« Anatole Bernolu a disparu » de Pauline Toulet aux éditions de La Dilettante est de ces pépites inattendues, sorties dans l’anonymat d’une rentrée littéraire aux centaines d’ouvrages en compétition, et qu’un salon du livre (celui de l’Est Parisien le 17 novembre à Saint-Maur, 94) a mis sur ma route. Voilà un petit texte pour dire combien j’ai aimé ce roman venu d’ailleurs, qui révèle une auteure aussi drôle et imaginative que sacrément douée pour la prose…
On ne fait pas d’omelettes sans casser des œufs. Et pas sans « e » du tout, car le mot « omelette » en comporte trois. Grâce à Pauline Toulet (devrais-je dire Paulin Toult ?), je sais désormais qu’on peut tenter de traverser Paris sans »e », en mode Georges Perec (devrais-je dire Gorgs Prc ?).
Une sorte de « lipogramme tour » qui se jouerait sur la disparition d’une voyelle, comme avec celle d’Anatole Bernolu (devrais-je dire Anatol Brnolu ?).
Le héros n’a en tous cas pas la berlue (et ses deux « e ») et constate, avec la narratrice, qu’une lettre disparait, comme elle peut être volée chez Edgar Allan Poe (devrais-je dire Dgar Allan Po ?).
Tout semble alors désolé, ou plutôt ouvert à l’incertitude. A l’inquiétude. Adieu, la légèreté, l’un des mots de la langue française qui comporte en son sein le plus de « e » (la moitié du mot en fait).
A marabout, marabout et demi… Anatole en a-t-il marre (de l’existence) ? Est-il à bout ? En tous cas, Il va consulter dès les premières pages de l’ouvrage, paru aux excellentes éditions de la Dilettante, un improbable marabout réparateur de grille-pains dont il n’obtient aucune réponse probante sur son avenir. La faute à la fuite d’un gastéropode dans la forêt, très peu vierge, d’un tapis livré à la poussière et aux acariens.
Puis, on découvre Anatole en entretien d’embauche chez Marabout, l’éditeur cette fois, révélant au débotté à la recruteuse une théorie prégnante sur Claude Lévi-Strauss (l’anthropologue qui ne portait pas de jeans et aux tropiques tristes), en serial killer, empoisonneur de surcroit, matant ses congénères, dont son confrère et à priori ami Émile Benveniste, pourtant un peu plus résistant que les autres (la faute à 5 « e » dans l’association de son prénom et de son nom ?).
Benveniste, un nom qui résonne – sans lien pourtant de famille, enfin je ne crois pas – avec Jacques, scientifique de renom, prestement discrédité par la doxa scientifique pour avoir observé, dit-il, « la mémoire de l’eau » et sa validation en conséquence de l’intérêt de l’homéopathie …
Est-ce aussi parce que cet autre Benveniste avait pour ami Jean-Pierre Chevènement (que de « e » ! 7 en tout), dont il fut conseiller quand celui-ci, après avoir été ministre, survécut in extremis quelques années plus tard à une allergie sévère au curare et à un méga-choc anaphylactique consécutive à une banale anesthésie ?
Mais je m’égare. Revenons à nos moutons… Pas ceux du tapis du marabout de Barbès… Et que je cesse de vous parler de l’intrigue qu’il vous faut découvrir pleinement.
Vous ai-je dis que j’ai horreur de divulgâcher ? Bref, je vous invite à découvrir combien l’intrigue autour de cet Anatole et de sa conviction bien trempée d’un Lévi Strauss maléfique et machiavélique, assassinant à qui mieux mieux toute forme de concurrence sur son « marché », est plaisante et cocasse. Combien s’avèrent jubilatoires le style et le et l’humour débridé de l’écrivaine qui leur donne la vie sur le papier. « Page Turner », autant qu’il est possible de l’être, cet « APAD » (l’acronyme sans « e » de son titre), ce roman mature -bien qu’il soit un premier roman- est un pur bonheur de lecteur !
Et moi qui ne prétend pas maîtriser les arts divinatoires et les « Tips » des marabouts, prédis pourtant un très bel avenir de plumes à Pauline Toulet, que l’on félicite pour sa verve et son imagination galopante. Que l’on remercie pour l’excellent moment qu’elle nous fait passer sur les pas d’Anatole et de Claude, et des « e » disparus…
© Gérard Kleczewski
« Anatole Bernolu a disparu » de Pauline Toulet, aux éditions de La Dilettante, 256 pages. 19€.
Pauline Toulet était présente au salon du livre du Bnai Brith de Saint Maur en novembre
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