Simon Marjenberg, bien connu de la Communauté Juive de Metz, vient de nous quitter.
Il a probablement rejoint Refouel et Ruchla qu’il n’a jamais connus.
Solaire, toujours jovial , c’était un modèle de réussite.
Un modèle de réussite familiale. Il s’en est allé entouré de sa femme Jacqueline, à ses côtés depuis l’adolescence, et de ses fils Boris et Dan ainsi que de ses petits-enfants.
Un modèle de réussite professionnelle puisqu’il a quitté le lycée à 15 ans pour travailler dur dans la fonderie de sa famille adoptive. Et, bien que privé d’études supérieures, il était parvenu par la suite à créer plusieurs sociétés de négoce en métaux non ferreux qui ont prospéré.
Mais c’était surtout un modèle de réussite personnelle, il cherchait le bonheur partout, malgré son passé, malgré son histoire.
Il avait fait sienne la formule de Boris Cyrulnik sur la résilience, il avait l’art de naviguer dans les torrents.
Son histoire, dont je ne connaissais jusque-là que des bribes, ses enfants ont bien voulu me la confier. Une histoire qui a fait l’objet d’un chapitre d’un livre consacré aux enfants cachés, un témoignage raconté dans les collèges et les lycées messins afin de contribuer à sensibiliser la jeunesse sur cette période noire, afin que cela ne se reproduise plus.
Né le 1er septembre 1941 à Bruxelles, dans une famille arrivée de Varsovie au début des années 30, Simon était le fils de Refouel Marienberg et de Ruchla Miodek, dernier-né d’une fratrie de 3 fils.
Son père, comme les autres membres de la famille, exerçait la profession de maroquinier. Les grands-parents avaient émigré en même temps que leurs enfants : Le grand-père, Sim’ha Marienberg, juif orthodoxe, avait passé sa vie à étudier et enseigner la Thora et la Kabbale, sans avoir d’activité professionnelle.
Mais la guerre était là et dès l’été 1942, les choses se sont compliquées pour la famille Marienberg. Conscients du danger, mais dans l’impossibilité de fuir, les parents décidèrent de cacher leurs trois fils à la campagne.
Une résistante, Mme Andrée Gueulen, Juste parmi les Nations, viendra chercher le petit Simon, âgé de 10 mois, pour le cacher dans une famille dans le petit village de Flobeck, chez le garde-chasse.
Les trois frères seront séparés, par précaution.
Au printemps 1943, sur dénonciation, les parents de Simon ont été raflés, chez eux, en compagnie d’une partie de la famille, durant un déjeuner familial.
Ils partiront en direction d’Auschwitz le 19 avril 1943 dans le 20ème convoi.
Fait unique durant la guerre, ce convoi sera durant son trajet attaqué par des résistants belges, le train stoppé, les portes ouvertes, permettant aux prisonniers de tenter de s’échapper.
Refouel Marienberg sera fauché par une rafale et mourra sur place, son épouse Ruchla, alors blessée, sera conduite par des résistants dans un hôpital. La trahison d’un espion nazi infiltré dans la résistance révèlera sa cachette, elle sera à nouveau raflée sur son lit d’hôpital et partira finalement vers la mort par le convoi suivant le 31 juillet.
Un rescapé du convoi, rencontré bien des années plus tard par le frère aîné de Simon, racontera qu’il était dans le même wagon que ses parents, et que son père avait fait sortir tout le monde avant de s’échapper en dernier et d’être abattu.
Vers la fin de la guerre, prévenue de la possible présence d’un enfant juif caché dans le village, l’armée nazie était venue le chercher. Alertée, la famille d’accueil de Simon lui donne un panier à provisions, une couverture, et l’avait envoyé se cacher dans les bois avec ordre de n’en sortir que lorsque les camions militaires seraient partis, ce qu’il fit le lendemain après une nuit dehors.
La guerre terminée, un cousin résistant, plus âgé, était venu le chercher à la campagne, mais il ne restait personne pour s’occuper du gamin de 4 ans.
Simon s’était alors retrouvé dans les orphelinats de l’OSE où il a connu brimades et privations.
A l’été 1947, quelques familles de la communauté de Metz ont accueilli des orphelins pour les vacances. Le petit Simon en faisait partie, et il y restera une fois les vacances terminées pour ne plus quitter Metz. Germaine le prit sous son aile et devint sa maman : Simon avait désormais un foyer.
Au même moment, ses 2 frères aînés, quant à eux, âgés de seulement 13 et 10 ans, sont partis en Australie pour rejoindre une tante qui y avait émigré avant-guerre. Il ne les reverra que 30 ans plus tard.
Simon qu’on voyait toujours si gai, si souriant, malgré ce lourd passé…
« Personne ne prétend que la résilience est une recette de bonheur. C’est une stratégie de lutte contre le malheur qui permet d’arracher du plaisir à vivre, malgré le murmure des fantômes au fond de sa mémoire », écrivait Boris Cyrulnik dans le Murmure des fantômes.
Alors que l’antisémitisme est décomplexé en Europe et particulièrement en Belgique et en France, l’histoire de Simon doit résonner.
Nous devons continuer de la diffuser alors que la judéité semble à nouveau criminalisée.
Nous sommes vraiment morts lorsque plus personne ne prononce notre nom : Simon, nous continuerons d’évoquer ton passé, nous continuerons d’écrire ton nom.
© Flora Fischer
Flora Fischer, blogueuse et médecin, auteure de « Confidences d’une dermatologue » chez Robert Laffont, écrit au Huffpost, Causeur.
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