vos oripeaux habituels de protecteur du pays du Cèdre pour franchir le Rubicon avec cette charge dont les plus ardents contempteurs de l’État juif n’auraient pas renié la violence :

« Je ne suis pas sûr qu’on défende une civilisation en semant soi-même la barbarie. »

Le CRIF fut à nouveau contraint de monter au créneau en rappelant ces tristes vérités :

« Outrance et gâchis. Jamais dans l’Histoire une démocratie n’a accusé une autre démocratie de “semer la barbarie”. Jamais en France un Président de la République n’a eu de tels mots envers nos alliés, quels que soient les désaccords et les divergences. »

« Je suis sûr d’une chose. C’est que la possibilité d’une civilisation se joue au Liban », poursuiviez-vous.

Puisque Israël y sème la barbarie, ladite civilisation serait-elle, à vos yeux, promue ou incarnée par la seule autre entité en guerre dans ce pays, à savoir le Hezbollah ?

Toujours est-il que votre silence face aux innombrables exactions de la milice islamiste chiite restera assourdissant.

On eût aimé entendre de votre part une condamnation sans détour des milliers de drones et de missiles balistiques que ce proxy de Téhéran a fait pleuvoir sans discontinuer sur la population israélienne depuis le 7 octobre, provoquant à la fois le déplacement de quelque 60 000 habitants du nord du pays et l’intervention militaire de l’État hébreu au Liban.

On attendit, en vain, votre réaction, ou celle du Quai d’Orsay, à la suite de l’élimination de son chef historique, Hassan Nasrallah, par l’armée israélienne.

Au regard de la responsabilité directe de ce mouvement terroriste dans l’assassinat de 58 parachutistes français à Beyrouth lors de l’attentat du Drakkar, le 23 octobre 1983, comment pouvez-vous justifier un tel mutisme, sur le plan politique comme d’un point de vue moral ?

Est-il par ailleurs besoin de souligner les faits d’armes intérieurs du « Parti d’Allah », chantre d’un islam radical et oppressif, à la tête de l’un des plus gros cartels de drogue de la planète pour financer ses activités terroristes, et qui a littéralement placé la population libanaise sous son joug depuis de nombreuses années ?

S’ils avaient été écoutés par les dirigeants israéliens, vos appels indistincts au cessez-le-feu auraient-ils débouché sur l’affaiblissement salutaire de son arsenal militaire et de son influence tentaculaire au sein de ce pays du Cèdre que vous chérissez tant ?

« Israël doit cesser ses frappes et le Hezbollah sortir de sa logique de représailles », osiez-vous même déclarer, le 26 septembre 2024, dans une inversion accusatoire quasi mélenchonienne qui résume à elle seule le manque de discernement de votre diplomatie sur les scènes libanaise et proche-orientale.

La dialectique de l’extrême gauche est désormais bien rodée : masquer sa judéophobie viscérale à travers le paravent de l’antisionisme a pour corollaire d’accuser les Juifs d’assimiler toute critique de la politique israélienne à de l’antisémitisme. Au risque de contredire une nouvelle fois mes chers amis insoumis, je me permets donc de rappeler ici ce truisme avec force : aussi contestables que soient vos positions des derniers mois sur la situation au Proche-Orient, il n’y a jamais eu, et il n’y aura évidemment jamais, une once d’antisémitisme de votre part, Monsieur le Président. La constance et la sincérité de votre engagement sur ce plan l’attestent sans la moindre ambiguïté.

Pour autant, votre détermination à combattre ce mal se heurte, hélas, au mur du courage et du politiquement correct.

Comment en effet prétendre lutter contre l’antisémitisme sans jamais nommer les antisémites ?

Ceux qui déversent à jet continu, et en toute impunité, des tombereaux de haine sur les réseaux sociaux, ceux qui nazifient l’État d’Israël, ceux qui insultent, ceux qui agressent, ceux qui tuent mes coreligionnaires sur le sol de France au XXIe siècle appartiennent soit à l’extrême gauche soit à une frange de notre population contaminée par l’islamisme et sensible à la cause palestinienne. Énoncer une telle évidence ne signifie en rien que l’on se rend coupable de toute forme d’amalgame ou d’essentialisation.

Bien au contraire, poser officiellement un diagnostic que chaque citoyen a, depuis longtemps, parfaitement intégré permettrait sans doute de mettre en place des actions structurelles plus concrètes et des politiques publiques plus efficaces à tous les niveaux.

La lutte contre l’antisémitisme en France est devenue une urgence trop impérieuse pour se contenter de magnifiques cérémonies d’hommage ou de déclarations générales, aussi sincères et émouvantes soient-elles.

Pour conclure, Monsieur le Président, j’aimerais revenir sur votre inénarrable compagnon de route Yassine Belattar, que vous aviez nommé membre de l’instance du Conseil présidentiel des villes, en mars 2018.

