Tribune Juive

« Un  pays entier  attend. Tout un peuple attend ». La Chronique de Rachel Darmon

Ma copine Léna et moi avons fait notre ballade hebdomadaire dans la nature. Déconnectées de tout. Une fée semble avoir  recouvert l’horizon de peintures vertes. Les anémones de toutes les couleurs, les cyclamens sauvages, les narcisses et les iris nous émerveillent chaque année.

Léna me prend pour une ornithologue et  botaniste de haut niveau. En revanche, elle a vite compris que le sens de l’orientation n’était pas mon fort. On se perd dans des réserves grandes comme un mouchoir de poche. Ça nous donne l’impression d’être dans des contrées infinies.

Ce samedi, tôt, nous admirions une ancienne carrière romaine, un arbousier à l’écorce rouge, une famille bovine fort sympathique- avec trois veaux nouveau-nés, une buse et un aigle criard ( « Non Léna, ce n’est pas un pélican, c’est une hirondelle » ).

Ça  fait beaucoup de pas, beaucoup de choses à se raconter et à partager.

Tout d’un coup, on a senti dans l’air quelque chose de différent. Les oiseaux devenus silencieux ? Les vaches qui ne ruminaient plus ? Les abeilles à l’arrêt ? Est-ce le vent qui a coupé son souffle ? Nous étions seules. Pas de randonneur, cycliste, famille de promeneurs. Il se passait quelque-chose…

De retour dans la voiture, en écoutant la radio, j’ai compris. Liri, Karina, Naama et Daniela étaient entrain de revenir à la maison. Le parcours – rempli d’attente, d’angoisse, d’étapes, était engagé. Un supplice !  La mise en scène obscure du Hamas à Gaza, le transfert à la croix rouge, la réception par Tsahal, le passage de la frontière ; l’arrivée dans une base militaire où des médecins les attendaient…

La journaliste, la gorge serrée, décrivait, seconde après seconde,  cette progression de l’enfer vers la liberté.

Je roulais vite. Arrivée dans mon parking, j’ai croisé Dana (ma voisine wonder woman). Nous avions toutes les deux les larmes aux yeux mais devant ses trois petites filles – qui ignorent  qu’il y a eu une guerre, des otages, des morts ; le 7 octobre – elle ne dit rien.

Je suis arrivée chez moi, en courant,   au moment où Daniel Hagari laissait percer l’ébauche d’un sourire (je vous jure, il a presque souri) en déclarant, solennellement :  « Liri, Karina, Naama et Daniela viennent d’entrer en  Israël ».

Je ne pouvais  détacher mes yeux de l’écran. Le parcours a été encore long… Le  transfert en hélicoptère, l’arrivée à l’hôpital…

Lorsque j’ai enfin vu ces quatre jeunes soldates, héroïnes, championnes de la vie  (que j’ai l’impression de connaître personnellement, elles et leurs familles)  se jeter dans les bras de leurs parents, j’ai pu éteindre la télévision.

Ça ressemble à ce que je vous ai raconté la semaine dernière.

J’espère vous raconter la même chose la semaine prochaine. 

Puis lors de la deuxième phase. Puis de la dernière phase de l’accord.

Un  pays entier  attend. 

Tout un peuple attend.

Que les 90 otages rentrent à la maison.

© Rachel Darmon

Née à Paris, Rachel Darmon vit en Israël depuis plus de 30 ans. Professeur de français, éducatrice, guide touristique, elle a toujours écrit. Lauréate du « Prix des arts et des lettres » pour sa nouvelle « Le mur du bruit », elle a publié deux romans chez Folies d’encre : « Le gâteau de Varsovie » et « Tâter le diable ».

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