Du projet utopique de Théodore Herzl à l’Institut technologique d’Israël, fleuron universitaire parmi les meilleurs au monde, voici son histoire extraordinaire …
L’IDÉE :
Au commencement, il n’y avait rien. Rien de tel dans toute cette région du Moyen Orient. Nulle part sur les terres de Palestine encore désertiques ou presque, n’existait un établissement d’enseignement supérieur technologique et scientifique.
Nous sommes à l’orée du XXème siècle, et Théodore Herzl cogite encore son fabuleux projet sioniste. Dans sa vision, il cultive une idée singulière de la destinée des Juifs, dans laquelle le rôle qu’il leur attribue est celui de l’avant-garde de l’humanité :
« Le monde sera libre par notre liberté, enrichi de notre richesse, agrandi de notre grandeur. Et ce que nous tenterons là-bas pour notre propre prospérité aura des effets puissants et heureux pour le bien-être de l’humanité tout entière » ( Der Judenstaat).
Il imagine alors, dans une multitude de détails précis, l’organisation de cette société juive, totalement novatrice, fondée sur un système coopératif et mutualiste, avec cette confiance enthousiaste, caractéristique de l’époque, en l’idée du progrès scientifique.
C’est dans ce contexte, ajoutant au sionisme politique une considération d’ordre pratique, que la création d’un institut d’enseignement technologique et scientifique lui apparaît comme indispensable afin, dit-il, que « ce projet d’ériger une nation pour les Juifs ne demeure pas qu’un simple rêve ».
( « Si vous le voulez, ce ne sera pas un rêve » – c’est le slogan mis en exergue de la fiction politique Altneuland 1902 ( Terre ancienne – terre nouvelle ou Le Pays ancien-nouveau ))
Ainsi, lors du cinquième congrès sioniste, en 1901, alors qu’il est question de fonder un certain nombre d’institutions culturelles, Martin Buber de Vienne, étudiant en philosophie, Berthold Feiwel de Berlin, écrivain politique et éditeur, ainsi que Chaim Weizmann reprennent cette idée, et viennent ensemble soutenir la nécessité d’une université juive dont l’objectif premier sera l’enseignement de la technologie.
Avec justesse, ils soulignent le manque criant de formation scientifique et technologique des jeunes Juifs arrivant de Russie, où l’accès à ce type d’étude leur est le plus souvent refusé.
Le projet consisterait à créer tout d’abord un « Technikum » préparatoire, d’une part pour former des étudiants à l’université, et d’autre part pour servir d’institution indépendante pour la formation des jeunes dans les professions techniques, agricoles et militaires. Les diplômés serviraient de base à l’établissement et à la mise en place d’un système de formation professionnelle.
Une résolution pour « une étude fondamentale de cette question » est adoptée ce même jour.
En 1903, les 60 000 Juifs de Palestine ont voté pour établir la « Knessiah Rishonah », première assemblée démocratique nationale en Palestine et ancêtre de l’actuelle « Knesset ».
Les premiers fondements d’un gouvernement autonome vont alors se mettre en place, et à cette occasion, le leader sioniste, le Dr Menahem Ussishkin, va soulever l’urgente nécessité d’une institution d’enseignement supérieur en Palestine.
La convention soutiendra ainsi la résolution pour l’établissement d’un institut d’enseignement polytechnique supérieur en Palestine, le « Technikum », dont la mission sera de dispenser aux jeunes pionniers sionistes établis en Palestine de l’Empire ottoman tout le savoir-faire nécessaire pour bâtir une nation et offrir un creuset inédit pour le développement de l’industrie, de l’agriculture, de la défense, de l’architecture, et de bien d’autres domaines scientifiques et techniques.
LES MOYENS :
Enthousiasmés par ce projet stratégique, ambitieux et exaltant à la fois, de nombreux mécènes et donateurs du monde entier vont alors œuvrer pour lever les fonds nécessaires à son établissement.
