Habib Kazdaghli est avant tout un historien tunisien célèbre. Professeur dans plusieurs universités européennes, ancien doyen de la faculté des lettres de Tunis, il a contribué à l’histoire sociale de la Tunisie avec des travaux sur le mouvement communiste, l’histoire des femmes et celle des minorités.
En fait, il rompt avec la conception du métier d’historien et brise un tabou en inscrivant dans l’histoire d’un pays, celle des minorités et notamment celle des juifs de Tunisie. C’est le sujet du livre qu’il vient de publier (1) « Les juifs, nos frères en la patrie ».
Seulement voilà : la politique actuelle de la Tunisie est loin de ce sujet. En effet, depuis son élection en 2019, le président tunisien, Kais Saied marque sa distance avec les juifs tunisiens, et ne cesse d’afficher son soutien total au peuple palestinien « dans sa lutte pour la libération et le recouvrement de tous ses droits légitimes ». Mieux : il considère que les Palestiniens doivent avoir un « État du Jourdain à la mer » et que l’État d’Israël n’a aucune légitimité. Il va même plus loin. Il propose de rajouter à la constitution tunisienne « un article qui criminalise toute normalisation avec Israël ». Et encore plus loin : il déclare que le terme « normalisation » est erroné et que toute relation avec « l’entité sioniste » constituerait un acte de haute trahison. Bref, son antisionisme est assumé autant que ton antisémitisme est nié. A la suite de l’attentat lors du pèlerinage juif de la Ghriba, en 2023, qui a fait plusieurs morts dont deux juifs de nationalité tunisienne, Kais Saied a soutenu qu’il s’agissait d’un « acte criminel sans connotation antisémite ». Mieux encore : il déclare qu’ à cette occasion les habitants ont protégé les Juifs des nazis alors que personne ne dit rien quand les Palestiniens sont tués tous les jours. Et mieux encore, en 2024, le pèlerinage de la Ghriba a été purement et simplement annulé « pour des raisons de sécurité ».
Alors question : comment va être accueilli le livre de Habib Kazdaghli ?
“Moi, dit-il, je veux rompre avec la conception du métier d’historien. Je veux briser un tabou en inscrivant dans l’histoire d’un pays, celle des minorités et notament celle des juifs de Tunisie. La Tunisie a vu défiler sur son sol des Berbères, des Phéniciens, des Arabes, des Juifs, des Andalous, des Maltais, des Siciliens, des Français. La Tunisie est un creuset de rencontres entre l’Orient et l’0ccident. C’est un travail de recherche rigoureux qui a mis une lumière culturelle sociale et économique qui a contribué au fil des siècles, à façonner l’identité tunisienne. Et je mets en valeur la présence juive en Tunisie ».
Une attitude confirmée par Lucette Valensi qui préface ce livre:
« Habib Kazdaghli brise un tabou en inscrivant dans l’histoire nationale celle des minoritaires, notamment les juifs de Tunisie. Habib Kazdaghli n’a pas manqué de se heurter à de solides oppositions de la part des tenants du nationnalisme arabe ou de l’islam politique, qui l’accusent de collusion avec le sionisme. Et l’hostilité à son égard ne s’en tient pas seulement aux mots et à la controverse académique, elle se manifeste aussi physiquement. Habib Kazdaghli a été attaqué dans son propre bureau de doyen tout comme lors des manifestations publiques récentes, au point de devoir disposer, durant plus d’une décennie, d’une protection rapprochée ».
Bref , Habib Kazdaghli est un chercheur qui prend des risques et l’assume, un chercheur engagé qui, en toutes circonstances, demeure serein et souriant.
© Alain Chouffan
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