
« Comme un Liseré d’or«
Par Daniella Pinkstein
Les tumultes de l’histoire juive n’ont pas seulement laissé la trace de nos larmes dans chaque menu sillon, mais aussi lancé aux quatre ciels des liserés, des milliers et encore d’autres milliers de liserés d’or, tissés ici, là-bas, dans les jardins du paradis comme dans le ghetto de Varsovie, dans les mellahs d’antan comme dans les rues du Marais, dans Manhattan comme dans la rue Haneviim de Jérusalem. Des hommes, femmes, penseurs, écrivains ou pas, ont étiré un fil dans l’obscurité pour qu’au lever du jour nos regards sachent se lever, ils ont tendu cet amarrage infini pour nous y accrocher quand nos genoux fléchissent. De chroniques en chroniques, je déroulerai la pelote d’or. Car rien de nos écrits ou de notre mémoire n’est fortuit. Les uns et les autres attendent leur heure. Le temps juif possède son rythme, mais sa force est de nous inviter à y prendre part, à le forger. Vous, moi, nous y avons une contingence – plénière. Témoins, passagers, passants, nous cousons. Et de fil en aiguille, comme disait mon grand-père, nous enfants de Jacob, fabriquons notre Royaume.
Il y a des envois dont l’enveloppe, le carton, le contenant, qu’il fut bouteille de lait ou large malle, foudroient toutes les boites de Pandore. Ils sont non seulement leur inverse mais surtout augure déjà du poids qu’ils lèguent à ce monde.

En ce jour croisé de Hanouka et de Noël où les miracles se mirent l’un face à l’autre, alors qu’il est encore si malaisé de nous regarder les uns devant les autres, en ce jour incertain pour nous autres Juifs, avant la 8ème bougie, dans cette lutte inégale entre les armées de Séleucides et les quelques hommes de Yéhouda HaMakabi, entre la volonté de détruire, d’effacer, d’annihiler, et celle indéfectible d’honorer la bénédiction de la vie, il ne faut pas oublier ceux qui nous ont appris à reconnaître notre Promesse, et à s’y tenir. Sans désunion, sans illusion non plus.
Car depuis les réseaux – trop souvent palais des glaces et des vanités, (- nous avons été cependant toujours très loquaces -) , combien de paroles inspirées, infatuées, exaltées, avec les meilleures intentions certainement, tous ces rabbins, ces presque rabbins, ces prédicateurs pour leur majorité autoproclamés, qui, comme dans les plaisanteries yiddish, nous menacent de leurs miracles saugrenus, oui, combien sommes-nous submergés de ces prédictions, de leurs encouragements enflammés à comprendre, les volontés divines, disent-ils. … Dans ce chahut avons-nous oublié les grandes figures de notre judaïsme qui, dans un discours à contre-sens de l’emphase, nous ont sauvés, après-guerre, de l’effondrement mental, ont remis, seules, à mains nues, l’esprit à vif pourrait-on dire, leur Peuple en chemin ?
En ce jour de Hanouka, ce que je pensais être un simple colis est arrivé à ma porte. A dire vrai cela ressemble davantage à une valise, prête au départ. Rien à voir en apparence avec ce colis jadis reçu de Varsovie, contenant la reproduction d’une partie des Archives de Ringelblum. Pourtant, un point commun les unit : je sais sans l’ouvrir que se joue, une fois encore, un destin commun. Toupie qui abolit, n’en déplaisent à certains, le hasard. נישט – גאנץ – העלב- שטעל אין [1]–

Et chaque année se rejoue encore ce destin. Nes gadol haya sham … chacun y mettant de sa fortune.
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« Le Liseré d’or ». André Chouraqui
André Chouraqui, dont la parole était traversée par le souffle du prophétisme, a traduit et commenté toute la Bible, Tanakh et le Nouveau Testament. Les traductions issues principalement de la Septante ou de la Vulgate ont, en français, connu de très nombreuses versions. La plus récente traduction en français du Tanakh étant celle de Zadoch Kahn, publiée en 1902. Mais personne n’avait osé, avant André Chouraqui, relever le défi d’absolument tout retraduire à partir de la chair originelle du texte en hébreu et en araméen, mot à mot, au silence près. Traduction inédite, folle tant la démarche tient de la prouesse insensée. Pour éviter le contresens, et ce qui en découle, la mauvaise foi des uns comme des autres, André Chouraqui décide en double défi non seulement de retranscrire en français toute la Bible,- Ancien et à partir du grec Nouveau Testament qu’il publie en 1987- , mais également d’ajouter des commentaires, les siens, et aussi ceux d’éminents historiens et théologiens chrétiens et musulmans. Dix volumes aussi lourds en poids qu’en espoir. La Bible traduite par ses soins aujourd’hui, nommée « Bible Chouraqui », semble porter l’Homme, le sommant, à chaque naissance du jour, d’entendre enfin sa destinée, face à l’homme qu’il devient.

