Procès Samuel Paty : « Nul besoin d’avoir une arme pour être un djihadiste » 

Eric Delbecque. Fabien Clairefond

Le procès de l’assassinat de Samuel Paty vient de s’ouvrir. Huit accusés sont réunis dans le box pour avoir diffusé un climat favorable à la violence terroriste islamiste et favorisé le passage à l’acte d’Abdoullakh Anzorov, l’assassin du professeur du collège du Bois-d’Aulne à Conflans-Sainte-Honorine. Au centre de cette scène judiciaire capitale se situent Brahim Chnina – le père de la jeune fille qui mentit et accusa faussement Samuel Paty – et Abdelhakim Sefrioui – le radicalisé, fiché S et activiste islamiste qui se fit le propagateur de la campagne de harcèlement contre l’enseignant -, tous deux créateurs d’un climat de haine autour du prof d’histoire.

De quoi est-il véritablement question ? Bien évidemment du procès de la djihadosphère, dont tous les accusés font partie. Ce procès s’avère déterminant parce que son résultat montrera si nous avons compris ou pas la nature profonde de l’islamisme et l’articulation de ses trois composantes, identiques dans toutes les formes de totalitarisme. Quelles sont-elles ? Le séparatisme, la guerre idéologique et la violence armée (attentats, terrorisme un peu partout sur la planète, et combats sur les théâtres de conflits, Irak ou Syrie par exemple, après l’Afghanistan et la Bosnie). Elles constituent un continuum de la radicalité islamiste qui vise à installer des régimes liberticides propageant la terreur, la brutalité et le contrôle social.

Le séparatiste fabrique des enclaves, répand la haine de la République française, gangrène la cohésion nationale et ambitionne de multiplier les « territoires perdus » de l’humanisme 1789 – laïcité et démocratie comprises, cela va de soi – ; le soldat idéologique intimide, monte des manipulations fondées sur la dénonciation d’une « islamophobie » instrumentalisée, menace des intellectuels et des écrivains, essaie d’installer un climat de censure, monte des opérations de « djihad judiciaire » ; et le terroriste sème les cadavres pour accroître l’angoisse, maximiser la peur, fragiliser les valeurs républicaines. Tous sont néanmoins des djihadistes.

Cessons de vouloir établir une différence de nature entre un salafiste « quiétiste » (en réalité séparatiste ou propagateur de stratégies et tactiques d’intimidation) et un salafiste « djihadiste » : simple division du travail, en fonction de la sensibilité de chacun, de son degré de témérité, de son positionnement sur l’échelle de la haine prête à exploser physiquement, des compétences, du niveau de sociopathie (ou d’un autre trouble de la personnalité, qui n’abolit pas cependant leur discernement) et du parcours de vie, mais rien ne les divise fondamentalement sur le cœur de la doctrine et l’objectif final… Et rappelons-nous par ailleurs que l’on trouve toujours un embrigadeur et des facilitateurs derrière l’assassin islamiste.

Ce n’est pas la violence armée qui fait le djihadiste. Le djihadisme, c’est la déstabilisation à finalité totalitaire de la République, par la force ou la subversion idéologique et séparatiste (comprenant l’ensemble des techniques connues de propagande, d’action psychologique et idéologique, de guerre de l’information, de désinformation et d’intimidation).

Le djihadisme ne constitue plus l’étape ultime, sacrificielle, et condamnable – par le plus grand nombre – du salafisme (matérialisée dans des attentats ou le départ en zone de guerre) : il désigne l’action résolue de fragilisation et d’assassinat du modèle démocratique et libéral (qui n’use pas systématiquement de la violence, de la brutalité physique, mais qui accepte la matrice l’intégrant en élément systémique, structurel et nécessaire, qui en légitime en amont le principe et la valorise moralement). Il recouvre donc l’ensemble du spectre stratégique et tactique, doctrinal, politique et opérationnel, du terrorisme (qui se définit d’abord comme une méthode, pas un socle idéologique), de la guérilla et de la guerre (en fonction des opportunités, du potentiel de situation), mais aussi de l’utilisation du modèle démocratique et de la société libérale à des fins illibérales et antidémocratiques (des listes politiques ethno-communautaires et confessionnelles, la guérilla ou « djihad judiciaire », la réécriture totalitaire de l’histoire, le recours pervers à l’inquisition woke, les hurlements permanents à la stigmatisation et la création continue de nouveaux compartiments de la culture victimaire). Bien sûr, il inclut forcément, mécaniquement, l’intégralité des stratégies et techniques de déstabilisation politique, sécuritaire, psychologique, médiatique et juridique imaginables, en mentant, instrumentalisant, manipulant la société civile et les règles de droit et d’éthique de la modernité occidentale…

En résumé, l’appellation de « salafiste djihadiste » caractérise aussi bien un séparatiste « influenceur » qu’un terroriste. La différence ? L’un des deux juge l’action armée indispensable ; l’autre non, sans pour autant désavouer catégoriquement le premier… Pas de meilleure illustration de cette complicité niée par les protagonistes que l’explosion de l’infraction d’apologie du terrorisme, en particulier depuis le 7 octobre 2023.

Les conséquences en matière d’enjeux et de stratégies de sécurité intérieure s’en déduisent facilement. Pour combattre le djihadisme, il faut d’abord lutter contre le séparatisme et la guerre idéologique, faire respecter l’École et ses professeurs, la laïcité, les forces de l’ordre et les partisans du blasphème, les journalistes de Charlie Hebdo et tous les auteurs qui choisissent de faire usage de la liberté de conscience et d’expression, sanctionner implacablement toutes les tentatives de police des mœurs et ne plus tolérer que l’intégration soit un repoussoir, au lieu d’être une obligation pour qui souhaite associer son destin personnel à celui de la France.

Les avocats de Brahim Chnina et d’Abdelhakim Sefrioui vont, semble-t-il, plaider l’acquittement en tentant de séparer l’acte terroriste du climat haineux propagé par ces deux individus, révélateurs de surcroît de la dynamique de réseaux islamistes fonctionnant en galaxie, où l’on retrouve d’une affaire à l’autre les mêmes intervenants. Si la justice ne les entend pas, nous aurons alors, peut-être, le sentiment que la République a compris l’islamisme, ce qu’est en profondeur le djihadisme salafo-frériste, et nous honorerons ainsi la mémoire de Samuel Paty.

© Eric Delbecque

Éric Delbecque est l’ancien directeur sûreté de « Charlie Hebdo » après l’attentat de 2015. Il est l’auteur des « Silencieux » (Plon).

Source: Le Figaro

https://www.lefigaro.fr/vox/societe/proces-

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