Parmi eux, le Dr Paul Nathan, leader de la fondation juive allemande Ezra (Hilfsverein der Deutschen Juden), tiendra un rôle déterminant pour rassembler divers groupes et mouvements juifs, et récolter d’importantes donations. Hilfsverein participera grandement aussi à l’acquisition du terrain de Haïfa devant accueillir le nouveau bâtiment.
L’un des donateurs sera le célèbre philosophe, journaliste et essayiste Ahad Ha-Am, alias Asher Zvi Hirsch Ginsberg, désigné comme exécutant testamentaire du richissime négociant en thés Kalonymous Zeev Wissotzky, pour attribuer d’importantes sommes d’argent à différentes causes culturelles ou philanthropiques. Bien que ne partageant pas la vision du sionisme politique de Théodore Herzl, mais aspirant plutôt à un sionisme culturel avec un véritable combat pour le renouveau de la culture et la langue hébraïques, il sera néanmoins, lui aussi conquis par le projet du « Technikum » et lui allouera un don de 100 000 roubles.
En 1908, lors d’une visite dans l’Empire Ottoman, Jacob Schiff, philanthrope américain partisan d’un judaïsme réformé et d’un sionisme laïque, se proposera lui aussi de financer ce projet mais à condition que son conseil d’administration soit composé de représentants de communautés juives d’origines diverses, et que les étudiants y soient accueillis sans aucune discrimination ethnique, religieuse, politique ou de sexe.
En Europe, l’intérêt pour le nouveau « Technikum » ne faiblit pas non plus. Lors d’une conférence sioniste à Manchester en 1909, le Dr Chaim Weizmann, le futur Président de l’État d’Israël, annonce que le projet du « Polytechnikum » se présente très bien, de nombreux riches donateurs juifs de partout dans le monde ayant déjà offert de généreuses contributions à sa réalisation.
LA CONCRETISATION :
Cette même année, l’architecte juif prussien Alexander Baerwald, inspiré de l’idée originale d’associer des formes européennes à des éléments orientaux, est désigné pour esquisser les premiers plans du nouveau bâtiment.
Il se trouve qu’il est ami avec Albert Einstein avec lequel il joue du violoncelle dans un quatuor à cordes. Pour ce dernier, le développement de la Palestine et avec elle celui du nouveau « Technikum » sont d’une importance capitale pour l’ensemble de la communauté juive.
Pour Baerwald, ce nouveau bâtiment doit refléter dans son architecture toute la singularité du projet sioniste. Il a pour objectif d’inventer à travers ce projet une architecture israélienne authentique, et même, d’imaginer ou peut-être restaurer une architecture biblique ancienne pour laquelle l’importance de l’architecture arabe locale ne doit pas être sous-estimée. Il tente ainsi d’apprendre de l’architecture locale et d’en adopter des éléments pour les bâtiments qu’il a planifiés, dans le souci de créer une synthèse entre elle et l’architecture occidentale.
En août 1910, son projet est ainsi approuvé par le Kuratorium et Baerwald est définitivement chargé d’en élaborer les plans détaillés et superviser l’exécution.
Si Jérusalem est initialement pensée comme la ville destinée à l’emplacement du « Technikum », les arguments en faveur de Haïfa l’emportent finalement.
Imaginée alors comme la ville du futur et de la modernité, Haïfa offre un vrai carrefour de communication, à la fois pour le transport terrestre et le transport maritime, avec un centre portuaire international, favorisant de la sorte l’industrie, ainsi qu’une ligne de chemin de fer nommée « Hedjaz » qui la relierait à Damas et Bagdad.
De plus, constituée d’une petite communauté juive, moins religieuse et peu influente, contrairement à celle de Jérusalem, centre de l’orthodoxie, ou celle de Jaffa, foyer du nationalisme juif, elle présente une sorte de neutralité qui minimiserait d’éventuels conflits. En revanche, la présence du « Technikum » favoriserait une expansion de la population juive dans la région Nord.
En 1912, l’autorisation officielle Ottomane pour creuser les fondations du « Tecnnikum » dans le quartier du Hadar, au cœur de la ville, est enfin acquise, et, au cours d’une cérémonie, la première pierre est posée.
