La France diplomatique qui ne l’est plus tout à fait a successivement dû abandonner ses bases militaires au Burkina Faso, au Mali, au Niger et maintenant au Tchad, à suivre au Sénégal. C’est la vraie fin annoncée de la France-Afrique.
État des lieux
Il en va de la diplomatie comme de l’industrie ou de l’agriculture ou de la construction de tours de 30 étages. On ne peut pas indéfiniment et impunément appliquer les mêmes recettes, le même logiciel. Le monde change, mais certains n’ont pas voulu ou n’ont pas su s’en rendre compte.
La France, qui était chez elle en Afrique de l’Ouest depuis des décennies, subit une cruelle désillusion. Ces pays, dont la seule langue commune est le Français, mais dont la population est le plus souvent majoritairement musulmane, ont décidé que Paris n’est plus leur grand ami, leur protecteur, leur parrain, leur mentor. Le dernier affront est de taille. La France s’était rendue au Tchad pour l’intronisation du fils d’Idriss Deby qui, à la faveur d’un coup de force peu démocratique, a succédé à son père décédé, alors qu’elle s’était abstenue lors du coup d’état au Mali. Le Tchad a demandé à la France le départ de ses troupes. On apprend que le Sénégal a également décidé de se passer de la présence de troupes françaises.
Ces pays mettent en avant leur volonté d’exercer une pleine souveraineté. Sans doute ont-ils souvent entendu cette même revendication de la France au sein de l’Union Européenne et celle de l’UE dans le concert international. Quand un pays a plus de trois mille milliards d’euros de dette, quelle est sa souveraineté ?
A force d’être arcboutés sur des certitudes et l’idée qu’on est indéboulonnable, on vient de s’apercevoir, mais beaucoup trop tard, que d’autres pays prennent notre place. La Chine, la Russie, la Turquie, portés par une vague anti occidentale et anti néo coloniale.
Le passé
L’Onu, l’Union Européenne, étaient présents dans les pays sahéliens avec comme objectifs la lutte contre le djihadisme et l’aide aux populations. Malgré quelques succès, force est de constater que les résultats ont été très limités. Les opérations Serval et Barkane n’ont pas permis l’éradication des djihadistes. La Minusma sous l’égide de l’Onu n’a pas eu plus de succès.
La concurrence larvée entre les différents pays occidentaux, l’’Union Européenne, la France, l’Allemagne, les États-Unis, rivalisant sous couvert de coopération avec les autorités, n’a fait que développer au sein des populations et des autorités un ressentiment et le rejet contre les anciennes puissances coloniales. Au Niger, on a pu observer ces rivalités lorsque la France intervenait par son ambassade, pendant que l’ambassadeur de l’Union Européenne décidait de distribuer directement l’aide européenne aux sinistrés des inondations sans passer par les autorités. Exit les Américains qui disposaient d’une importante base dans le Nord du pays ( Gao) laquelle effectuait des missions d’observations et d’autres de façon autonome. L’Allemagne, de son côté, a pensé pouvoir prendre la place de la France, en développant le concept de « collaboration directe avec la société civiles ». Mal lui en a pris : exit Berlin. La confusion de ces interventions a été ressentie comme une attitude autoritaire à caractère néo coloniale.
Il n’en reste pas moins qu’il est totalement surréaliste et stérile que chacun des 27 pays de l’Union Européenne dispose d’un ambassadeur dans ces pays et veuille y jouer sa partition et tenir un rôle éminent comme au bon vieux temps des colonies. Ce ne pouvait qu’amplifier le sentiment anti européen. Au Niger, le gouvernement a exigé le rappel de l’ambassadeur de l’UE.
Un exemple qui fera date, qu’on ne cite pas volontiers : Au Mali, le Français était langue officielle. Par décret il ne l’est plus, rétrogradé au rang de « langue de travail » . C’est aussi un revers pour la francophonie, qui risque d’être suivi par les autres pays et les alliés du Mali.
L’actualité
Très récemment, l’armée malienne, avec le soutien de milices russes, a pris le contrôle de villages dans la région de Kidal (dejà reprise en 2023 avec l’aide de mercenaires) proche de la frontière avec l’Algérie. Les mêmes semblent en revanche avoir essuyé un sérieux revers face aux milices touarègues. Les experts pensent qu’une forme de coopération existe désormais entre le groupe touareg du CSP-DPA (cadre permanent de défense du peuple de l’Azawad) et certains groupes djihadistes du GSIM (Groupe de soutien à l’Islam et aux Musulmans) qui coopèrent avec al Qaeda. Certains experts spéculent sur un supposé soutien d’origine européenne fourni aux Touarègues.
