« Les non-dits d’un conflit. Le Proche-Orient après le 7 octobre »: Daniel Sibony répond à Sarah Cattan

Les non-dits d’un conflit. Le Proche-Orient après le 7 octobre. Daniel Sibony, vous avez écrit que le 7 octobre ne vous avait pas surpris, car la guerre pour effacer les juifs qui ne se soumettaient pas était programmée dans le Coran. Ne vous êtes-vous pas demandé, en commençant cet ouvrage, en quoi il allait se distinguer de l’abondante littérature à ce sujet ? Expliquer que la cause palestinienne, perçue dans le monde et surtout chez les Occidentaux comme un combat de libération,  est en réalité un djihad, était-il votre but premier ?

  • En partie ; l’idée que ce qu’on perçoit ici comme une guerre de Libération nationale voire anticoloniale est en fait, sur le terrain, un pur Djihad, cette idée, je l’avais déjà évoquée dans mon livre Le grand malentendu, écrit en 2015 pendant la guerre de Gaza et pendant que j’étais à Tel Aviv à regarder les rockets finir en fumée dans le ciel. J’ai écrit celui-ci, Les non-dits,  pour mettre les choses au clair, en exploitant ma connaissance des fondements, notamment textuels, dont je m’étonne qu’ils soient à ce point opérants, tout comme je m’émerveille de voir la pure nécessité des choses.

Comment nommez-vous le 7 octobre ? Accolez-vous à la tragédie le qualificatif de Pogrom ?

  • Pas du tout, c’est un Djihad, une guerre sainte prescrite par le Coran à ses fidèles les plus zélés. Mais je comprends que certains aient pu nommer cela un pogrom. Il ne faut pas s’agacer de l’imprécision ou de l’ignorance dont ça témoigne. Contrairement au pogrom, le Djihad entre dans un projet à très long terme.

Comment expliquez-vous que cela ait pu avoir lieu, que les     responsable Israéliens n’aient rien vu venir ?

  • Pour voir vraiment, il faut savoir, et l’establishment israélien, de droite ou de gauche, n’a rien voulu savoir de la nature islamique de ses adversaires, ni de leur rapport précis à leur religion, elle-même assez précise sur les juifs. Ce refus de savoir, dû en partie au narcissisme qui méprise l’autre, est aussi l’effet d’un désir de vivre naturel : on ne peut pas vivre sereinement en sachant que ceux d’en face ne rêvent que de vous tuer

Fort de votre connaissance personnelle du monde arabo-musulman et du Coran, vous vous faites pédagogue et partez du traumatisme du 7 octobre 2023 pour passer en revue les questions essentielles de la situation au Proche-Orient, n’occultant ni les discours de légitimité territoriale, ni l’accusation de colonialisme, replaçant minutieusement le conflit dans son contexte théologique et culturel. Expliquez-nous.

  • Permettez que je ne le fasse pas, car j’aimerais que les gens lisent le livre qui se prête mal au résumé. Plutôt que théologique, c’est un fait textuel : le Coran, tout comme la Bible, est un montage textuel, mais lui a besoin, pour maintenir sa consistance, de désigner comme ennemi absolu ceux chez qui il a pris sa substance ; c’est son exigence narcissique à lui. Et ce qui est impressionnant, c’est de voir comment la dynamique même de ce montage d’écritures aboutit à sacrifier les arabes de Palestine pour que puisse se mettre en acte cette vindicte antijuive essentielle au texte arabe. C’est vindicte n’est pas une croyance religieuse, c’est une nécessité du texte. Ne serait-ce que pour comprendre cela, et comment le sacrifice des palestiniens en résulte, il faut lire le livre. 

Lorsque vous dites que le conflit a une dimension ontologique, n’est-ce pas le psychanalyste qui prend le pas sur l’observateur ?

  • Pas besoin d’être analyste ou observateur pour comprendre qu’une vindicte qui veut éradiquer un peuple, qui veut donc le faire basculer de l’être vers le néant, est d’ordre ontologique ; c’est le sens de ce mot. Elle s’en prend à l’être des juifs,  et à leur rapport à l’être. 

