Richard Prasquier. L’admirable Boualem Sansal, aujourd’hui otage d’une Algérie aujourd’hui mise en coupe réglée

 Boualem Sansal a été arrêté  le 16 novembre par la police algérienne, il est détenu pour atteinte à la sûreté de l’Etat, une incrimination particulièrement grave et je veux exprimer mon admiration pour cet homme qui a fait de la liberté d’expression et de critique sa boussole de vie.

En Algérie,  la crise que vit la France démocratique d’aujourd’hui est inenvisageable. C’est un pays où l’armée a le pouvoir, dont elle délègue l’apparence à un Président, Abdelmadjid Tebboune, élu il y a deux mois soi-disant par 95% des votants, un chiffre qu’il a lui-même demandé qu’on le diminue pour le rendre plus présentable à l’international. La commission de contrôle a obligeamment baissé à 85% et ce pourcentage fabriqué ne tient  de toute façon pas compte de l’abstention massive, comme en Kabylie. 

Cet Etat qui risque de ressembler à celui de Orwell , Sansal en a décrit une dystopie terrible en 2018 dans son livre, « 2084 ou la fin du monde ». Il fait face avec la seule arme dont il dispose, sa plume.

Comme Soljenitsyne avant lui, il a fait des études scientifiques. Chacun d’eux a puisé dans ses expériences personnelles  et a commencé à écrire tard, à plus de 40 ans pour le Russe, qui avait passé huit ans au goulag, à près de 50 pour Sansal qui  comme haut fonctionnaire au Ministère de l’Industrie a pu approcher quelques uns des secrets de la décennie noire de lutte contre l’islamisme, une période dont il est aujourd’hui encore interdit de débattre, ce qui a valu à Kamel Daoud le déchainement de la presse algérienne après son Prix Goncourt. 

Inutile de dire que Boualem Sansal, après « Le Serment des Barbares », son premier roman, en 1999, qui mettait le doigt sur les non-dits tragiques de  la période, a quitté son poste et est devenu écrivain à temps plein.

En 2012, son livre, « Rue Darwin », avait reçu le « Prix du Roman arabe ». Les ambassadeurs des pays arabes avaient réclamé son annulation. Le jury a maintenu son choix et Gallimard a organisé une cérémonie. C’est alors que j’ai fait sa connaissance. Sansal m’a invité en tant que Président du CRIF, probablement parce que, après les assassinats de Toulouse, il voulait montrer qu’il y avait une autre Algérie que celle d’où était originaire le meurtrier. Je lui ai demandé s’il ne craignait pas qu’on le considère comme un suppôt du CRIF, il m’a répondu qu’il n’en avait cure, bien au contraire. J’ai été impressionné.

Le héros de la Rue Darwin, revenu de loin dans son Algérie natale à laquelle le rattache le souvenir ambivalent d’une mère adoptive mystérieuse, proche et lointaine à la fois, donne peut-être la clef de l’acharnement de Boualem Sansal  à rester dans son pays, et à y témoigner malgré les menaces.

L’accusation de sionisme, une accusation qui vaut anathème, est continuellement lancée contre Boualem Sansal en Algérie. « Marionnette du CRIF », ou « du CRIF et de la LICRA », en sont deux variantes classiques.

Rappelons qu’il y avait en Algérie des Juifs longtemps avant qu’il n’y eût des Arabes sur les terres que ce pays revendique aujourd’hui pour la Palestine. Il n’y en a plus aucun et l’Algérie, prompte à réclamer des Français une repentance sans circonstances atténuantes, n’a aucun état d’âme sur la disparition des Juifs de son territoire. 

Dans certains sites soutenus par le régime, comme « Algérie patriotique », l’Algérie est présentée comme La Mecque de l’anticolonialisme, un phare pour le  monde et la cible d’une nouvelle guerre menée par le lâche et génocidaire ennemi sioniste.

Cette rhétorique guerrière est commune aux hiérarques militaires et aux dignitaires religieux qui, malgré les terribles conflits du passé, se partagent le pouvoir et la rente pétrolière.

Afficher sa sympathie pour Israël  nécessite dans ces conditions un courage exceptionnel.

Dans le livre, « Le village de l’Allemand », un officier SS est devenu héros de la lutte anti-coloniale. Si en 2008, cette comparaison paraissait saugrenue à certains, on  comprend mieux aujourd’hui en Occident, et notamment depuis le 7 octobre, pourquoi  Boualem Sansal établissait un lien entre la barbarie nazie et l’islamisme radical. 

Il fallait évidemment délégitimer cette réflexion en la déclarant sioniste…

Il y a donc 25 ans que Boualem Sansal critique le régime algérien. Que s’est-il passé pour qu’il soit arrêté le mois dernier?

 Boualem Sansal avait déclaré récemment dans le media « Frontières » que  l’Algérie n’avait pas été un véritable Etat et que ses confins occidentaux d’aujourd’hui avaient été des terres marocaines. D’où l’accusation de collusion avec l’ennemi, en l’occurence le Maroc, ou plutôt la coalition néo-coloniale anti-algérienne dont le roi du Maroc est un serviteur et dont la France est un agent. 

La presse se déchaine contre la France et son Président, d’autant plus attaqué qu’il a multiplié les mots et les gestes pour caliner l’Algérie, dernièrement un épisode particulièrement maladroit du « en même temps », où venant  d’affirmer son soutien aux revendications marocaines sur le Sahara occidental, Emmanuel Macron reconnait que le dirigeant historique du FLN Larbi M’Hidi  avait  été pendu en 1967 par les Français et qu’il ne s’était pas suicidé, comme il était prétendu. « Entourloupette, coup de com, un crime sur un million », ont été parmi les réactions des Algériens qui apprendront trois jours plus tard que le Goncourt revient à Kamel Daoud pour un livre sur la guerre civile algérienne, sujet tabou entre tous…

Il était dès lors tentant en arrêtant Boualem Sansal, devenu récemment citoyen français, de narguer notre pays dont la diplomatie peine à établir un rapport de force avec l’Algérie aussi bien du fait du passé que de la crainte que le régime ne mobilise les  Français musulmans d’origine algérienne et que les Russes ne s’y installent. Tebboune n’a-t-il pas déclaré récemment que Poutine est un « bienfaiteur de l’humanité? »

Nul ne sera par ailleurs étonné du silence de LFI, dont la  mythologie mélenchonienne est celle-là-même que proclament les dirigeants algériens qui depuis des décennies ont mis leur pays en coupe réglée et dont l’admirable Boualem Sansal est aujourd’hui l’otage.

© Richard Prasquier

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