Souviens-toi ! Par R.  Shmouel Choucroun

Nous lirons ce Chabbat la section de la Torah Béchalah, marquée par trois épisodes célèbres qui s’inscriront dans la mémoire et la tradition d’Israël pour toujours : L’ouverture et la traversée miraculeuse de la mer des Joncs, l’apparition de la manne  et de l’eau sortant d’un rocher qui accompagneront les hébreux pendant leurs 40 années de pérégrination dans le désert et enfin,  la guerre contre Amaleck.

Ce dernier épisode de la Paracha va engendrer un commandement de la Torah. En effet, au-delà du récit même de l’attaque perfide des Amaléckim contre les hébreux, D.ieu ordonnera par la suite à Moïse d’enseigner aux enfants d’Israël le devoir de se souvenir à tout jamais du tort  causé par l’attaque de ce peuple :  

זָכ֕וֹר אֵ֛ת אֲשֶׁר־עָשָׂ֥ה לְךָ֖ עֲמָלֵ֑ק בַּדֶּ֖רֶךְ בְּצֵאתְכֶ֥ם מִמִּצְרָֽיִם׃

« Zakhor et acher assa lekha Amaleck baderekh betsetchem mimitsraïm »

« Souviens-toi de ce que ce que t’a fait Amaleck en chemin, lorsque vous sortiez d’Egypte. »(Deutéronome 25, 17). 

Ce commandement ancestral  peut par certains aspects nous étonner. En effet, le peuple d’Israël a croisé nombre d’ennemis durant son histoire. Parmi eux, nous pourrions pointer du doigt  nombre de nations  qui se sont montrés cruelles contre les juifs que ce soit dans les temps bibliques ou dans un passé plus proche de nous. En premier lieu, les égyptiens eux-mêmes ont certainement causé aux hébreux des souffrances et des pertes humaines bien plus  importantes que les Amaléckim ; Plus loin dans le récit de la Torah, Edom n’a lui aussi montré aucune empathie envers nos pères lorsqu’ils lui demandèrent de traverser sa terre (voir livre des Nombres chap.20, V.20).

Mais dans ces deux cas, ces peuples n’ont pas subi le même anathème qu’ Amaleck malgré leur immoralité prononcée comme il est écrit dans le Deutéronome (chap. 23, V. 8) : « N’aie pas en horreur l’Iduméen car il est ton frère, n’aie pas en horreur l’égyptien car tu as séjourné dans son pays » .

Il semblerait donc que la « détestation » d’Amaleck ne se mesure aucunement à l’échelle du nombre de victimes dénombrés durant notre guerre contre lui, ou  par d’autres paramètres  qui essaieraient d’évaluer « le taux d’oppression et de désolation» causé par tel ou tel ennemi d’Israël. Que dirions-nous avec le recul de l’Histoire des babyloniens ou des romains qui ont causé la destruction des deux temples de Jérusalem puis exiler les enfants d’Israël ? Où placerions-nous dans ce classement certaines nations qui ont génocidé ou expulsé et converti de force nombre de juifs sous la menace ?

Il nous faut donc admettre que le commandement de se souvenir du Mal causé par Amaleck lors de la sortie d’Egypte  dépasse  largement ce que nous appelons communément  aujourd’hui « le devoir mémoriel ».

Pour essayer d’éclaircir cette idée, penchons-nous sur plusieurs épisodes du Livre de Samuel : 

  • Dans un premier temps, le prophète Samuel ordonne au roi Saül de partir en guerre contre Agag le roi d’Amaleck et son peuple et de les anéantir. Cependant, le roi Saül pris de remords, laissera en vie Agag et une partie de son bétail. A la source de sa désobéissance, le roi  Saül aurait tenu un raisonnement le conduisant à agir ainsi « si déjà pour une âme innocente retrouvée morte, la Torah nous incombe de briser la nuque d’une génisse, alors pour tant de gens comment pourrions-être pardonnés ? si les adultes sont coupables, en quoi les enfants ont-ils fauté ?  si les hommes ont fauté, en quoi les animaux sont-ils coupables ? » Saül désobéira ainsi aux paroles  du prophète Samuel, perdant ainsi la royauté. 
  • Dans un chapitre suivant, le roi Saül fera exécuter les prêtres, Cohanim, de la ville de Nov.   Ces derniers se sont rendus coupables par inadvertance d’avoir aidé David, que Saül cherchait à éliminer car il pressentait que le fils d’ Ychaï prendrait un jour sa succession. Ceux sont donc des dizaines de Tsadikim, Justes qui seront tués sous l’ordre du roi, cette fois sans aucune miséricorde de sa part.  L’Ecclésiaste exprimera cette contradiction de Saül dans ses versets : « Ne sois pas juste à l’excès… Ne soit pas trop méchant ». Saül dévie dans l’excès de miséricorde puis dans la cruauté.   

