Lorsque les forces palestiniennes ont quitté Beyrouth en 1982, chassées par les Israéliens, elles ont arboré des signes de victoire sur les camions qui les transportaient vers le port. Cela a conduit plus tard le responsable de l’Organisation de libération de la Palestine, Issam Sartawi, à faire remarquer qu’avec d’autres victoires comme celle du Liban, l’OLP se retrouverait bientôt dans les îles Fidji.
Ce souvenir revient à l’esprit en examinant la une du quotidien pro-Hezbollah al-Akhbar le jour de l’entrée en vigueur du cessez-le-feu au Liban. Le journal titrait : « Inébranlable, victorieux ». Même en supposant que l’on adhère sans réfléchir à la vision du monde du Hezbollah, croire que la guerre de treize mois menée par le parti contre Israël constitue de quelque manière que ce soit une victoire est tellement délirant que cela doit en fait rassurer les ennemis du parti. Seul un parti profondément inquiet de la réaction intérieure potentielle contre le conflit insensé qu’il a provoqué serait capable de faire passer un cataclysme historique pour un succès.
Avec l’entrée en vigueur du cessez-le-feu au Liban, nombreux sont ceux qui se sont arrêtés pour en examiner les faiblesses potentielles : certes, les champs de mines sont nombreux, mais il y a aussi une réalité que l’on ne peut ignorer. Les conditions de l’accord de cessez-le-feu ont effectivement établi ce qui n’était pas loin d’une capitulation pour le Hezbollah, mais le parti et l’Iran l’ont accepté, montrant plus ou moins qu’ils étaient prêts à vivre avec ses implications.
Le principal sujet de discorde était la demande d’Israël d’être autorisé à intervenir militairement à l’intérieur du Liban si le Hezbollah violait l’accord de cessez-le-feu. Les Libanais ont été pris au dépourvu par une lettre parallèle américano-israélienne qui accordait à Israël la liberté de s’engager dans une telle action militaire, quelle que soit la préférence du Liban, du Hezbollah ou de l’Iran. En effet, lorsque les Français auraient recommandé aux Libanais de rejeter cette atteinte éhontée à leur souveraineté, le secrétaire d’État américain Tony Blinken a expliqué au président français Emmanuel Macron que cette position mettait en péril l’accord de cessez-le-feu.
Pourquoi accepter un accord défavorable ?
La personne qui a compris ce qui se passait était le président du Parlement libanais, Nabih Berry. On peut dire beaucoup de choses sur M.Berry, mais pas que c’est un imbécile. Le président a dû rapidement comprendre que la destruction systématique de la communauté chiite constituait une menace pour sa propre survie politique. C’est pourquoi, début octobre, il a pris des risques, avec le Premier ministre sortant Nagib Mikati et le chef druze Walid Joumblatt, pour soutenir un accord de cessez-le-feu et s’engager à « mettre en œuvre la résolution 1701 du Conseil de sécurité et à déployer l’armée au sud du fleuve Litani ». Cette décision a valu à M. Berry une visite désapprobatrice du ministre iranien des affaires étrangères, Abbas Araghchi qui aurait été mécontent de l’acceptation par le président de la Chambre de la résolution 1701. Ce qui amena Walid Joumblatt à déclarer quelques jours plus tard : « Un certain visiteur au Liban veut nous donner des leçons de résistance. C’est nous qui pouvons lui donner ces leçons, et non l’inverse. Nous avons une riche histoire dans ce domaine ».
Cela montre que, dès le départ, Nabih Berry a cherché à conclure un accord avec l’envoyé américain Amos Hochstein, quel qu’en soit le prix. Lorsqu’il a vu que les Américains et les Israéliens avaient conclu leur accord parallèle, il a ajouté une formulation à l’accord de cessez-le-feu qui acceptait essentiellement ce que cet accord parallèle cherchait à imposer. M. Berry a suggéré que le plan de cessez-le-feu accorde aux deux parties le droit à l’autodéfense, ce qui correspond à la façon dont les Israéliens considèrent leur liberté d’action au Liban. Qu’en ont retiré les Libanais ? Premièrement, ils ont sauvé la face, permettant au chef d’Amal de relativiser les accusations selon lesquelles la proposition de cessez-le-feu portait atteinte à la souveraineté libanaise. Deuxièmement, le Hezbollah a en quelque sorte gagné un droit de réponse potentiel aux actions israéliennes, également sous la rubrique de l’autodéfense.
Ces détails mis à part, pourquoi le Hezbollah et l’Iran ont-ils accepté une proposition d’Amos Hochstein qui leur était défavorable ? Jusqu’à la veille du cessez-le-feu, le Hezbollah était confronté à une situation de plus en plus difficile, que le lancement de plus de 200 roquettes contre Israël le 24 novembre cherchait à dissimuler. Le parti était sur le point de perdre Khiam dans le secteur est de la zone frontalière, où les forces israéliennes auraient atteint le fleuve Litani, et il était confronté à une poussée israélienne à Bayada dans le secteur ouest, qui aurait pu ouvrir la route de Tyr. Bien que le Hezbollah résiste, il ne semble pas y avoir d’opposition coordonnée de sa part, de sorte que ce n’était qu’une question de temps avant que les Israéliens n’encerclent ses combattants au sud du Litani. Pendant ce temps, ailleurs dans le pays, la société chiite a été profondément bouleversée par les bombardements israéliens sur les grandes villes et les centres de population.
