LE FIGARO MAGAZINE. – Vous connaissez François Bayrou depuis presque quarante ans, comment le décririez-vous?
Nous nous sommes rencontrés en 1986. J’étais secrétaire d’État et lui député. Par-delà nos divergences en termes de convictions, nos visions différentes de la France, j’ai toujours gardé pour François une estime qui a survécu à nos confrontations. Je dirais qu’il y a le Bayrou des champs et le Bayrou des villes. Ils sont très différents l’un de l’autre, c’est une sorte d’«en même temps» à la manière béarnaise. Le François Bayrou des champs, agrégé de lettres, est l’un des très rares politiques qui écrit ses livres lui-même. Il n’a pas besoin d’un nègre blanc, comme disent les wokistes.
Il apporte de l’air frais: de mon temps, l’Assemblée nationale était l’annexe de l’Académie française, elle est devenue l’annexe de la fabrique des crétins numériques! J’avais dévoré son Henri IV, c’était une gourmandise de l’esprit. Et puis François Bayrou est un rural, qui connaît mieux le monde des animaux de la ferme que celui des fauves. C’est aussi un catholique de gauche, dans la filiation du Sillon de Marc Sangnier, qui porte l’idée de réconcilier le dogme et la masse mais qui a gardé de sa tradition une méfiance vis-à-vis du catholicisme sociétal. Pour en avoir parlé avec lui il y a longtemps, je ne le vois pas par exemple reprendre le projet de loi sur l’euthanasie.
Philippe DE VILLIERS. – A-t-il les qualités nécessaires à un premier ministre?
Ses qualités le prédisposent à avoir du recul, à «voir ce que l’on voit», comme disait Péguy. Malheureusement, elles sont à mes yeux contrebalancées par deux grands défauts. D’abord, son européisme béat. François Bayrou est un atlantiste, européiste et mondialiste. Nous nous sommes séparés en 1992 au moment du traité de Maastricht, alors que nous étions tous les deux à l’UDF. Il faisait partie du «cercle de la raison» et il vitupérait contre ceux qu’il appelait des «nationalistes», dont j’étais.
Son second défaut est la raison du choix d’Emmanuel Macron, qui a compris que nous avions changé de République. Nous sommes passés de ce que Michel Debré appelait le «parlementarisme rationalisé», qui veille à l’autonomie de l’exécutif par rapport au législatif, à la parlementarisation du pouvoir, qui privilégie le compromis, pour ne pas dire la compromission. François Bayrou à Matignon, ce n’est pas une projection vers l’avenir, c’est une rediffusion. C’est un homme de la IVe République égaré dans la Ve. Il y a un symptôme qui ne trompe pas: son grand combat, c’est la proportionnelle, redonner le pouvoir au parti au singulier et aux partis au pluriel. C’est une kleptocratie, le dernier clou sur le cercueil de la Ve République. Moi, c’est la souveraineté nationale. Chacun ses causes!
Il souhaite un gouvernement de « réconciliation ». Peut-il y parvenir sans en être réduit à l’immobilisme?
Autrement dit, peut-il élargir la minorité au pouvoir pour gouverner sans risque d’être censuré? S’il parvient à faire l’amalgame du PS et des Républicains en jouant sur la boulimie des affamés de maroquins, il aura un peu de répit. S’il échoue, on retrouvera la configuration arithmétique qui a causé la chute de Michel Barnier.
La seule manière pour lui d’échapper aux contingences des vanités et des ambitions, c’est de gouverner sur les cimes en affrontant les trois questions majeures qui font que le pronostic vital de la France est engagé: celle des frontières, celle de la continuité historique à l’école et, enfin, celle des prélèvements qui sont en train d’étouffer notre économie. L’important n’est pas de savoir s’il va durer mais s’il va assurer la survie biologique, culturelle et économique de notre pays en perdition.
Peut-il claquer la porte s’il est empêché de gouverner pour préserver ses chances à la présidentielle de 2027?
Ceux qui connaissent François Bayrou savent qu’il est doté d’un caractère entier. Il se fait de lui-même depuis quarante ans une idée précise et avantageuse: il identifie son salut à celui de la France. D’où sa colère face à Emmanuel Macron pour être nommé, colère qu’il justifie par l’intérêt supérieur du pays. Le Béarnais pense comme Henri IV qu’il vient de vivre Arques et Ivry et que se profile bientôt l’édit de Nantes. Il a peut-être oublié la fin de l’histoire, Ravaillac alias Mélenchon qui rôde dans les rues de Paris, le poignard à la main.
Propos recueillis par Judith Waintraub
Source: Figaro Magazine
Robespierre(1793/1794), la révolution et la terreur cela correspond plutôt à Mélenchon.Quant à Bayrou, j’attends de voir le nom des ministres au gouvernement.