En vingt-quatre ans de carrière universitaire, force m’est de constater que le nom « Israël » n’a jamais perdu sa connotation négative. De toutes les pseudo « causes universitaires », la lutte contre le sionisme est LA cause : blocages, manifestations, assemblées générales, assemblées du comité Palestine… tous les moyens sont bons de combattre Israël. Ce qui en jargon universitaire équivaut à « faire justice ».
Cette connotation négative, qui s’est renforcée depuis le 7 octobre, s’explique par une idéologie anticolonialiste-communisante propre à l’université française depuis les années soixante. Les acteurs qui nourrissent cette idéologie sont nombreux : les communistes, les progressistes intersectionnels, les islamistes progressistes (nombreux à l’université depuis le programme élaboré par l’Alliance des Civilisations, initiée par R. Erdogan et R. Prodi en 2003)[1] et enfin, les Juifs, les Juifs progressistes israéliens notamment, qui jouent un rôle crucial dans le patient travail de la redéfinition de l’image d’Israël.
Le poison du langage
Qui est l’idole de la communauté française universitaires ? Sa référence absolue ? Ne cherchez pas, c’est l’historien Zeev Sternell qui fut le premier à pointer du doigt « la brutalisation de la société israélienne ». Dans la « nécrologie » de Sternhell rédigée par un historien du CNRS pour le journal l’Humanité, on peut lire :
« Mais son œuvre demeure, car il pointait la brutalisation de la société israélienne, construite désormais pour éliminer les Palestiniens en refusant de reconnaître tout d’abord la Nakba, préalable à toute fondation d’un État palestinien »[2].
Le philosophe Yeshayahou Leibovitz, brillant intellectuel national, a conquis une notoriété internationale après la première guerre du Liban en qualifiant l’armée israélienne de « judéo-nazie » :
« Tout ce qu’Israël a fait, tout, je souligne, est une bêtise méchante ou un mal produit par la bêtise »[3].
À l’Université, les seules références faites par mes collègues aux ouvrages littéraires israéliens sont ceux de David Grossman, tirées du Vent jaune, notamment, le récit de son voyage à Ophra, implantation de Judée, qui a beaucoup énervé l’écrivain. Très irritant en effet, cet héritage du judaïsme, tous ces livres religieux et tous ces Juifs qu’il considère comme « des terroristes potentiels se balançant sur leurs livres ». Pour Grossman le terrorisme potentiel des Juifs est bien plus grave que le terrorisme réel des Arabes.
Passons sur Shlomo Sand et Ilan Pappe, les héros de l’intelligentsia universitaire française de gauche (c’est un pléonasme). Ce sont les références contemporaines préférées de ces centaines de profs de fac, mes collègues, ou des députés de LFI (cela revient souvent au même). Ces auteurs sont des négationnistes grossiers dont le positionnement a été parfaitement analysée par Yoram Hazony, auteur de L’Etat juif, sionisme, post sionisme, destins d’Israël. Et qui s’intéresse aux mécanismes psychiques de ces personnes, aura intérêt à lire Daniel Sibony, Proche-Orient, psychanalyse d’un conflit.
Ces universitaires, roquets de compagnie du socio-politique
Depuis le 7 octobre, les Juifs Israéliens « modérés » autorisés à publier dans les médias tiennent des propos qui se résument à « il n’y a pas d’apartheid en Israël, mais ‘un peu’ d’apartheid quand même’. Quand ces mêmes Juifs Israéliens donnent des conférences sur Israël à l’université par exemple, ou quand ils se voient confier un cours, ils évoquent leur pays avec le langage des ennemis d’Israël. C’est le seul moyen pour eux d’être acceptés par ce pouvoir médiatico-culturel qu’ils idolâtrent.
Leur lexique idéologique et leur rhétorique vaut le détour. Certains adaptent leur expression à la situation, au lieu et au public. Denis Charbit parlera ainsi de « Judée-Samarie » sur Akadem – terme correct au plan géographique et historique, dépourvu d’idéologie – mais de « Cisjordanie » sur tous les plateaux de télévision français où il est souvent invité. Or, « Cisjordanie » est un terme qui fonctionne exactement comme Palestina, nom donné par l’empereur Hadrien à la Judée afin d’effacer jusque dans la langue, toute présence juive sur la terre natale des Juifs. Seuls les Français utilisent Cisjordanie, les autres langues du monde utilisant West Bank, une traduction de l’arabe al-diffah al-gharbiyyah. Par ailleurs, ces Juifs médiatiques ne rechignent jamais à utiliser les termes « colonisation », « occupation », « territoires occupés », « régime d’occupation militaire », « colons juifs », « extrême-droite », « judaïsme radical », « radicalisation de des soldats nationalistes de Tsahal ». Quand le nom de Benjamin Netanyahou est cité, tout le monde comprend que le Premier ministre israélien est un équivalent du Sheitan (Lucifer en Arabe).
