L’Andalousie d’Emmanuel Macron. Par Shmuel Trigano

Parmi les propos tenus par le président Macron lors de son voyage d’Etat au Maroc, il en est qui ont échappé à la perspicacité des observateurs, sans doute par manque de références historiques, et notamment de la part des observateurs de la condition juive en France.

Le président de la République a célébré “les années d’Al-Andalus”, pour rappeler un passé historique supposé commun à la France et au Maroc, qui aurait vu l’éclosion en Andalousie d’une civilisation remarquable dont les traces se retrouveraient dans la culture française. “La Giralda de Séville, les églises bleues et les patios ouvragés du Sud en restent toujours le somptueux témoignage architectural […] Pour mes compatriotes, le Maroc jouera toujours un rôle à part”. Ce que le président n’a pas rappelé, c’est que ce modèle est aussi connu comme celui de l’”Espagne des Trois Religions”.

De prime abord, le jugement du président a quelque chose d’étrange car je ne sache pas que l’Andalousie comprenait des territoires français au-delà des Pyrénées et je ne sache pas que les invasions islamiques (VIIIe-XVe siècles) et les razzias (prise d’esclaves, de femmes et d’enfants) qui les accompagnaient avaient installé une domination permanente, un ordre de civilisation. On sait que Charles Martel vainquit définitivement à Poitiers les incursions islamiques (en 732). L’Espagne conquise, elle, était la base de départ de l’invasion de la France. Il est stupéfiant que le président voie dans cet état de fait “un terreau d’échange” entre les mondes chrétien et musulman : le djihad comme œuvre de civilisation ! Et qu’il s’en recommande pour aujourd’hui ! Pis ! qu’il ne soit pas informé du caractère affabulatoire du mythe andalou que les faits historiques ne corroborent pas pour ce qui était du statut des non musulmans, chrétiens et juifs. Il suffit d’évoquer “en passant” le pogrom de Grenade en 1066 qui vit le vizir juif de la ville, Joseph Ibn Nagrela, crucifié sur la porte de la ville et fit 4000 morts. Le destin personnel d’un grand philosophe comme Maimonide suffit aussi à démontrer ce que fut le destin juif. Un statut qui, en tous cas, ne constitue absolument pas un modèle pour aujourd’hui[1].

On constate à ce propos que le président a assimilé l’idéologie de “l’Alliance des civilisations”[2], cette armada – organisme de l’ONU – créée par les Frères musulmans et le Qatar qui ont érigé une organisation internationale, du même nom, pour camper le monde musulman comme une civilisation brillante dont peut et doit se recommander le “vivre ensemble” (traduction de l’espagnol convivencia) sur une base religieuse, à l’instar de “l’Espagne des trois religions”, un modèle explicitement proposé à l’Union européenne où vit une importante population musulmane pour que sa religiosité ne s’efface pas en s’intégrant et puisse soutenir la concurrence du modèle moderne européen. Les États, et notamment le premier, l’Espagne à l’initiative de son premier ministre exemple Zapatero, sont censés s’y intégrer et collaborer à ses programmes. On en trouve les effets jusque dans le programme d’histoire de la République française[3].

La laïcité

Le mythe andalou a pour fonction stratégique de bloquer la concurrence de la laïcité en qualifiant sa défense et illustration d’islamophobie. Il y a ici deux modèles concurrents. Le “vivre ensemble” auquel se réfère le modèle andalou est différent de “l’être ensemble”, pourrait-on dire, de la laïcité. Vivre côte à côte (en s’ignorant mutuellement même), ce n’est pas être ensemble dans un même lieu, partager le même cadre de vie (en l’occurrence la nation). La convivance est un mythe proposé à l’Union Européenne pour régler l’existence en son sein des communautés d’immigration de l’islam qui pourraient ainsi se mesurer à la civilisation européenne moderne au nom d’une civilisation brillante et ne pas se réformer pour s’intégrer.

Célébrer l’Andalousie  comme modèle, c’est donc  renverser les valeurs sur le plan de l’intégration des immigrés. Faut-il alors comprendre, si c’est le président qui l’invoque, que le modèle effectif et non constitutionnel de la France n’est pas le centralisme républicain et la laïcité mais la “France des trois religions” et que, dans ce cas-là, le vivre ensemble communautaro-religieux ne relève plus de la citoyenneté individuelle mais d’une co-existence de communautés qui se tournent le dos…  

Dans ce cas, le discours officiel des Juifs institutionnels, qui ne cessent d’en appeler à la République et à l’universel, a quelque chose de pathétique, qui ne correspond plus à la réalité. Les Juifs sont en effet de facto implicitement assimilés à la “communauté” musulmane.

On se rappelle que les socialistes au pouvoir ( notamment Hollande) avaient mis en place un dispositif de gestion du problème de l’islam dans le cadre d’un supposé “dialogue des religions” auquel Juifs et musulmans (puis les chrétiens) furent appelés à prendre part. C’est surtout la “communauté” juive qui comptait dans cette politique : elle était censée la justifier, vu son passé et vue la jalousie concurrentielle qui marque les relations du monde musulman aux Juifs, soupçonnés d’avantages que les musulmans n’auraient pas[4]. L’État dans ce dialogue avait en fait chargé la “communauté juive” de “socialiser” l’islam dans la société française. Ce qui ne manqua pas d’exaspérer les acteurs musulmans auxquels on donnait en exemple les Juifs. L’expression employée dans un de ses discours par Mitterrand vaut toutes les démonstrations. Il y fit référence aux “deux communautés” sans préciser ni définir de quoi il s’agissait. Il y avait donc “deux communautés” dans la République. C’était évident pour tout le monde !

Pour les Juifs c’était une rétrogradation dans l’échelle de la citoyenneté. Pour les musulmans c’était confirmer leur statut de oumma et statuer sur un plan général que les groupes qui constituaient la République devaient communiquer par le biais des religions sous l’égide de l’État qui les convoquait à ces dialogues. Les institutions juives se sont toutes prêtées sans hésiter à ce simulacre. L’existence d’une communauté juive, portant mémoire de la Shoah justifiait désormais l’existence d’une communauté musulmane. La contester, ce serait de l'”islamophobie”, de même que contester la communauté juive, ce serait porter atteinte à la mémoire de la Shoa.

Pour terminer : la cerise sur le gâteau : Macron reconnait l’annexion par le Maroc du Sahara – ce qui n’est un scandale pour personne , ni en Europe, ni à l’ONU ni à La Haye et donc surtout pas en France – alors que “l’occupation” (même pas l’annexion) de la Judée-Samarie l’est aux yeux de la France et des États occidentaux. De qui se moque-t-on ? “Deux poids, deux mesures”, “En même temps” ?

Shmuel Trigano, Professeur émérite des Universités


Notes

[1] Cf. Pardès n°67, 2020, « Le mythe andalou »

[2] Cf « Alliance des civilisations » Controverses n°9, 2008, voir sur site controverses.fr

[3] Cf. Controverses, op.cit. Shmuel Trigano, “L’Espagne des trois religions : les dégâts dans l’Education nationale »

[4] Ce qui témoigne d’une totale ignorance car les musulmans ont échappé à un Sanhédrin napoléonien qui obligea les Juifs à une réforme radicale. Cf Shmuel Trigano, Le Figaro (17 octobre 2024) et Tribune juive : « Le statut de l’islam en France: le temps est venu d’un moment napoléonien »


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