La féministe. La défaite de Kamala Harris est celle de toutes les femmes. Comme Hillary Clinton il y a huit ans, si elle n’a pas été élue, c’est à cause du patriarcat et du plafond de verre. Cette logique, curieusement, ne s’applique pas aux défaites de Marine Le Pen.
Les étudiants progressistes. Comme prédit dans une chronique récente (la réalité rattrape souvent la fiction), plusieurs cours ont été annulés à Harvard pour permettre aux étudiants de se remettre de leur traumatisme émotionnel. Le sociologue Musa Al Gharbi, professeur à Columbia, raconte qu’en 2016, ses étudiants, sonnés par la victoire de Trump, sont restés une semaine dans leur chambre, ont cessé (avec l’assentiment de l’administration) de faire leurs devoirs et de passer leurs examens, ont versé des torrents de larmes en pensant au sort des minorités sous le mandat de Trump. Ces mêmes étudiants, la même semaine, n’accordaient pourtant pas un regard, sur le campus, aux jardiniers, aux agents d’entretien, aux cuisiniers et aux vigiles (qui continuaient à travailler), n’exigeaient pas que ces personnes obtiennent une semaine de congé. Certains progressistes ultra-privilégiés semblent davantage émus par l’image d’eux-mêmes émus par le sort des défavorisés que par le sort des défavorisés.
Le journaliste du service public. Ce journaliste, incapable de concevoir qu’un électeur puisse être en désaccord avec eux sans pour autant être désinformé, attribue la défaite de Kamala Harris aux fake news. De fait, Julien Pain, « fact-checker » officiant sur le service public, a réagi sur Twitter au résultat de l’élection : « Il va falloir être plus efficace. » L’efficacité du fact-checking se mesure donc aux scores électoraux des candidats que les fact-checkeurs n’aiment pas. Et si les fact-checkeurs – qui confondent gauche et neutralité – étaient l’une des principales menaces à la diffusion d’une information précise ?
Le commentateur sûr de lui. Le 4 novembre au soir, il expliquait sur les plateaux télé que l’élection serait très serrée, et pouvait basculer dans un sens comme dans l’autre. Le lendemain matin, il construisait un grand récit rétrospectif qui conférait des airs d’inéluctabilité à la victoire de Trump.
L’intellectuel trumpiste. Nous n’en avons pas trouvé.
L’anti-israélien maladif. Tout en se désintéressant des violations des droits de l’homme partout dans le monde, en se montrant indifférent à la plupart des guerres sanglantes sur la planète (il n’a aucune idée, par exemple, que 600 000 civils ont été tués en Éthiopie de 2020 à 2022), cet homme réussit l’exploit de tout ramener au minuscule État juif : si Kamala Harris a perdu, ce serait parce qu’elle n’a pas assez parlé de Gaza, parce qu’elle a été insuffisamment hostile à Israël. Cet homme est antisémite, ou député LFI (souvent les deux).
Le raciste. Progressiste autoproclamé, il s’étonne que certains Noirs et certains Hispano-Américains puissent voter pour Trump. Il n’imagine pas que ces populations puissent adopter une grille de lecture non identitaire. Dans sa logique essentialisante, les Américains d’origine étrangère – qu’il ne considérera jamais comme des Américains à part entière – devraient éprouver une solidarité automatique pour les immigrés illégaux et s’opposer au renforcement des frontières. Les Noirs – qu’il confond avec les délinquants noirs – devraient craindre la police, voter pour la légalisation de la drogue et contre la répression pénale.
L’intellectuel de centre gauche. Si les gauches occidentales connaissent des défaites électorales, explique-t-il, c’est parce que, ayant abandonné les classes populaires, elles se concentrent sur l’installation de toilettes pour non-binaires. Il ne finit jamais le raisonnement : les classes populaires, aujourd’hui, réclament la mise en place de politiques publiques de droite, notamment sur la justice, la sécurité, l’immigration ou l’opposition au wokisme. La gauche, par conséquent, doit devenir de droite. (Dans sa grille de lecture, la gauche est le seul véritable acteur politique : lorsqu’elle perd, ce n’est jamais parce que l’électorat adhérait au programme de la droite, mais parce que la gauche n’a pas assez parlé de tel sujet, trop parlé d’un autre, choisi la mauvaise candidate, etc. Aussi une victoire de la droite est-elle systématiquement interprétée comme le résultat d’un vote de « contestation », et une victoire de la gauche comme l’ordre naturel des choses.)
Nicolas Sarkozy, François Hollande, Alain Juppé, Ségolène Royal, Marlène Schiappa et Édouard Balladur. Si Trump est revenu après sa traversée du désert, tout est possible.
© Samuel Fitoussi
Votre espérance d’un retour de ceux qui se sont plantés et qui, pour certains, se sont fourvoyés avec les nouveaux collabos de LFI et du NFP ou qui ont contribué à les faire élire est touchante.
Pour ma part, je n’ai jamais pensé qu’on pouvait faire du neuf avec du vieux.
La responsabilité des partis politiques est de faire émerger des personnalités capables, formées et travailleuses, qui seront capables de damer le pion aux racailles vitupérant et aux perroquets bien-pensants.
@Jean-Marc Lévy
Votre commentaire m’étonne. Comment l’ironie de tels propos a-t-elle pu échapper à un esprit aussi délié que le vôtre ? On peut parfois reprocher à l’auteur de trop se répéter, de s’en prendre toujours au même prêt-à-penser wokiste qui nous accable chaque jour que Dieu fait. Ce à quoi Voltaire répondait : “On dit que je me répète. Je cesserai de me répéter quand on se corrigera.” Il est fort à parier que Fitoussi aura bien souvent l’occasion de se répéter dans un futur proche. Hélas.