Les Juifs Israéliens choyés par les universitaires rationalistes, anticléricaux, laïques, athées et qui nient en bloc toutes les religions sauf l’islam, participent à l’illusion ambiante qu’Israël a besoin d’une identité « normale », sans racines ni traditions, comme celle des Etats occidentaux post-nationaux. Tous croient qu’Israël a été « donné » aux Juifs par l’ONU, comme a dit récemment le président Macron, et tous acquiescent à l’idée que l’ONU est une organisation représentative de la normalité et dont les filiales sont toutes respectables.
Voilà quelques semaines, on a pu lire sur le site de France 24 que Denis Charbit, « un chercheur israélien très consulté », était critique à l’égard de la loi récemment votée par la Knesset qui interdit toute activité à l’UNRWA, cette branche du Hamas couverte par la légitimité institutionnelle :
« C’est l‘hubris israélienne actuelle de dire ‘Nous, on sait tout, on sait comment faire et s’ils ne sont pas contents, on leur montre qu’on est les plus forts’, analyse le chercheur. « Israël, qui est déjà dans une mauvaise situation internationale, risque de se rendre de plus en plus illisible et incompréhensible auprès de ses alliés »[4] ,ajoute-t-il.
En effet, l’interdiction de l’activité terroriste de l’UNRWA (je ne parle pas uniquement de la participation des soi-disant enseignants de cette filiale de l’ONU aux massacres du 7 octobre mais aussi des manuels scolaires anti-Israéliens qu’elle produit, et de sa complicité dans la construction de tunnels de guerre) a beaucoup étonné, outre Charbit … les députés de LFI.
Très présent sur les plateaux télé et radio, Denis Charbit ne contredit jamais les accusations mensongères des satellites de François Burgat, avec qui il est invité. Je pense ici au journaliste Christophe Ayad, à Vincent Lemire, proche de l’Association France Palestine Solidarité et historien officiel des plateaux, tous farouchement anti-israéliens. Non seulement Denis Charbit ne proteste pas, mais son sourire vaut caution et acquiescement. Le 18 septembre 2024[5], sur le plateau de C ce Soir, V. Lemire et Christophe Ayad ont défendu les positions du Hezbollah sans qu’un cil de Charbit frémisse. Lemire a comparé l’opération des bippers avec le 7 octobre (sic !) (min. 11), a jugé cette opération « inconcevable » et l’a condamnée au nom « du choc psychologique » qu’elle a créé parmi les Libanais.
Au lieu de démonter l’inversion accusatoire infligée au téléspectateur, Denis Charbit a répondu : « J’espère que ‘tu’ ne vas pas pousser l’analogie jusqu’au bout ». L’ami de Denis Charbit, Vincent Lemire l’a pourtant fait beaucoup de fois depuis le 7 octobre, dans ces tribunes pour Le Monde[6] et ses articles sur les sites de l’AFPS ou Amnesty International dont on sait l’orientation antijuive[7].
Dans la même émission, l’animatrice a affirmé que les soldats israéliens qui attendent l’entrée au Liban « se radicalisent » (min. 36) (sans qu’on sache ce qu’elle entend par ce terme). Charbit a répondu « qu’il y avait une tendance à la radicalisation, malheureusement oui ». A la minute 37.40, Charbit a nuancé en expliquant que « ce que racontent les soldats ce n’est pas tout à fait ça ». Mais à la minute 38, on entend « Mais c’est vrai qu’il y a cette radicalisation-là ». Et il explique que la « participation de la population religieuse est significative, là où les élites, ceux qui font du renseignement, sont beaucoup moins radicalisés ».
Il y aurait donc des soldats religieux, nationalistes et « radicalisés » qui se battent pour sauver la vie de Denis Charbit et les « élites » qui ne se battent pas. Ce « en même temps » macronien permet ainsi à un « intellectuel de plateaux » de dénigrer son pays en guerre tout en dressant les tréteaux d’un spectacle du mépris. Le linguiste Jean-Claude Milner appelait ces « universitaires » les « roquets de compagnie » du socio-politique[8].
Ces cautions apportées par des intellectuels juifs au discours de délégitimation d’Israël sont de facto des ordres émanant des politiciens dans le but de diviser les Juifs de la diaspora. L’appareil du pouvoir demande aux Juifs de légitimer le vocabulaire de l’antisionisme, pour que les mots de l’antisionisme n’aient plus besoin d’être justifiés rationnellement. Si les juifs parlent comme les Palestiniens, alors les Palestiniens ont raison.
