« Les Trésors juifs sont quelquefois enfouis mais jamais ensevelis. Ils sont notre Royaume. Notre liseré d’Or… » Par Daniella Pinkstein

Daniella Pinkstein à Jérusalem. Photo Yaël Ilan

Comme un liseré d’or

Les tumultes de l’histoire juive n’ont pas seulement laissé la trace de nos larmes dans chaque menu sillon, mais aussi lancé aux quatre ciels des liserés, des milliers et encore d’autres milliers de liserés d’or, tissés ici, là-bas, dans les jardins du paradis comme dans le ghetto de Varsovie, dans les mellah d’antan comme dans les rues du Marais, dans Manhattan comme dans la rue Haneviim de Jérusalem. Des hommes, femmes, penseurs, écrivains ou pas, ont étiré un fil dans l’obscurité pour que le jour nos regards se lèvent, ils ont tendu cet amarrage infini pour nous y accrocher quand nos genoux fléchissent. De chroniques en chroniques, je déroulerai la pelote d’or. Car rien de nos écrits ou de notre mémoire n’est fortuit. Les uns et les autres attendent leur heure. Le temps juif possède son rythme, mais sa force est de nous inviter à y prendre part, à le forger. Vous, moi, nous y avons une contingence – plénière. Témoins, passagers, passants, nous cousons. Et de fil en aiguille, comme disait mon grand-père, nous enfants de Jacob, fabriquons notre Royaume.

Je vous parlerai donc d’écrits inédits, témoignages, lettres, cartes postales, livres oubliés qui, pour paraphraser le génial Moïshe Kulbak, tisseront un réseau par-dessus le fond des étoiles[1]. Et pour attiser votre curiosité, à l’approche de Hanouka entre le sucre glacé des sofganioth et l’ardent reflet de nos bougies sur le monde, voici un exemple :

***

En 1947, le monde juif se réveille sidéré d’absence, d’effroi et de cendres. Les juifs américains dont les racines viennent d’être arrachées continuent à chuchoter en yiddish. Les poètes juifs, il y a peu, si vindicatifs, si véhéments, si impliqués dans le monde moderne, se tournent soudain vers le rêve des shtells et d’un dieu effaré, qui pleure de douleur avec son peuple. Dans ce lointain sans lumière pourtant « Tandis que l’un se souvient, s’étend au sol et jeûne – voilà qu’un homme s’élève – premier à rompre le pain – Premier à offrir une louange, et chanter le chant d’une nouvelle vie [2]« . Nous relevons notre propre Dieu, nous rompons pour lui ce premier repas, ce premier Shabbat que nous lui rebâtissons. En 1947, Mildred Grosberg Bellin qui se dit lui-même diplômé du « Modern Jewish Meals » !, décide de rééditer son célèbre « Jewish Cook Book », mais en le revisitant complètement.  Adieu veau, gelfilte fish, schnitzel et bouscoutou… On entre dans ce livre comme Alice aux pays des merveilles. Des fleurs qui parlent, des poissons qui chantent, des œufs qui donnent des leçons de vie. Quatre cent trente pages de prodigiosités casher inédites. Des puddings à la gélatine de citron pour Rosh Hachana, des faux caviars en canapé pour Pourim, des chocolats soufflé ou des gâteaux suédois pour Tou Bishvat, des salades du Niagara pour Soucoth. On y rit, on y pleure, on se régale des yeux ou du bout des lèvres. Chaque recette est un cadeau du ciel. Un rêve supplémentaire pour se mettre à table, un peu comme des enfants, les pieds se balançant sous la hauteur des chaises, les yeux rivés sur ces mains qui pétrissent en silence une Hallah au Brandy. Le temps du repas, comme un temps retrouvé. 

Et Il bénira cette table où nous avons mangé et Il y disposera tous les délices du monde et ce sera comme la table d’Abraham.

הָרַחֲמָן הוּא יְבָרֵךְ אֶת הַשֻּׁלְחָן הַזֶּה שֶׁאָכַלְנוּ עָלָיו, וִיסַדֵּר בּוֹ כָּל מַעֲדַנֵּי עוֹלָם, וְיִהְיֶה כְשֻׁלְחָנוֹ שֶׁל אַבְרָהָם[3]

Et ainsi va le monde juif…

Et ainsi, de fil en aiguille, de mannes en miracles, il continuera.

© Daniella Pinkstein


[1] Moïshe Kulbak, Lundi (traduit du yiddish), poète, romancier juif hors du commun, d’une beauté et d’une virtuosité exceptionnelles. Né en Biolérossie en 1896, il sera exécuté par la police stalinienne en 1937.

[2] A. Leyeles, Azoy iz es (C’est ainsi), in « Un Juif à la mer » recueil publié en 1947. Le poème, « azoy iz es » dont sont tirés les vers de ce texte (avec ma traduction), a été écrit le jour du verdict de Nuremberg, le 1er octobre 1946. A.Leyeles est l’un des plus grands poètes juifs, né en Pologne mais immigré aux Etats-Unis à l’âge 20 ans. Il écrira toute sa vie en yiddish, même – voire surtout – après-guerre.

[3] In Birkath haMazone


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