Il y a un an et demi, j’étais dans un bar à cigares, le Portovino, au port de Tel Aviv.
Sans le savoir, j’allais faire une rencontre magique.
Je m’étais assis au bord du zinc et avais allumé un cigare. Il s’agit pour moi d’un plaisir simple. Je le fume, et le temps s’arrête. Pas de « m’as-tu-vu », pas de bling-bling, ni de signes extérieurs de richesse.
J’étais donc tout à ma dégustation, échangeant quelques mots avec la serveuse et le patron, buvant je ne sais plus quoi (sans doute de l’eau gazeuse).
Mis à part le bar, il y avait aussi des fauteuils club en cuir, dans lesquels s’étaient affalés d’autres clients. L’endroit était presque complet, et la fumée des cigares rendait le lieu cauchemardesque pour un asthmatique.
Du coin de l’œil, je le vis entrer. Plus grand que je l’imaginais, imposant, même. Il portait une veste de cuir et se dirigeait d’un pas lourd vers la cave à cigares.
C’était Quentin Tarantino.
En 1997, « Jackie Brown » sortait. Je ne l’ai vu qu’un an ou deux plus tard. Encore aujourd’hui, ce film de Tarantino, un peu oublié, fait partie de mes préférés.
Pourquoi est-ce l’un de mes préférés ?
En 1990, je suis allé pour la première fois aux États-Unis, en Californie, à Los Angeles, plus précisément du côté de Long Beach, pour rendre visite à mes grands-parents.
Mon grand-père était venu nous chercher, mon grand frère et moi, à l’aéroport, dans son immense Cadillac Sedan de Ville, couleur marron bordeaux. Tout de suite, l’odeur de la ville, un mélange de pollution (le fameux smog) et de soleil, m’enivra.
Il s’agissait à l’époque d’une grande Cadillac, telle qu’on se les imagine, tout droit sortie d’un film américain des années 70/80. Du haut de mes 12 ans, j’étais impressionné. Cet été avec eux fut suivi d’autres, jusqu’au décès de « grandpa » en 1996.
Je me souviens de ces balades avec mon grand-père, toujours dans cette Cadillac. Il m’emmenait manger dans sa « cantine », le « Cosy Corner Café », où nous commandions un « Tuna Sandwich », lui l’accompagnant d’un iced tea et moi d’un coca. Ou encore chez « Hoff’s Hut », pour une pumpkin pie. Sans oublier « Philippe’s », pas très loin de la gare de Los Angeles et son style Art déco, pour un French Dip : un sandwich de fines tranches de bœuf que l’on trempait (d’où le « dip ») dans le jus de cuisson de la viande.
Cet été-là, je découvris la root beer.
Mon grand-père était la douceur et le calme incarnés. Pas très grand, pas très gros, avec des mains agiles (il était dentiste). Ainsi, le volant de cette voiture, enserré par ses doigts, donnait l’impression d’un enfant maniant un jouet trop grand pour lui.
Ces kilomètres dans Los Angeles, Long Beach, Huntington Beach et Seal Beach m’ont profondément marqué.
Je n’ai retrouvé cette sensation, cette odeur de smog et de soleil lors de ces balades avec mon grand-père absolument nulle part. Jusqu’à ce que je voie « Jackie Brown ». Ce film capture l’odeur de la Californie du Sud, sa lumière, son ambiance, comme aucun autre.
En voyant ce film à la fin des années 90, je m’étais dit que, si un jour je croisais Tarantino, même une seule minute, je lui dirais à quel point ce film m’a touché, pour les souvenirs de L.A. en Cadillac avec mon grand-père. Il est la seule célébrité que je souhaitais rencontrer, uniquement pour lui dire cela.
« Dans mes rêves », pensais-je.
Et voilà qu’il était là, dans ce bar à cigares de Tel Aviv, me frôlant pour accéder à la cave. Il fit sa sélection et s’assit au bar. Près de moi.
J’hésitai un moment à m’adresser à lui, d’autant qu’il avait gentiment et avec délicatesse, presque en s’excusant, refusé des selfies demandés par le patron.
Je finis par me lancer :
« Excusez-moi, désolé de vous déranger, je voulais juste vous dire que ‘Jackie Brown’ est un film que j’adore, car il me fait penser à mon grand-père avec qui j’ai parcouru Los Angeles et sa banlieue. C’est le seul film où l’on sent l’odeur du smog, et ça me rappelle la Cadillac de mon grand-père ».
« Génial ! C’est exactement le type de réaction que j’espère ! »
Soulagement.
Nous avons passé deux heures à discuter, de tout sauf de cinéma. À nous raconter des blagues, à lui donner des conseils sur un cigare à fumer, à parler, tout simplement. Je dus partir. Je lui serrai la main. Il me dit :
« Comment tu t’appelles ? »
« Israel. »
« Enchanté, Israel. »
On dit qu’il ne faut pas rencontrer ses héros. Vous savez ce que je pense des « on dit ».
© Israel Travor
Israel Travor est Chef de Projet éditorial
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