Lundi 4 novembre s’ouvre le procès de huit personnes, accusées d’être liées à l’assassinat du professeur. Parmi elles, Brahim Chnina, le père de la collégienne qui a menti au sujet du cours de Samuel Paty, et le militant islamiste Abdelhakim Sefrioui.
Un tableau en deux colonnes, les « pour » et les « contre », « être ou ne pas être Charlie »
Une couverture du journal satirique Charlie Hebdo, des caricatures du prophète Mahomet et des questions ouvertes sur la liberté d’expression et le respect de la religion. Voilà quelques-unes des diapositives projetées aux classes de quatrième lors du cours dispensé à deux reprises par Samuel Paty, les 5 et 6 octobre 2020, dans le cadre de la formation d’éducation morale et civique qu’il enseignait en sa qualité de professeur d’histoire-géographie au collège du Bois-d’Aulne, à Conflans-Sainte-Honorine, dans les Yvelines.
C’est avec ce cours que tout a commencé, que la toile du mensonge s’est tissée, qu’elle s’est étendue, jusqu’à l’impensable, la décapitation d’un professeur.
Lundi 5 octobre 2020. Samuel Paty donne cours à deux classes de quatrième, un premier intitulé « Situation de dilemme : être ou ne pas être Charlie » le matin, puis un autre : « Étude de situation, la liberté de la presse », l’après-midi. Si le professeur a montré les caricatures le matin, il n’en est pas encore question l’après-midi. À la fin de l’heure, Samuel Paty prévient simplement ses élèves qu’il compte, le lendemain, leur montrer une image, explique qu’elle pourrait en choquer certains et qu’ils seront autorisés à sortir ou à détourner les yeux s’ils le souhaitent. Quand il prononce ces mots, cela fait déjà plusieurs minutes que Zohra*, 13 ans, a été exclue de la classe.
Arrivée dans le bureau de la vie scolaire, l’élève se garde de dire que ce sont ses bavardages incessants qui ont lui ont valu d’être exclue. À la surveillante qui la reçoit, elle assure se sentir mal et avoir de la température. Le thermomètre affiche 36,2 °C. Zohra est invitée à se passer de l’eau sur le visage et à retourner en classe. Elle est d’ailleurs notée présente au cours suivant. Le 6 octobre, comme prévu, Samuel Paty fait son cours et montre pour la deuxième fois, à la deuxième classe de quatrième, celle de Zohra donc, les caricatures du prophète. La jeune fille, elle, est absente pour cause de « maladie », sans avoir fourni de certificat médical.
Un premier mensonge
Le lendemain, le 7, la principale du collège a déjà prévu de recevoir la mère de Zohra pour évoquer les problèmes de discipline de sa fille, mentionner ses douze heures de colle non effectuées et la prévenir qu’elle compte, pour ces raisons, l’exclure pendant deux jours les 13 et 14 octobre. Mais au dernier moment, la mère de famille annule le rendez-vous. La sanction est alors mise en ligne sur l’espace numérique de travail de Zohra et fait aussi l’objet d’un envoi par courrier et SMS aux parents.
Depuis le 5 octobre, la principale reçoit en parallèle plusieurs appels de parents furieux à propos du cours dispensé par Samuel Paty. Certains élèves se sont sentis offusqués par la projection des caricatures, d’autres auraient mal interprété les propos de leur professeur et se seraient sentis « discriminés » en raison de leur religion. Un parent d’élève accuse Samuel Paty d’avoir demandé aux élèves musulmans de se signaler afin de quitter la classe. « À ce stade et afin d’apaiser les choses, il me paraît judicieux de revenir sur ce qu’il s’est passé avec vos élèves afin de préciser vos propos et peut-être leur dire que vous êtes désolé s’il y a eu une incompréhension », suggère la principale à Samuel Paty dans un e-mail envoyé le 7 octobre. L’enseignant s’exécute. La situation se calme.
Mais le 8 octobre au matin, la mère de Zohra débarque enragée au collège. Auprès de la principale – qui n’a pas encore l’information selon laquelle Zohra était absente le 6 octobre –, la mère se dit choquée qu’un professeur ait montré le prophète nu et demandé aux élèves musulmans de quitter la classe. Elle reproche aussi à la principale d’avoir exclu sa fille car celle-ci aurait, selon ses dires, « refusé de quitter le cours de M. Paty ». La principale tente de montrer le récapitulatif des incidents liés au comportement de sa fille depuis le début de l’année et d’expliquer que c’est la seule et unique raison qui a conduit à son exclusion temporaire. La mère, qui n’écoute pas, prévient d’un ton menaçant que c’est « son mari » qui reviendra pour « régler ça ».
