« Quand elle lance un mandat d’arrêt contre Netanyahou, la Cour pénale internationale outrepasse ses prérogatives ». Par Noëlle Lenoir

« En autorisant son procureur Karim Khan à lancer un mandat d’arrêt pour crimes de guerre et contre l’humanité, contre Benyamin Netanyahou et en même temps contre l’un des terroristes du Hamas, la chambre préliminaire de la Cour cautionne indirectement les tyrans les plus barbares »

Piroschka Van De Wouw / REUTERS

TRIBUNE – Le 21 novembre, la Cour pénale internationale a émis un mandat d’arrêt contre Benyamin Netanyahou pour crime de guerre et contre l’humanité. Une décision qui se fonde sur une interprétation dévoyée de sa sphère de compétence, analyse l’avocate Noëlle Lenoir.

Souvent décriée pour son inefficacité, sa politisation et ses coûts particulièrement élevés de fonctionnement, la CPI vient de franchir un point de non-retour. En autorisant le 21 novembre 2024 Karim Khan, son procureur, à lancer un mandat d’arrêt pour crimes de guerre et contre l’humanité, dans le cadre de la guerre israélo-arabe à Gaza, contre Benyamin Netanyahou, le premier ministre d’Israël et Yoav Gallant, son ancien ministre dela Défense et en même temps contre l’un des terroristes les plus sanguinaires du Hamas – du reste probablement mort – Mohammed Deïf, la chambre préliminaire de la Cour, loin de faire progresser la lutte contre l’impunité, cautionne indirectement les tyrans les plus barbares en fragilisant les démocraties. L’institution qui doit tout aux démocraties, dont la France en particulier, mord ainsi la main de ceux qui l’ont tenue sur les fonts baptismaux.

L’avenir de la Cour, entrée en fonction en 2002 en application d’un traité dit Statut de Rome, est d’autant plus en jeu que sa décision comporte d’importantes failles juridiques. La première faille  réside  dans  une  application  cette  fois-ci  encore  dévoyée  du  principe  de « complémentarité » dont le respect a pourtant été la condition sine qua non de l’adhésion des 124 États contractants au Statut de Rome (n’incluant ni les États-Unis, ni la Russie, ni la Chine, ni les pays arabes, ni Israël). Ce principe est énoncé à l’article 17.1 a) du Statut qui prévoit que lorsque « l’affaire fait l’objet d’une enquête ou de poursuites de la part d’un État ayant compétence en l’espèce, à moins que cet État n’ait pas la volonté ou soit dans l’incapacité de mener véritablement à bien l’enquête ou les poursuites ».

Ceci veut dire que les États ont la primauté sur la Cour à qui il appartient de prouver que l’État dont relèvent les dirigeants incriminés refuse de mener une enquête par « mauvaise volonté » ou n’a pas la capacité de le faire en raison des défaillances de son système judiciaire. Chacun le reconnaîtra : remettre à des juges de toutes nationalités, aux conditions de nomination opaques, le sort de ses dirigeants en les privant de la protection séculaire de l’immunité d’État qui fait normalement obstacle aux poursuites pénales, n’est pas une mince affaire ! C’est pourquoi, les États dits parties au Statut de Rome ont exigé d’avoir la primauté pour juger leurs dirigeants ou militaires pour leurs agissements dans des conflits armés internationaux ou non internationaux. Le principe de complémentarité fait nettement la différence avec les tribunaux internationaux pour l’ex-Yougoslavie et le Rwanda dont les statuts leur donnent primauté sur les juridictions nationales.

En l’espèce, il y avait en Israël des enquêtes judiciaires diligentées contre des soldats pour des opérations semblant contrevenir au droit international. Il y avait donc bien enquête « sur l’affaire », c’est-à-dire le respect du droit international en temps de guerre. Mais surtout, les juges de la CPI savaient très bien que la justice en Israël est totalement indépendante et que les juges ont même, comme dans d’autres pays démocratiques, une particulière appétence pour mettre en cause des responsables politiques. Ils savaient très bien que le 14 novembre, dix jours avant leur décision, le tribunal de Jérusalem a rejeté la demande de Benyamin Netanyahou de reporter après le 2 décembre la date de sa déposition dans le procès que certains lui font en l’accusant de corruption, fraude et abus de confiance. De quelle autre preuve avaient-ils besoin pour attester de la bonne volonté du système judiciaire israélien pour poursuivre des dirigeants si cela était justifié ?

Espérons que la CPI ne pousse pas le grotesque jusqu’à avoir imaginé que des juges dans une démocratie poursuivent leurs dirigeants en pleine guerre défensive menée en l’occurrence pour lutter pour la survie du pays ; alors que jamais dans l’histoire, des soldats ne se sont ainsi quotidiennement exposés pour acheminer dans des centaines de camions une aide humanitaire sur des terrains d’opération. Mais la Cour s’est arrogé un pouvoir entièrement discrétionnaire d’interprétation du principe de complémentarité. Son interprétation est si abusivement restrictive que, comme notamment jugé concernant la République démocratique du Congo, l’incarcération par un État de chefs de guerre pour crimes contre l’humanité dans la même « affaire » ne prive pas la Cour de sa compétence si les crimes ayant justifié cette incarcération ne sont pas exactement les mêmes que ceux dont la Cour recherche la preuve !