Cet homme, par ailleurs condamné par la justice pour des faits extrêmement graves (menaces de mort), est-il digne de la proximité, de notoriété publique, qui vous unit de longue date, digne d’avoir été reçu à l’Élysée par vos conseillers quelques jours avant la marche nationale contre l’antisémitisme, et enfin digne d’avoir fait partie de la délégation française lors de votre voyage officiel au Maroc en octobre 2024, un mois au cours duquel vous aurez décidément cumulé toutes les provocations ?

Loin d’être « anecdotique », comme vous l’aviez alors indiqué à la presse, cette affaire a entaché l’image de la France et suscité l’ire et la stupéfaction de tous nos concitoyens attachés au socle de valeurs sur lequel s’est construite notre République.

Je vous invite à regarder cette courte vidéo qui fournit un aperçu glaçant et édifiant des « exploits » de ce sombre personnage, en formant le souhait que vos conseillers vous transmettent l’intégralité du contenu de cette missive.

Peut-on accorder aux ennemis de la liberté le « même temps » qu’à ceux qui promeuvent ses principes séculaires ?

La question me semble mériter d’être posée, sur la scène politique intérieure comme dans la sphère internationale.

Je vous prie d’agréer, Monsieur le Président, l’expression de ma très haute considération.

Claude Goldenfeld, historien des idées

____________

A relire:

Suivez-nous et partagez

RSS
Twitter
Visit Us
Follow Me

12 Comments

  1. Ce qui me choque dans ce texte : la derniere phrase !
    On peut avoir de la consideration pour le role du president , mais comment en avoir pour macron qui a degradé ce role au dela de l imaginable ?

  2. Cette lettre ouverte est magistrale et je plussoie sur tous les aspects énoncés. M. Macron joue un jeu fort dangereux et l’ensemble des français quelle que soit leur confession devraient s’y attarder y compris sur l’entourage du président dont Bellatar évidemment. La collusion entre ce président et LFI par ailleurs est tout à fait étrange .. ou pas ! Nous devrions nous attarder sur les fondements mêmes de telles positions.

  3. c’est un autre sujet mais quand même : ce soir mercredi, Tou Bishvat , dans la Tora comme dans les Psaumes, l’homme est assimilé à un arbre qui tout comme lui à les pieds plantés dans la terre et la tête dans les nuages,tandis que ses branches, tels des bras suppliant vers le ciel. Tou Bishvat dans le Talmud est cité comme un des 4 Nouvel An du calendrier Juif;le Roch ha chana des arbres la végétation va se présenter devant le Trône céleste et tout sera jugé .Il sera comme un arbre planté auprès des cours d’eau,Psaume. L’arbre des champs c’est l’homme même-Deutéronome 20,19. C’est beau non?

  4. Quand allez-vous vous débarrasser, peuple israélien, de votre naïveté, de votre angélisme. Vos ancêtres proches déportés et assassinés en masse avaient le même état d’esprit: le pire n’était pas possible.
    Tout comme les enfants allemands ont été instruits dans l’idéologie nazi avec la bénédiction de leurs parents adorateurs de leur führer ; qu’ils ont encouragé, envoyé se faire massacrer dès l’âge de 16 ans ; vous avez les mêmes à vos portes, des nazislamistes , conçus, endoctrinés, fanatisés, dès leur enfance prêts aux mêmes abominations ; vos dirigeants ont fait preuve de la même naïveté ou d’un calcul politique pervers. Avez eu besoin de ces manifestations de haine de la part d’adolescents pour vous en rendre compte ? Avez-vous encore besoin de preuves supplémentaires alors que vous savez que plus de quatre-vingt pour cent de cette population vous est hostile .
    En 1945 si les américains qui n’avaient pas été victimes sur leur territoire et dans leur chair comme l’ont été les russe, croyez-vous qu’ils auraient été disposés à sauver ces populations fanatisées et victimes de leur folie, de la famine imposée par leur vainqueur ?
    Essayez donc, autant que possible, comme vous l’avez fait généreusement, d’épargner ceux qui sont réellement les victimes des deux belligérants. Quant aux autres qui représentent plus des quatre cinquième qu’ils aillent tenter leur chance ailleurs dans les pays qui ont soutenu leurs dirigeants criminels à moins que dans un souci d’atteindre leur paradis ils acceptent de périr sous vos bombes.

    • Vous trouvez vous, que le peuple israélien est naïf?? je trouve bien au contraire qu’il est beaucoup plus éveillé que le peuple français, qui se laisse envahir par ces mêmes ennemis, les islamistes et qu’au contraire le peuple juif a su se relever et former une grande nation, fière, et une armée qui ferait pâlir plus d’un État surtout la France. Depuis quarante ans les français détruisent eux même leur pays…

Poster un Commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*