La récupération d’Abdelhakim Sefrioui, militant islamiste
Deux heures plus tard, Brahim Chnina, le père de Zohra, arrive au collège accompagné d’un certain Abdelhakim Sefrioui, qui se présente comme un représentant des imams de France. Il s’agit en réalité d’un militant appartenant à la mouvance islamiste radicale proche de l’idéologie des Frères musulmans et du Hamas. Il est notamment le fondateur d’un collectif appelé « Cheikh Yassine », dont le nom fait référence à Ahmed Yassine, frériste et fondateur du Hamas.
‘est que la veille au soir, Brahim Chnina s’est mis à envoyer frénétiquement de nombreux messages à des dizaines de personnes de son répertoire. « Incroyable mais vrai et ça vous concerne tous et toutes : ce matin, le prof d’histoire de ma fille en quatrième demande à toute la classe que les élèves musulmans lèvent la main. Ensuite, il leur dit de sortir, car il va diffuser une image qui va les choquer.
Certains sortent et d’autres refusent, dont ma fille. Ensuite, ce professeur diffuse l’image de notre cher bien aimé prophète tout nu. C’est une honte de la part d’un professeur qui apprend l’histoire à nos/vos enfants. Pour ma part, je ne laisse pas passer, demain je vais aller voir le directeur, car ma fille est exclue deux jours. Si vous n’êtes pas d’accord avec ça, vous pouvez écrire un courrier pour virer ce malade », peut-on lire. Il ajoute, à la fin, le nom et le téléphone portable de Samuel Paty.
Ce message ne tarde pas à arriver entre les mains d’Abdelhakim Sefrioui. À minuit, il contacte Brahim Chnina sur WhatsApp : « C’est très grave ce qu’il s’est passé, il faut absolument qu’on agisse. » Le lendemain, les deux hommes, qui ne se connaissent pas, se retrouvent devant le collège et demandent à être reçus par la principale. Une fois dans le bureau, le ton monte, Samuel Paty est traité de « voyou » à plusieurs reprises tandis que les deux hommes réclament sa mise à pied. Une fois à l’extérieur, Abdelhakim Sefrioui fait venir la fille de Brahim Chnina, lui demande de raconter ce qui est arrivé tout en la filmant avec son téléphone.
Plainte et menaces
Inquiète, la principale du collège adresse un e-mail à Samuel Paty pour l’informer qu’un père de famille est venu au collège, menaçant de faire venir « des musulmans pour manifester » et de « prévenir la presse ». Elle indique également avoir prévenu le directeur des Services départementaux de l’Éducation nationale. Samuel Paty répond qu’il trouve cela d’autant plus « affligeant » que Zohra n’a pas assisté à son cours.
À 19 h 39, ce 8 octobre, Brahim Chnina diffuse sur YouTube une vidéo intitulée « Touche pas à mes enfants », dans laquelle il dénonce les prétendus agissements du « voyou » qui « ne doit pas rester dans l’Éducation nationale ». Une heure plus tard, il emmène sa fille au commissariat pour déposer une plainte contre Samuel Paty pour diffusion d’image pédopornographique à un mineur. Devant les policiers, Zohra répète avoir assisté au cours du professeur d’histoire durant lequel il aurait demandé aux élèves musulmans de sortir, car ils allaient être « choqués », puisqu’il avait diffusé l’image du prophète nu.
Zohra assure avoir dit au professeur qu’il ne devait pas « montrer cela », lequel lui aurait rétorqué « du balai, tu perturbes trop mon cours », ce qui aurait, toujours selon son récit, conduit à son exclusion de deux jours. Aux enquêteurs, l’adolescente se dit « choquée et stressée ».
Dans le week-end, alors que la vidéo de Brahim Chnina accumule de plus en plus de « vues », Abdelhakim Sefrioui en poste à son tour une sur son compte YouTube, intitulée « L’islam et le prophète insultés dans un collège public, le vrai séparatisme ». On y retrouve les interventions de Zohra et de Brahim Chnina.
Un appel à la mobilisation contre l’enseignant est lancé. Lundi 12 octobre, face à l’ampleur que prend la situation, une assemblée générale est organisée au collège du Bois-d’Aulne, en présence de l’inspecteur d’académie. Samuel Paty, qui pense encore régler les choses de manière rationnelle, a adressé la veille un long courrier à ses collègues pour expliquer la façon dont il avait fait cours, les événements qui se sont ensuivis et comment ils avaient été traités. Dans cet e-mail, le professeur indique aussi faire l’objet de menaces de la part « d’islamistes locaux ».