Pire encore, le principe de complémentarité a été maintes fois détourné à des fins politiques. Le cas le plus illustratif est celui des poursuites contre Laurent Gbagbo à la suite des violences post-électorales de novembre 2010 opposant le président sortant à son adversaire élu Alassane Ouattara. La procureure de la CPI de l’époque, Fatou Bensouda, avait demandé l’ouverture d’une enquête, mais comme la Côte d’Ivoire n’était alors pas partie au Statut de Rome, le président Alassane Ouattara s’est empressé de déposer une déclaration pour reconnaître la compétence de la Cour. Pour que celle-ci accepte de mettre en accusation son opposant, il arguait que les juges ivoiriens se montreraient incapables de juger Laurent Gbagbo. On connaît la suite : après avoir été remis par la Côte d’Ivoire à la CPI et incarcéré à La Haye, Gbagbo fut acquitté en 2019 ; les preuves présentées par la procureure étant jugées « exceptionnellement faibles ».

Ici, s’agissant d’un État démocratique face à une organisation terroriste, il n’était pas difficile à la Cour de revenir à une acception conforme à l’intention des parties du principe cardinal de complémentarité, à savoir que la CPI n’a pas vocation à remplacer les systèmes judiciaires nationaux, lorsque les juges sont indépendants et capables de juger s’il le faut au plus haut niveau de l’État. Une autre interprétation aurait conduit le Conseil constitutionnel dans sa décision du 22 janvier 1999 à juger en totalité inconstitutionnel le Statut de Rome, car l’atteinte aux « conditions essentielles de la souveraineté » de la France aurait été irrémédiable. La deuxième importante faille est également révélatrice d’une compétence usurpée de la Cour. Cette compétence résulte d’un tour de passe-passe initié voici exactement dix ans. On ne nous dira donc pas que les soi-disant crimes commis par les dirigeants israéliens ont quoi que ce soit à voir avec la guerre en cours à Gaza. Le coup était préparé à l’avance.

En effet, la Palestine ayant déposé le 1er janvier 2015 une déclaration pour accepter la compétence de la Cour, celle-ci y a répondu positivement en 24 heures, élevant donc la Palestine au rang d’État contractant pourtant non reconnu par l’ONU. La suite est logique : lancement d’une enquête en 2021 « sur les crimes de guerre et contre l’humanité commis par Israël dans les territoires palestiniens » par Fatou Bensouda (qui s’est d’ailleurs aussitôt prétendue menacée par Israël…), puis relais pris par son successeur, tandis qu’en 2023, un mois après le pogrom du 7 octobre, l’Afrique du Sud, le Bangladesh, la Bolivie, les Comores et Djibouti adressaient au procureur Khan une nouvelle demande de renvoi de la situation dans « l’État de Palestine », suivis par le Chili et le Mexique en janvier 2024. La décision de la Chambre préliminaire du 21 novembre appelant les 124 États parties à la CPI à arrêter et à lui remettre les deux dirigeants israéliens pour qu’ils soient jugés à La Haye n’est que le point d’orgue de ce fameux tour de passe-passe.

Quant aux preuves d’une prétendue intention de provoquer la famine à Gaza à la base de ce mandat d’arrêt, alors que des centaines de camions remplis de vivres ont passé la frontière aux risques et périls des jeunes soldats israéliens, dont certains à peine majeurs ont payé de leur vie en tentant d’empêcher les pillages perpétrés par le Hamas, je ne doute pas qu’elles sont aussi « exceptionnellement faibles » que celles ayant jeté Gbagbo dans un cachot. La composition du « groupe d’experts », comportant Amal Clooney et le juge Theodor Meron, ayant produit un rapport sur lequel s’est appuyé le procureur Khan pour lancer ses accusations, est en effet édifiante !

Le résultat de la décision du 21 novembre 2024 de la Chambre préliminaire ne sera pas celui attendu par les soutiens d’un cessez-le-feu immédiat sans conditions à Gaza et du boycott d’Israël par les États parties au Statut de Rome. D’abord, les Européens, face à une décision qui augure de mises en accusation de leurs dirigeants (spécialement enFrance dont l’armée intervient sur des théâtres d’opérations extérieures) commencent à se diviser. Dès le 22 novembre, le Chancelier allemand a réitéré son fort soutien à Israël, la Hongrie a officiellement invité son homologue israélien et l’Autriche n’a pas mâché ses mots contre la Cour.

En outre, dès l’entrée en fonction du président américain élu, des décisions seront prises qui n’amélioreront pas le positionnement international de la Cour. Enfin et surtout, Antonio Guterres, secrétaire général de l’ONU, a donné le la. Le 27 octobre 2024, il s’est rendu à Kazan en Russie pour faire ses génuflexions à Vladimir Poutine contre lequel un mandat d’arrêt a été lancé par la CPI pour crimes de guerre à raison des déportations d’enfants ukrainiens. Il ne lui a pas demandé de se rendre à la CPI ; il l’a gentiment exhorté à conclure une « paix juste ». S’il avait voulu contribuer à la décrédibilisation de la CPI, il n’aurait pas mieux fait !

© Noëlle Lenoir

Noëlle Lenoir est avocate, membre honoraire du Conseil constitutionnel et ancienne ministre.

https://www.lefigaro.fr/vox/monde/quand-elle-

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1 Comment

  1. Dernière minute:
    La CPI étudie la possibilité de condamner la France pour crime contres l' »Humanité », après l’aveu de son Président qui a reconnu que la France a commis des crimes contre l’humanite en Algérie.
    A suivre ……

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