Fin lecteur du Coran, vous répétez que le Coran a promis la Palestine  aux Juifs du fleuve à la mer, or de toutes parts on entend gronder l’injonction coranique d’éliminer le juif et la terre d’Israël. Daniel Sibony, s’agit-il donc d’un conflit prioritairement religieux, d’une question d’occupation illégitime, d’humiliations…

  • Le Coran rapporte que Dieu ou plutôt Allah a promis cette terre, aux « enfants d’Israël », de la mer jusqu’au-delà du fleuve (sic) ; il le rapporte comme un évènement parce qu’il raconte leur histoire. Mais dans le présent de son propos, il les dénonce, sauf s’ils se soumettent. C’est ce que j’appelais la haine ontologique. En outre, cette terre d’Israël, ayant été islamisée au VIIème siècle, et vu qu’une terre d’islam ne peut pas cesser de l’être, cela veut dire que depuis leur retour, les juifs ont « volé », non pas la terre des palestiniens, mais une terre islamique. Le djihad pour la reprendre est d’autant plus nécessaire ; ainsi le veut le principe même de la politique islamique ; le djihad est l’instrument privilégié de l’islam politique ; c’est lui qui a constitué l’empire arabo-musulman.

Dans Islam, phobie, culpabilité, acceptant que le Texte coranique est intouchable, vous vous demandez ce que l’on peut faire pour que les intégristes violents renoncent à passer à l’acte : un constat d’échec n’est-il pas acté aujourd’hui ?

  • Il faudrait que des masses islamiques les combattent ; on en est loin. Pourtant, j’ai vu un reportage ou une foule de civils à Gaza, surtout des femmes, criait « le Hamas nous a tués ». C’est une petite ouverture. Il faudrait que les palestiniens puissent « voir » qui les victimise. Mais dans ce livre que vous citez, ma question portait sur le pouvoir occidental, européen, français : que faire pour qu’il abandonne sa posture de culpabilité narcissique envers l’islam ?, posture que certains perçoivent comme suicidaire. Question difficile car la posture en question est perverse. Des profs essayent d’y réagir mais on en a tué deux, et cela, ajouté à quelques agressions par des élèves religieux, suffit à semer la peur dans le corps enseignant. Des gens croient que le meurtre de deux profs par le djihad, c’est ponctuel, mais pas du tout : les effets réels sont massifs.

Vous évoquiez dans un entretien donné à Mosaïque en août 2024 la haine coranique envers les Juifs et la souffrance des musulmans éclairés. De quels Musulmans parlez-vous ? Nous tendons l’oreille en vain et n’entendons qu’une poignée de voix…

  • Je parle d’une souffrance intérieure que je connais, qui ne peut pas s’exprimer à ciel ouvert et massivement ; elle serait aussitôt punie comme trahison. Mais je pense qu’une majorité de musulmans en France souhaite la défaite du Hamas ; son action le 7 Octobre leur fait honte, et le fait qu’Israël ait mauvaise presse ne leur rapporte strictement rien.

Vous évoquez dans votre livre trois obstacles à une quelconque souveraineté́ palestinienne sur une partie de ce territoire …

  • J’ai dit en effet, que ce qui plombe l’émergence d’une souveraineté palestinienne sur une partie de ce territoire, ce sont donc trois facteurs symboliques : 1) La Bible ne veut pas se laisser recouvrir par le Coran. 2) Le droit palestinien à cette terre ne tient pas devant le droit sur elle des Hébreux 3) L’arme de combat palestinienne n’a pu être jusqu’ici que le djihad, dont la visée est excessive et rate forcément son but.

Le combat d’Israël est juste, mais le nombre de civils tués en fait un génocide : Que répondez-vous à cette assertion si souvent entendue ?

  • Là aussi permettez que je renvoie au livre où j’y réponds précisément. Outre que le mot génocide a un sens précis qui ne s’applique nullement ici, je pense que son usage est surtout fait pour confirmer la vindicte antijuive sur le mode : « vous voyez, comme nous le disons entre nous depuis treize siècles, les juifs sont haïssables ». De fait, le drapeau palestinien est devenu l’emblème du djihad antijuif (ce qui, là encore, sacrifie les Palestiniens : leur drapeau est confisqué pour devenir celui du djihad), et ces manifs avec drapeau entraînent des progressistes en tout genre, des militants révolutionnaires et des bobos qui se veulent très en pointe : qui donc ne combat pas un génocide ? Mais toutes ces célébrations n’ont pas fait de morts, et les États arabes n’ont pas bougé.

Quelle issue en cette impasse ? Un tiers paraît indispensable : Quel serait-il ? Une présence palestinienne démilitarisée comme solution possible, disiez-vous en août sur Mosaïque… Daniel Sibony, quid de la solution à 2 États ? 

