Tunisie: Vague d’arrestations – Un doctorant français sous mandat de dépôt 

Victor Dupont et Kaïs Saied

Le chercheur, placé sous mandat de dépôt par la justice militaire, est le premier Français non binational à faire les frais de la vague d’arrestations imposée par le régime de Kaïs Saïed.

Pendant plus de dix jours, l’information n’a pas été dévoilée au grand public. Mais à Tunis, les cercles de chercheurs et de journalistes ne parlaient que de cela : Victor Dupont, doctorant à l’Institut de recherches et d’études sur le monde arabe et musulman (Iremam) d’Aix-en-Provence, a été arrêté le 19 octobre dernier. Le Français de 27 ans, qui préparait une thèse sur les diplômés chômeurs, est accusé d’« atteinte à la sécurité de l’État ». Une amie franco-tunisienne a aussi été incarcérée.

Le 19 octobre, Victor Dupont a rendez-vous à 11 h 30 chez lui avec trois amis français pour partir en week-end au cap Bon. « Je lui ai envoyé un message en lui disant de descendre dans la rue car on arrivait, raconte Édouard Matalon, bibliothécaire parisien. Quand je descends du taxi, je vois Victor plaqué contre un mur par 4 ou 5 hommes en civil. Il me crie : “Appelle l’ambassade !” » Édouard Matalon prend le téléphone de l’amie qui l’accompagne mais on le lui arrache aussitôt. Il est arrêté à son tour. Une autre amie, qui attendait dans l’appartement de Victor Dupont, descend dans la rue et se fait également arrêter. Après une perquisition au domicile du jeune sociologue, et plusieurs heures enfermés dans des voitures banalisées, les quatre amis sont emmenés à El Gorjani, siège de la police judiciaire. Ils y passeront la journée. Vers 21 heures, on leur annonce que Victor Dupont est placé en garde à vue. Ses trois camarades sont libérés. 

Le lundi 21, ces derniers retournent à El Gorjani. Là, ils apprennent que Victor Dupont est déféré au tribunal militaire du Kef (au nord-ouest), à une heure de Jendouba où le jeune homme, membre d’un programme scientifique financé par le Conseil européen de la recherche (ERC), faisait son travail de terrain. « C’est totalement exceptionnel qu’un jeune chercheur français puisse être déféré devant la justice militaire » tunisienne, qui traite généralement des atteintes à la sûreté de l’État, a regretté auprès de l’AFP Vincent Geisser, directeur de l’Iremam.
Édouard Matalon et ses deux amies se rendent immédiatement au Kef avec l’avocat. Une fois sur place, l’une des deux jeunes femmes (dont la famille ne souhaite pas révéler l’identité) est arrêtée. Cette Franco-Tunisienne résidant à Paris a été placée sous mandat de dépôt pour des raisons encore inconnues. Ce même jour, Victor Dupont est aussi placé sous mandat de dépôt pour atteinte à la sûreté de l’État. L’instruction est en cours. Selon la loi antiterroriste de 2015, il pourrait effectuer jusqu’à 14 mois de détention préventive.

Sur les conseils de l’ambassade de France, les proches de Victor Dupont n’avaient pas souhaité médiatiser l’affaire. Le Point a brisé ce silence mercredi soir. « Le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères et notre ambassade à Tunis sont en contact étroit avec les autorités tunisiennes à ce sujet », a seulement indiqué à l’AFP le Quai d’Orsay.
Depuis que le président Kaïs Saïed a gelé le Parlement en juillet 2021 puis mis en place un régime présidentialiste, plus d’une centaine de Tunisiens (journalistes, militants, politiques…) ont été incarcérés pour des motifs divers. Si au moins trois Franco-Tunisiens – un ancien ministre et deux journalistes – sont aujourd’hui en prison, Victor Dupont est le premier Français non binational à faire les frais de cette justice façonnée par Kaïs Saïed, réélu le 6 octobre dernier.
Ces derniers mois, au moins deux autres affaires ont été ouvertes contre des Européens – dont un journaliste -, libres mais interdits de quitter le territoire tunisien. « Le fait de ne pas médiatiser ce type d’affaires n’a pas prouvé son efficacité. Cela donne l’impression que les services consulaires se couchent face à des actes injustes », estime un chercheur français. 

Quel est l’objectif des autorités tunisiennes ? « Elles envoient des messages, analyse un chercheur tunisien. Aux chercheurs et aux journalistes, elles montrent que personne n’est à l’abri. À la France, elles rappellent que la Tunisie est souveraine et qu’elle fait ce qu’elle veut. » Tunis, rappelle-t-il, tente par ailleurs de se rapprocher de l’Iran, de la Chine et de la Russie.

© Maryline Dumas

Source : Le Figaro

https://www.lefigaro.fr/international/quand-je

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