Jérôme Enez-Vriad a lu « Jungle en multinationale » de Jean-Jacques Dayries

Jungle en multinationale est à la fois un thriller financier, une intrigue juridique, et une machination familiale. Son auteur sait de quoi il parle : célèbre entrepreneur, industriel de renom et grand voyageur, évolue dans la grande finance et ses multiples influences.

Les livres de Jean-Jacques Dayries racontent le véritable monde d’aujourd’hui : celui des « grands » qui, dans l’ombre, tirent les ficelles. Jungle en multinationale est le roman vrai de la puissance, mais c’est aussi l’histoire de multiples trahisons et celle d’enjeux incertains face auxquels personne ne souhaite perdre la moindre opportunité de les saisir. Ce combat de fauves nous entraîne à Londres et Paris, en passant par la Suisse, la Riviera, Saint-Barthélemy et quelques autres rivages caribéens. L’auteur connaît particulièrement bien le milieu de la finance, il ne manque toutefois pas non plus d’imagination pour tisser une trame romanesque aux multiples arborescences. 

Pas seulement une intrigue

Jungle en Multinationale n’est pas seulement une intrigue multifacette, c’est aussi une enquête très documentée sur le monde de l’hôtellerie à travers les coulisses d’une industrie méconnue. Tout commence par le bruit sourd d’un V8 américain. Il faut imaginer le ronronnement d’une très belle embarcation floquée d’acajou vernis glissant sur les reflets sombres du Léman ; petite croisière dominicale en direction de l’église, où, chaque dimanche, Jean rejoint le même banc afin d’accompagner Élisabeth davantage soucieuse de l’office que lui… Et tout finira aussi un dimanche – cette fois de fin d’automne – avec la même appréhension que l’on ne fasse surtout pas craquer les vernis du bateau à l’accostage contre le bord du ponton : Jean apprécie le respect des belles choses, quel qu’en soit le cadre, professionnel ou privé, l’apparence est le vêtement de la courtoisie…

Entre ce début lacustre et cette fin nautique, le lecteur aura été confronté aux laborieux méandres des affaires qui (souvent) ne sont rien en regard  des gageurs familiales plus difficiles que toute autre entreprise ; car au-delà de l’intendance de l’hôtel et du domaine, Jean sera aussi  confronté aux tracas personnels, à l’égo de chacun, et à moult intérêts spécifiques nourriciers de trahisons. Chapitre 33 : « Passer les premières minutes, il regrette déjà d’avoir accepté cette réunion. Les intentions de ces gens-là sont trop compliquées à saisir. Ils ne savent pas ce qu’ils veulent. Acheter une minorité du capital ? À quelles conditions ? Quel type d’accord pourrait-ils envisager avec les autres actionnaires familiaux ? L’intermédiaire dit que leur intention est pacifique, qu’ils sont des investisseurs de long terme, qu’ils resteront passifs, que le management leur convient. » Mais est-ce vraiment le cas ?… 

Une histoire… Un ton… Un style…

Jean-Jacques Dayries ne fait pas dans la pamoison superfétatoire. Ce qui lui importe est de ne pas laisser le lecteur se détourner de l’histoire qu’il est en train de lire. Aucun colifichet verbeux n’agrémente Jungle en multinationale. Le récit. Seulement le récit. Au diable cosmétique et maquillage. Vous ne lirez que les mots nécessaires. Mais alors !  Cette écriture sans emphase inutile ne serait-elle pas terne ? Eh bien non !  Elle est tout à l’inverse pleine et entière, précisément parce qu’elle est invisible. Manière de raconter sobrement et sans fausse littérature comme c’est trop souvent le cas de nos jours. Cela n’évite en rien de suivre avec intérêt les protagonistes et leur trajectoire. 

Outre une intrigue, un ton et un style, la lecture d’un livre relève aussi de ressentis personnels. Ainsi peut-on noter plusieurs scènes aux images bien construites. Les décors y sont posés en quelques mots justes. Page 74 : « Dehors, c’est Londres. Il fait nuit, froid, et il pleut. […] C’est ce qu’ils disent à leur mère. En fait, ils n’ont pas eu le temps de regarder par les fenêtres. » Également en ouverture du chapitre 54, lorsqu’Antoine et Alexandre s’engagent pour une courte promenade dans le jardin : « Ils sont accoudés au garde-fou qui longe le rivage. Un projecteur illumine le Lac, devant eux. L’odeur du jardin sous la neige. Celle de l’eau douce, un peu fade. » Notons aussi de nombreux clins d’œil aux arts classiques : Bach… Bayreuth… Noureev… menant à envisager Jean-Jacques Dayries comme un mélomane averti soucieux du partage pudique (presque taiseux) de sa passion : la musique. 

Problématiques intergénérationnelles de notre époque

Si l’histoire de Jean-Jacques Dayries mérite un succès de librairie, c’est parce qu’elle raconte les préoccupations d’une famille, certes privilégiée, mais à laquelle chaque lecteur pourra s’identifier en choisissant le personnage duquel il se sent le plus proche. La générosité des uns… L’arrivisme de autres… La  bienveillance de certains… L’acrimonie et l’arrogance de ceux qui s’y opposent… Jungle en Multinationale évoque les problématiques de notre époque. Autant de défis professionnels qui s’entremêlent aux tracas individuels lorsque le quotidien prend des allures de « feu au Lac » entre choc générationnel et force des clans. 

© Jérôme Enez-Vriad

© Novembre 2024 – Tribune Juive & J.E.-V. Publishing

Jungle en multinationale. Un roman de Jean-Jacques Dayries. Éditions Code9 – 294 pages – 24,00€


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