  • Cette solution, qui semble très raisonnable, est toujours convoquée mais toujours accompagnée par son échec, à chaque occasion. C’est ici que la Doxa réclame les deux États, mais là-bas, les combattants palestiniens n’en veulent pas, ce n’est pas le but du djihad. Comment voulez-vous faire un État du peuple palestinien quand la partie active de celui-ci n’en veut pas ? Vous voulez une issue ? La voici : il faut que les états arabo musulmans libèrent les palestiniens de l’obligation qui leur ai faite de mener le djihad anti juif. Et soit dit en passant, ces États devraient payer une rente au palestiniens pour les avoir coincés dans cette mission depuis les années 30. On entend souvent la question : Mais ces palestiniens, il faut bien les mettre quelque part, non ?Comme s’ils étaient suspendus dans les airs. Ils sont plutôt bien là où ils sont, dès lors qu’ils n’ont pas mission de faire le djihad.

Dans un billet donné récemment à Tribune juive, vous affirmez que ce énième djihad antijuif est en train de foirer après celui de 48, de 67, de 73, des intifada et autres attaques Gazaouies.

  • Cela pourrait être une raison pour démilitariser Gaza et la Cisjordanie

Si vous admettez la haine coranique et islamique, vous affirmez qu’il faut dégonfler le mythe de l’antisémitisme universel, lequel est au contraire très délimité, essentiellement musulman.

  • Oui, l’antisémitisme est exprimé, tranquillement ou violemment, dans la mouvance islamique, et c’est logique puisqu’il fait partie du credo. Mais je ne sache pas que ce credo soit partagé par les foules en Occident. En revanche, cette mouvance est soutenue par ceux qui veulent l’utiliser. Tout cela ne fait pas une haine universelle.  

Vous écrivez même que la situation est plutôt bonne, et doit en inciter beaucoup à bannir la mine contrite et leurs airs déprimés. Si l’on vous rend la joie fondamentale, increvable d’une transmission symbolique qui a réussi à porter notre petit peuple sur trois mille ans, la résistance symbolique millénaire des Juifs, peut-on vous suivre sur cet optimisme ?

  • Je parlais de la situation sur le terrain : l’Iran et ses proxys sont mal en point. Ce n’est pas de l’optimisme, c’est un fait : des juifs peuvent se déprimer de voir passer des manifs, de savoir que des soldats meurent, mais s’ils se recentrent sur la transmission qui les porte depuis plus de 30 siècles, ce recentrage redonne la joie que vous rappelez et qui éloigne pour un temps la tristesse. 

Daniel Sibony, quel accueil a reçu cet ouvrage ? Avez-vous été invité à en parler ? Êtes-vous de ceux, infiniment rares, conviés à débattre en plateau ? Des documentaires remarquables sur le 7 octobre n’ont pas trouvé de salle ou de chaine télé. Jusqu’à quand cette invisibilité juive ? Comment y remédier ? 

  • Le livre se vend très bien. Je suis souvent invité à parler mais pas sur les plateaux. Pas même sur Akadem ou dans des Radio juives, ce qui est plus curieux, mais intéressant. Mais c’est plutôt stimulant ; ma meilleure façon de me faire reconnaître pour un livre, c’est d’écrire le suivant ; et celui-ci est le 50e.

Une question au psychanalyste : Pléthore de juifs israéliens ou de la diaspora pourfendent avec une rare violence la défense israélienne. On entend alors parler de haine de soi. Que répond Daniel Sibony ?

  • Le terme est inapproprié, ces gens n’ont pas la haine d’eux-mêmes, c’est clair. Ils ont la haine de la transmission juive, la haine du juif. Beaucoup, sans le savoir, sont sur la position de Karl Marx, qui a écrit un pamphlet antisémite et dont le père s’est converti. Dans le livre, j’avance l’hypothèse que ce sont des traumatisés de l’antisémitisme, et qu’il se soignent ainsi comme ils peuvent ; la transmission juive est un bon vin qui, chez eux, a tourné au vinaigre, alors ils rendent. D’autres sont aigris parce qu’ils aiment cette transmission, mais qu’Israël ne les a pas mis sur le podium qu’ils méritaient.

Daniel Sibony, Les non-dits d’un conflit. La Proche-Orient après le 7 octobre. Éditions Intervalles. 200p, 13€

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