Les trois pays du Sahel, Burkina Faso, Mali, Niger ont formé l’Alliance de États du Sahel (AES) qu’ils consolident pour faire face aux sanctions mises en œuvre directement par la France et en collaboration avec la CEDEAO (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest) pendant qu’Ils bénéficient du soutien militaire de la Russie. La Turquie est déjà présente depuis quelques années. Elle devient un fournisseur actif d’armes ; notamment des drones Bayraktar TB2 très populaires, qu’Ankara utilise et fournit à plusieurs pays en guerre.
Ce qui suit, sous toutes réserves : Le GUR, service de renseignements ukrainiens, a déclaré avoir participé à l’attaque touarègue contre des cibles maliennes et russes. Il s’agirait entre autres de la fourniture de renseignements et de l’intervention de forces spéciales stationnées au Soudan.
Au Mali on estime que la guerre contre les djihadistes a déjà causé plus de 6.000 victimes cette année. Pour mémoire, la junte a réussi à reprendre le contrôle de la ville de Kidal au nord alors qu’elle était sous contrôle des touarègues depuis 2012 ( avec l’approbation tacite des états européens). La très grande majorité des Maliens soutient les décisions de son gouvernement.
Au Niger, le gouvernement veut obtenir un meilleur contrôle sur les gisements d’uranium d’Arlit. Il s’applique actuellement à obtenir l’annulation des droits de la société française ORANO. Elle fournissait 20% des besoins français et 25% de ceux de l’Europe jusqu’à la suspension actuelle de l’exploitation. La China national nuclear Corporation cherche à conclure son projet d’extraction d’uranium, pendant que la Turquie négocie sur un projet nucléaire.
A partir de ces derniers évènements, d’autres nuages s’accumulent dans le ciel africain. On observe que dans les autres pays de l’ancienne Afrique d’obédience française, les mêmes velléités se font jour. Les mêmes causes produisant les mêmes effets. Le Togo et le Bénin semblent sur cette ligne si on en juge par la forte participation de diverses organisations syndicales et associations à une conférence qui s’est tenue au Niger. Le slogan commun aux trois pays de l’AES : « Nous ne voulons plus recevoir d’ordres de personne, nous déciderons pour et par nous-mêmes » fait tache d’huile.
Et demain
Avec le conflit Russo-Ukrainien et ce qui se passe au Moyen Orient, les pays de l’UE ont déjà fort à faire. L’incertitude devant laquelle l’élection de D. Trump place les Européens nous met face à notre destin. On semble surpris d’apprendre l’arrivée de militaires nord-coréens en Russie, mais on n’a jamais semblé l’être de de la présence de troupes occidentales, européennes et autres sur le continent africain depuis des décennies. Cherchez l’erreur.
L’absence de consensus en politique étrangère de l’Union Européenne a pour conséquence de la mettre hors-jeu au Moyen Orient et le fait que la France prêtera son concours à la mise en œuvre du cessez-le-feu au Liban n’y changera rien.
Le conflit en Syrie reprend de plus belle. Il aura déjà fait plus de six cent mille victimes, sans que la CPI lève le petit doigt ou ouvre une enquête. A quand les mandats d’arrêt contre les auteurs des massacres ? La Turquie cherche à étendre son empire et à éliminer le peuple Kurde persécuté par ailleurs, sans que les grandes puissances ou les médias bienveillants s’y intéressent. On ne peut en permanent s’ériger en donneur de leçons et parangon de vertu, pour ensuite vouloir être partie prenante dans des négociations qui demandent autre chose que des déclarations et des coups de menton. Quand le vocabulaire du langage autrefois diplomatique s’enrichit de formules telles que « notre préoccupation », « nous condamnons », « inacceptable », « « insupportable », « génocidaire », « barbare », nous avons du souci à nous faire.
La diplomatie n’est décidément plus ce qu’elle était. Ainsi va le monde.
© Francis Moritz
Francis Moritz a longtemps écrit sous le pseudonyme « Bazak », en raison d’activités qui nécessitaient une grande discrétion. Ancien cadre supérieur et directeur de sociétés au sein de grands groupes français et étrangers, Francis Moritz a eu plusieurs vies professionnelles depuis l’âge de 17 ans, qui l’ont amené à parcourir et connaître en profondeur de nombreux pays, avec à la clef la pratique de plusieurs langues, au contact des populations d’Europe de l’Est, d’Allemagne, d’Italie, d’Afrique et d’Asie. Il en a tiré des enseignements précieux qui lui donnent une certaine légitimité et une connaissance politique fine. Fils d’immigrés juifs, il a su très tôt le sens à donner aux expressions exil, adaptation et intégration. © Temps & Contretemps
la france a été désavouée dans ces pays
et bientôt ce sera le sénégal
avant la côte d ivoire !!
tout cela au profit de la chine et de la russie
triste temps