En dehors de la pierre, la plupart des matériaux de construction sont importés de l’étranger. La chaux provient de France, le ciment d’Allemagne, les installations sanitaires et les divers accessoires d’Europe. Aujourd’hui encore, les visiteurs du bâtiment historique peuvent lire les noms des fabricants allemands.
Tandis que la construction du tout nouveau bâtiment se poursuit, le conseil d’administration vote en 1913 pour l’usage de l’allemand comme langue d’enseignement, le vocabulaire technique n’existant pas dans la langue biblique, et l’hébreu moderne n’en étant qu’à ses débuts.
Une intense controverse connue sous le nom de « guerre des langues » s’installe alors, opposant les donateurs allemands aux Juifs américains et russes partisans de l’usage de la langue anglaise.
En février 1914, après moultes discussions, le conseil d’administration opte définitivement pour l’hébreu comme langue d’enseignement. Le nom allemand « Technikum » sera également remplacé par le nom hébreu « Technion ».
L’INAUGURATION :
En février 1923, Albert Einstein, prix Nobel de physique 1921, rend visite au « Technion » pour la première fois. Il plantera là ce palmier devenu célèbre depuis et toujours présent devant le premier bâtiment de l’Institut, au cœur du Hadar de Haïfa.
De retour en Allemagne, il fonde la première « Société du Technion » dont il deviendra président du Conseil d’administration.
En 1924, Arthur Block sera le premier Président du « Technion » qui inscrira ses seize premiers élèves ingénieurs, comportant des élèves Arabes ainsi qu’une femme, et enclenchant une dynamique vitale jamais démentie depuis, entre le tout nouvel établissement et l’État juif embryonnaire.
Le « Technion » restera une institution privée pendant plus de trente-six ans jusqu’à la fondation de l’État d’Israël en 1948.
100 ANS PLUS TARD :
Depuis qu’Albert Einstein a fondé la première société du « Technion » en Allemagne en 1923, le réseau mondial d' »Amis du Technion » s’est étendu à 21 pays.
Si l’illustre et magnifique bâtiment d’origine du « Technion » n’abrite plus désormais que le Musée National d’Israël de la Science, la Technologie et l’Espace, L’institut technologique et scientifique est, quant à lui, devenu un immense campus universitaire, une véritable institution reconnue parmi les universités scientifiques les plus prestigieuses au monde, surnommé le « MIT » du Moyen-Orient, et à l’origine de la renommée d’Israël en tant que « Startup Nation ».
Le campus de « Technion City » comprend aujourd’hui 108 bâtiments principaux, avec 18 départements académiques, 60 centres et instituts de recherche, 10 cadres de recherche interdisciplinaires et 12 hôpitaux universitaires affiliés, répartis sur plus de 120 hectares au sommet du Mont Carmel et dans des campus supplémentaires à Haïfa et à Tel Aviv, et a conclu des accords académiques avec plus de 200 universités et organismes de recherche dans le monde entier. Parmi les 565 membres de son corps enseignant figurent quatre lauréats de trois prix Nobel.
Le « Technion » compte plus de 14 000 étudiants, et a délivré depuis sa création plus de 123 000 diplômes en sciences et en ingénierie, ainsi que dans des domaines connexes tels que l’architecture, la médecine, la gestion industrielle, et l’éducation. Il est actuellement à égalité avec le MIT à la 8ème place pour le nombre de lauréats du Prix Nobel au cours de ce siècle avec quatre lauréats : Aaron Ciechanover, Avram Hershko, Dan Shechtman et Arieh Warshel.
Le « Technion », qui a 100 ans cette année, et dont la création semblait à l’époque une totale utopie, a prouvé par sa réussite incomparable et spectaculaire la force et la détermination d’Israël qui, comme lui, n’est pas demeuré un simple rêve.
Nous ne pouvons que lui souhaiter un grand Mazal tov ainsi qu’une longue et fructueuse continuation pour l’avenir et le bien-être d’Israël et de l’humanité tout entière.
© Isabelle Chereau
Pour plus de précisions sur Le Technion aujourd’hui et son spectaculaire développement :
Contact : Valérie Sabah, Directrice Générale/Managing Director
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