Daniel Sarfati. “Nono”

Si il y a bien quelque chose que je déteste, c’est d’être sollicité avant d’être correctement installé dans mon bureau.

Je n’avais pas enlevé mon blouson, ni allumé mon ordinateur, quand il est entré.

Derrière lui, la secrétaire me faisait de grands gestes de sémaphore, que j’ai traduit par : J’ai rien pu faire, il a insisté pour vous voir.

Avec une pointe acide d’agacement mal contenu, j’ai demandé : C’est pourquoi ? Un résultat de radio ? Une consultation en urgence ?

“Voyons, tu ne me reconnais pas ? Nono. C’est Nono !”

Nono, le fils aîné des meilleurs amis de mes parents.

Plus vieux que moi, il était premier de la classe tout en étant un sportif accompli.

Mon père me le donnait en permanence en exemple, ce qui me l’avait rendu définitivement antipathique.

Les amis de mes parents venaient souvent déjeuner, le dimanche, chez nous et amenaient des gâteaux, puis tout le monde regardait Jacques Martin à la télé, toute une longue après-midi.

Je haïssais les dimanches après-midi.

Et encore plus, quand mes parents m’enjoignaient d’aller jouer au foot, en bas de

notre tour, avec Nono.

J’ai toujours haï le foot.

Nono a fait brillamment médecine, il est devenu cardiologue.

Tu feras médecine comme Nono, m’avaient dit mes parents.

Moi, je voulais aller vivre dans un kibboutz et devenir le futur Arthur Rimbaud. Et ne plus jamais jouer au foot de ma vie.

Nono a vieilli, il est aujourd’hui à la retraite. Cela faisait quarante ans que je ne l’avais pas vu.

Il était resté timidement à l’entrée de mon bureau.

Entre Nono, viens t’asseoir.

Tu dois avoir beaucoup de choses à me raconter.

Nono s’est assis, il a toujours sa grosse tête,

un peu ébouriffée.

“J’avais rendez-vous avec ta collègue ophtalmo et quand j’ai vu ton nom sur le bureau d’à côté, j’ai pensé que c’était peut-être toi…”

Nous n’avions pas grand chose à nous dire, mais a reflué en moi le souvenir de tant de dimanches.

“A l’époque, tu m’exaspérais un peu, Daniel. Mon père te prenait toujours en exemple, pour me faire lire des livres”.

Il y a eu un silence.

Nous pensions à nos pères, des hommes bons qui nous avaient tant aimés.

Nono s’est levé.

“Je suis content de t’avoir retrouvé Daniel, je te laisse bosser.

À propos, tu as vu ce c… de Louis Boyard qui veut interdire le match de foot France-Israël !”

J’ai dit sobrement : Oui, c’est une ordure. Je vais le regarder ce match.

Nono a proposé, un peu hésitant :

“Nous pourrions le regarder ensemble ce match ?”

Oui, viens à la maison Nono.

“J’amènerai des pâtisseries”.

© Daniel Sarfati

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