L’avenir comporte de nombreuses incertitudes. Le Hezbollah refusera probablement de désarmer et rien n’indique que l’Iran le forcera à le faire. Même le discours prononcé la semaine dernière par le nouveau chef du parti, Naïm Kassem, selon lequel le Hezbollah se placerait « sous le toit de l’accord de Taëf », ne promettait rien de précis. Le parti ne peut pas faire grand-chose contre Israël dans un avenir prévisible, du moins rien qui ne conduirait à des représailles israéliennes massives, mais ce n’est de toute façon pas là que ses efforts se concentreront dans les années à venir. Sa priorité sera de faire revivre sa communauté, de reconstruire les zones chiites décimées et de trouver une relation acceptable avec l’État libanais et les autres communautés religieuses, tout en préservant autant que possible son pouvoir.
Société libanaise moins docile
Plus important encore, le Hezbollah est aujourd’hui confronté à une société libanaise beaucoup moins disposée à accepter son hégémonie qu’auparavant. Les relations entre les autres communautés et le parti se sont détériorées au cours des cinq dernières années, de sorte que cette lutte interne pourrait conduire à une nouvelle impasse et à de nouvelles tensions, ou à une sorte de dialogue avec le parti sur tous les sujets, de la remise des armes à l’obtention d’une plus grande part du pouvoir politique au sein de l’État. Mais il semble que nous ayons atteint les limites de la formulation que le Hezbollah a imposée aux gouvernements successifs, à savoir le triptyque armée, peuple et résistance. Désormais, de nombreux représentants politiques non chiites refuseront d’inclure la résistance dans cette équation.
Les efforts du Hezbollah pour faire passer sa dernière calamité communautaire pour une victoire sont un signe des choses à venir. Le parti ne renoncera à rien s’il le peut, mais cela implique d’ignorer le contexte dans lequel il se trouve. On peut s’attendre à ce que l’armée libanaise exécute son mandat de manière extensive, maintenant qu’elle bénéficie d’une couverture populaire et politique. Si le Hezbollah tente de revenir à la situation qui prévalait avant octobre 2023, il devra entrer en confrontation avec l’État libanais, l’armée et la plupart des partis politiques du pays, ce qui l’isolera encore davantage. Avec Israël à l’horizon, prêt à intervenir militairement contre tout effort du Hezbollah pour restituer ses armes lourdes au sud, le parti pro-iranien pourrait bien se retrouver à nouveau pris dans une nouvelle guerre dans laquelle il serait seul contre tous. C’est peut-être l’étoffe des récits héroïques, mais c’est aussi une voie vers la débilitation communautaire.
La question-clé est de savoir ce que l’Iran décidera. Si une interprétation suggère que Téhéran cherchera à rétablir le Hezbollah dans son statut antérieur, la question la plus réelle est de savoir à quoi cela servirait. La stratégie dite de « l’unité des fronts » a conduit à une débâcle monumentale dans laquelle Téhéran a vu la neutralisation de ses deux alliés les plus puissants dans la lutte contre Israël, probablement pour des décennies. Tout réinvestissement dans le Hezbollah nécessiterait d’abord de reconstruire et de restaurer ce que la communauté chiite a perdu, ce qui pourrait coûter des milliards de dollars dont l’économie iranienne en difficulté ne peut se passer, surtout si l’administration Trump impose de nouvelles sanctions.
En d’autres termes, Téhéran devrait dépenser et sacrifier beaucoup pour relancer une stratégie qui a échoué. Cette situation survient à un moment où la structure dirigeante iranienne prépare une transition loin de l’ayatollah Ali Khamenei vieillissant, ce qui suscitera des attentes plus élevées en Iran, et pourrait donc se traduire par une instabilité si son successeur promet plus de la même chose. Confrontés à des choix concernant le Hezbollah qui pourraient provoquer un mécontentement intérieur et mettre en péril cette transition, et donc la survie du régime, il n’est pas du tout évident que les dirigeants iraniens seront en mesure de ressusciter ce qu’ils avaient au Liban.
Les cris de victoire que nous entendons de la part de certains Libanais sont pitoyables. En fin de compte, le Liban est et restera hélas une nation de pions, de jetons, dans un jeu de pouvoir régional et international plus large. Aujourd’hui, de nombreux habitants du sud du pays, de la Békaa et de la banlieue sud de Beyrouth ont tout perdu, mais dans quel but ? Pour être des sacs de sable iraniens contre Israël afin que l’Iran lui-même soit protégé ? Pour que les Américains et les Israéliens s’arrangent à leurs dépens ? Où peut-on y voir une quelconque victoire ?
Cet article est disponible en anglais sur « Diwan », le blog du Malcolm H. Kerr Carnegie MEC.
© Michael Young
Michael Young est Rédacteur en chef de Diwan. Dernier ouvrage : « The Ghosts of Martyrs Square: an Eyewitness Account of Lebanon’s Life Struggle », chez Simon & Schuster. 2010. Non traduit.
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