Ce qu’a accompli André Chouraqui tient de l’irraisonnable comme de l’incommensurable. Comme s’il étreignait, chaque matin, une vie de plus. Car combien de vies lui a-t-il fallu pour construire autant d’édifices ! Traducteur du Tanakh, du Nouveau Testament mais également – ce que jamais personne ne fit ainsi à la suite -, du Coran, à partir une fois encore de son écriture originale en arabe ! Traducteur de textes inédits encore inaccessibles en français comme L’introduction aux devoirs des cœurs de Bahya Ibn Paqûda, André Chouraqui démultiplie l’existence, penseur, auteur d’une soixantaine d’ouvrages, proche collaborateur de Jules Isaac, de René Cassin, de David Ben Gourion, adjoint au Maire de Jérusalem, Teddy Kollek, il avance sans ciller ni se retourner, nous enjoignant à la suivre. Sans infatuation non plus, sans savoir absolu, juste avec un salut fraternel.

« De portée universelle, le Décalogue a été adressé à un petit peuple mis en demeure de le communiquer à toute l’humanité. Le lieu de la proclamation des Dix Commandement est un désert. Le désert n’est à personne : un objet trouvé au milieu des rocailles arides appartient à quiconque prend la peine se des se baisser le ramasser. Les Dix Paroles s’adressent ainsi à l’humanité entière du fait même qu’elles résument en quelques phrases la condition humaine et les conditions de survie de l’humain qui est en l’homme. Nul ancrage géographique précis, nulle cité, comme si le Décalogue, bien loin de provenir d’un pays précis, devait devenir la patrie l’homme[2]« .



Prophète heureux, prophète infatigable dont les lumières, l’intelligence, la connaissance, l’espoir, le souffle nous sont aujourd’hui désespérément indispensables, André Chouraqui nous a bâti non un liséré mais un pont d’or. Une vocation à laquelle nous donnerons régulièrement voix dans ces chroniques, pour forcer nos yeux, souvent ahuris, quelquefois fermés, mais le plus généralement obstinément incrédules, à voir enfin…
Pour connaître l’homme, et nous sensibiliser à l’ampleur de sa pensée et de son œuvre, Emmanuel Chouraqui lui a consacré un hommage sous la forme d’un documentaire d’une impeccable intelligence et sensibilité, à fleur de peau de ce qu’André Chouraqui assigna à l’Histoire. Documentariste ayant déjà réalisé quelques dizaines de films sur des personnalités aussi vénérables que trop rapidement effacées de notre histoire, Emmanuel Chouraqui nous révèle un homme, un Mentsh, son père, sous la plus émouvante et éternelle des perspectives. Avec son autorisation, le film est ici https://youtu.be/Y-daMEjw0tE?si=UNDHVaPipYwZHUus en visionnage libre.
Pour tous ceux qui, en ces jours de lumière et de mages, fêtent le miracle de la vie, pour ceux qui ont attendu devant leur empaquetage scintillant que l’avenir fuse d’authentiques apparitions et même pour ceux qui confondent encore la crèche aux prêches d’antan enjoignant le juif à l’errance éternelle, ne négligez pas qu’ « A chacun il sera demandé en ce seuil où l’humanité en détresse risque de sombrer dans le néant : ‘Sauveur du monde, qu’as-tu sauvé ?‘ [3]«


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Sur le Site de la société de production Beamlight, vous trouverez, des archives, la vente numérique d’un livre inédit d’André Chouraqui, des films, et la possibilité aussi de participer et aider aux projets à venir, pour que le liséré d’or continue à se tisser d’une main à l’autre.
https://editionsbeamlight.com/produit/andr
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« André Chouraqui, L’Écriture des Écritures » réalisé par Emmanuel Chouraqui
Lien pour visionner le film gratuitement : https://www.youtube.com/watch?v=Y-daMEjw0tE
Lien pour acheter le film, (version française sous-titré en anglais, hébreux ou italien)
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Lien pour l’achat de « La création de l’état d’Israël » d’André Chouraqui, 1948
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Lien vers le colloque sur André Chouraqui au collège des Bernardins en Novembre 2016
© Daniella Pinkstein
Photos: Fonds André Chouraqui
Notes
[1] Chacun possède une mise de pièces de jeu ; les traditionnelles piécettes de cuivre distribuées aux enfants à titre de Hanikke gelt ont été, dans la plupart des foyers, remplacées par des pièces en chocolat.
On y joue à tour de rôle, mettant une pièce dans la « cagnotte » centrale avant de lancer la toupie (lorsque la cagnotte est vide ou ne comporte qu’une pièce, chaque joueur doit y remettre une pièce). La suite du jeu dépend du résultat du jet de la toupie :
- נ (Noun) – נישט nisht, « rien » (« un tour pour rien »),
- ג (Guimmel) – גאנץ gants, « tout » (le joueur empoche la totalité de la mise et chacun remet une pièce dans la cagnotte),
- ה (Hei) – האלב halb, « moitié » (« prends la moitié de la mise », celle-ci étant, en cas de nombre impair dans la cagnotte, arrondie à l’unité supérieure).
- ש (Shin) – שטעל אין shtel ayn, « dépose » (« dépose une pièce dans la cagnotte ») ;
Le jeu se poursuit jusqu’à ce que l’un des participants remporte la totalité de la mise.
[2] André Chouraqui, « Les Dix Commandements aujourd’hui »
[3] André Chouraqui, « Jérusalem, Une ville sanctuaire »
« Comme un Liseré d’or »: Genèse
— cattan (@sarahcattan_) December 29, 2024
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