Ces différents épisodes mettent en lumière deux fondements que nous nous devons de comprendre :

  • L’ordre de la Torah du souvenir d’Amaleck ne consiste en rien à une rancœur éternelle gratuite, ou une injonction nous priant de vivre dans la haine, la détestation de toutes les Nations ayant porté atteinte à Israël. Bien au contraire, comme expliqué en introduction, la Torah nous demande de ne point haïr des Nations qui ont agi en bien…  puis en mal contre nous à l’instar de l’Egypte.

La « détestation » d’Amaleck découle d’un point différend : cette Nation a déclaré une guerre physique et spirituelle au peuple juif. Elle se refuse intrinsèquement d’admettre l’idée d’un peuple élu, représentant la volonté de D.ieu sur terre. Rachi souligne la barbarie d’Amaleck qui émasculait ses victimes en signe de tout refus d’Alliance avec D.ieu.  Le Keli Yakar, célèbre commentaire de la Torah  appuie cette idée, en rappelant la débauche et les viols d’Amaleck lors de cette bataille. Amaleck a voulu démontrer au monde que ce peuple fraichement libéré d’Egypte n’avait rien de divin ou de surnaturel. En ce sens, il s’est déclaré lui-même ennemi héréditaire d’Israël au-delà de tout conflit territorial.

Qu’importe le prix qu’il paiera, il est prêt à « se brûler » à condition d’atteindre Israël.

Cela nous conduit au deuxième enseignement de notre réflexion, l’injonction de faire disparaître Amaleck. Le roi Saül y voyait une forme de barbarie, comment pourrions-nous supporter de faire couler autant de sang !? C’est justement le cœur de cet enseignement qui a échappé à Saül : L’ordre donné par le prophète Samuel ne découlait pas d’une soif de sang ou de vengeance ou d’une cruauté déplacée du Ciel…

Au contraire, l’existence d’Amaleck menaçait Israël, et en ce sens, elle menaçait de faire disparaitre aussi son message au monde ! Car oui, c’est bien la Torah et non tel ou tel apôtre  qui enseigne « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Lévitique 19,18) ; c’est bien la Torah qui a enseigné « Tu ne tueras point » ou « si l’étranger s’installe dans votre pays, vous ne l’opprimerez pas », et encore bien d’autres principes moraux qui se sont diffusés à travers le monde. 

Le roi Saül faillira et finira même par se montrer insensible et cruel envers les Cohanim, les prêtres de la ville de Nov. Et en laissant en vie Agag le roi d’Amaleck, Saül faillit causer la disparition d’Israël car l’un de ses descendants,  Aman, sera tout proche d’atteindre le but porté par son peuple lors de l’exil de Babylone.

 Il nous faut donc comprendre du commandement de  « Zakhor » – (Souviens-toi !) qu’il implique une prise de conscience fondamentale du rôle d’Israël dans ce monde ; Nous ne pouvons appréhender le devoir de lutter contre Amaleck sans  comprendre un tant soit peu le danger qu’il représente pour toute l’humanité.

Et au-delà de cette guerre  contre Amaleck qui peut être physique ou bien spirituelle selon les époques, c’est un système de valeurs que la Torah cherche à nous enseigner. « Ne sois pas juste à l’excès… » En d’autres termes, n’étend pas ta miséricorde vers ceux qui voudront t’effacer de l’Histoire.  Ne soyons pas stupéfaits lorsque des autorités dites morales ou religieuses condamnent à tout bout de champs Israël et sa morale avant d’être eux même rattraper par des affaires parfois sordides. Ne soyons point surpris que nombre d’organisations si miséricordieuses envers des groupes portant la haine d’Israël et qui agissent au nom du bien et de la Bonté, ou de l’humanisme, finissent par haïr Israël. L’attitude de la Croix Rouge pendant la Shoah ou d’autres ONG de nos jours ne doivent point nous surprendre, car même la mesure de « Hessed », de bonté, doit se limiter dans ce monde, et si cela n’est pas le cas, ce même « Hessed » peut dégénérer en abomination comme ce fût le cas avec le roi Saül, ou les filles de Loth.

« Efface le souvenir d’Amaleck » nous invite à construire un monde de bonté véritable. Un monde où des barbares sanguinaires ne pourront être confondus avec les enfants d’Israël.

R.  Shmouel Choucroun

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