« Je n’ai pas peur d’un papa, mais on ne sait jamais«
Bien que voulant faire bonne figure, les collègues de Samuel Paty le trouvent particulièrement stressé. Après l’assemblée générale, il demande à l’un d’eux de le déposer en voiture à son domicile. À une autre, qui l’avance en voiture, il déclare « je n’ai pas peur d’un papa, mais on ne sait jamais ». Dans son cahier, on retrouvera ces notes : « demander à Guillaume de m’escorter ».
En plus de son masque sanitaire, Samuel Paty couvre son visage d’une écharpe, se met à porter des lunettes de soleil et un bonnet, pour ne pas qu’on le reconnaisse. Le 13 octobre, alors qu’il est convoqué par les policiers dans le cadre de la plainte déposée par Brahim Chnina, Samuel Paty porte à son tour plainte pour « diffamation » et fait mention des nombreuses menaces qu’il subit. La principale, qui l’a accompagné, précise que, dans leurs vidéos, Chnina et Sefrioui désignent clairement le collège, qui reçoit depuis courriers et appels téléphoniques virulents, voire menaçants, exigeant des sanctions disciplinaires contre Samuel Paty, sous peine de s’en prendre à lui physiquement.
Entre-temps, une certaine Priscilla Mangel, une Nîmoise de 34 ans convertie à l’islam, est entrée en contact avec Abdoullakh Anzorov, un jeune de 18 ans, originaire de Tchétchénie, habitant la commune d’Évreux, dans l’Eure. Ayant toujours évolué dans une grande violence, Anzorov s’est radicalisé à l’été 2020 et cherche à tout prix un projet d’action violente. Priscilla Mangel le lui aurait livré en lui envoyant le lien de la vidéo de Brahim Chnina. Après avoir visionné la vidéo, il fait de Samuel Paty sa cible et va tout mettre en œuvre pour localiser le collège du Bois-d’Aulne, identifier le professeur et trouver des armes.
Le vendredi 16 octobre est le jour des vacances de la Toussaint. Samuel Paty confie espérer qu’elles calment « les événements ». Au déjeuner, les enseignants trouvent leur collègue « absent », « préoccupé », « sur une autre planète ». Un peu avant 17 heures, une enseignante le voit quitter l’établissement en enfonçant nerveusement sa capuche sur sa tête et prendre la direction de son domicile. Cette collègue le surveille sur les caméras de vidéosurveillance, jusqu’à le perdre de vue. Trois cents mètres plus loin, Abdoullakh Anzorov, entièrement vêtu de noir, lui saute dessus, l’attrape à la gorge et lui coupe la tête. Il sera neutralisé par des policiers quelques minutes plus tard. Dans le sac de Samuel Paty, les policiers retrouveront un marteau.
Un comportement « agité et insolent«
Le lendemain, Brahim Chnina et Albdelkarim Sefrioui seront tous deux interpellés, après avoir eu le temps d’effacer leurs échanges de leurs téléphones portables. Ils font partie des huit accusés renvoyés devant la cour d’assises spécialement composée de Paris, dont le procès doit s’ouvrir ce lundi 4 novembre. À leurs côtés se trouveront Priscilla Mangel et deux proches de l’assaillant, qui l’ont aidé à se procurer des armes. Doivent aussi comparaître trois autres hommes. L’un d’eux est accusé d’avoir publié le message de revendication d’Anzorov après l’attentat. Il est notamment reproché aux deux derniers d’avoir conforté le terroriste dans son projet d’action violente dans les semaines ayant précédé l’attaque.
Quant à Zohra, la fille de Brahim Chnina, celle par qui tout a commencé, elle finira par avouer avoir menti et n’avoir jamais assisté au cours du 6 octobre. Pendant l’enquête, elle reconnaîtra aussi que Samuel Paty ne lui a jamais donné la moindre punition ou retenue au cours de l’année. Elle expliquera avoir voulu « couvrir son exclusion » en dénonçant faussement à ses parents le prétendu comportement de son professeur d’histoire. Au sujet du cours auquel elle a en partie assisté le 5 octobre, elle admettra qu’il n’avait pas été question de Charlie Hebdo et avoir été « agitée et insolente », raison pour laquelle M. Paty lui avait demandé de quitter son cours.
S’agissant du cours auquel elle n’a pas assisté, elle ajoutera : « Ça s’est vraiment passé, sauf que j’étais pas là. J’ai menti en ce sens en disant que j’étais là et rajouté des choses, mais il a vraiment montré la caricature. » Elle ajoutera avoir préféré dire qu’elle était malade plutôt qu’admettre son exclusion à la vie scolaire et avouera que le professeur n’a jamais demandé aux musulmans de se signaler. En décembre 2023, la jeune fille a été condamnée à dix-huit mois de sursis probatoire pour dénonciation calomnieuse. L’heure est au procès des adultes.
*Le prénom a été modifié
© Valentine Arama
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