Pourquoi invite-t-on sans cesse ces juifs qui ne représentent personne et qui ne sont même pas très connus en Israël ? Qu’on se le dise, Denis Charbit ne représente pas un courant d’idées en Israël et n’est connu que du public de Libération ou de l’Humanité et des auditeurs de France Inter ou France Info.
Les médias exploitent le narcissisme et la médiocrité intellectuelle de ces « chercheurs » qui préfèrent vendre leur pays et leurs compatriotes plutôt que de dénoncer l’idéologie génocidaire islamo-nazie qui s’exprime dans la charte du Hamas ou dans la charte de l’OLP, jamais amendée. Jamais ces professeurs des Universités ne disent que tant le frère musulman Yasser Arafat que le frère musulman Yahya Sinwar avaient les mêmes références coraniques et nazies dans leur programme d’extermination des Juifs.
J’ai beaucoup travaillé sur les discours des terroristes tueurs des Juifs en France. Aussi incroyable que cela paraisse, ils ne font que répéter ce qu’ils ont lu et entendu dans les médias. Dans le film de Hannah Assouline, A notre tour ! les jeunes expliquent que ce qu’ils savent d’Israël, ils l’ont appris des médias. Quand des Juifs Israéliens répètent à l’envie : colonisation, apartheid, occupation, inégalité des droits, vils intérêts de la droite... comment ne pas haïr Israël ?
Au dernier colloque universitaire « Comment parler d’Israël », organisé par l’Institut Elie Wiesel, Denis Charbit a prévenu le public que le gouvernement israélien a décidé de congédier (enfin ! NDRL) ceux qui font l’apologie du terrorisme dans l’éducation nationale. Notre héros s’est alarmé de ce qui constitue selon lui, une « violation de la liberté académique ». J’ai entendu les mêmes discours à la réunion du Comité Palestine de mon université.
L’antisémitisme génocidaire se fonde sur l’inversion victimaire, la nazification des juifs et l’accusation de génocide. Pour légitimer ces accusations du point de vue éthique et pas du point de vue intellectuel il est nécessaire de citer des Juifs et encore mieux des Israéliens, universitaires de préférence. Ainsi, l’antisémitisme crée un marché pour des Juifs universitaires qui ne sont pas très connus dans leur pays, mais qui peuvent quand même être invités à des conférences ou à signer des articles dans les Der Stürmer du moment.
Il est impossible d’inviter Alain Soral ou Hourija Bouteldja pour dire qu’Israël est un Etat d’apartheid, dirigé par le diable Netanayhou. Cela pourrait être considéré comme un délit antisémite. Mais des Juifs qui évoquent la « radicalisation des soldats », « la radicalisation du judaïsme », « le refus de la paix avec les Palestiniens », « la politique criminelle de Netanyahou » … sont du meilleur effet. Les téléspectateurs ne peuvent pas s’imaginer que le narcissisme et le besoin d’exister poussent un universitaire juif à profiter de la scène médiatique pour vendre son peuple. Ces intellectuels–là n’ont pas encore de sang sur les mains, mais cela pourrait ne pas tarder. Le prochain meurtrier de juifs en France n’agira pas forcément au nom de ses « frères palestiniens opprimés », mais au nom des juifs qui aspirent à vivre tranquilles en conformité avec l’antisionisme officiel de l’Etat et des médias.
© Yana Grinshpun
Maître de conférences en linguistique française et analyste du discours, co-directrice de l’axe « Nouvelles radicalités » au sein du Réseau de Recherche sur le Racisme et l’Antisémitisme, Yana Grinshpun a publié en 2023 chez L’Harmattan « La fabrique des discours propagandistes contemporains. Comment et pourquoi ça marche ? » Retrouvez-la sur Perditions idéologiques https://perditions-ideologiques.com/
Notes
[1] https://www.menora.info/nous-et-lautre-dans-le-dialogue-entre-les-peuples-et-les-cultures-dans-lespace-euro-mediterraneen
[2] L’Humanité 15 novembre 2014
[3] Jerusalem Post, le 16 janvier 1993
[4] https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20241015-israel-unrwa-refugies-palestiniens-loi-knesset-onu-gaza-cisjordanie-netanyahu
[5] https://www.youtube.com/watch?v=iRV1u_omRnw&t=250s
[6] Voir l’analyse détaillé de ses interventions par D. Bensoussan-Burzstein dans « 7 octobre 2023. Un an de combat contre la désinformation », in Cahiers Bernard Lazar, septembre –octobre 2024
[7] https://www.amnesty.fr/chronique/7-octobre-entretien-avec-vincent-lemire, https://www.france-palestine.org/%E2%89%AA-A-Jerusalem-la-bataille-demographique-est-un-echec-pour-Israel-%E2%89%AB
[8] Milner, J. C. « Existe-t-il une vie intellectuelle en France »
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