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”À défaut d’être reconnu dans son propre pays, Emmanuel Macron cherche une planche de salut à l’international, réservant ses piques à Israël, à propos de Gaza ou Beyrouth, quitte à se placer en marge de ses homologues occidentaux.”
”Il n’écrit pas l’Histoire de France, il écrit sa propre histoire”, rapporte un ex-confident.”
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Le chef de l’État étrenne dans la douleur ses habits neufs de président sans pouvoir. Mais en laissant les commandes à Michel Barnier, il se dégage du temps pour préparer la suite…
Par Mathilde Siraud – Le Point
Le gratin du patronat français reçu à la présidence. Cela faisait bien longtemps que le chef de l’État n’avait pris soin de convier les dirigeants du CAC 40 à sa table. Le palais de l’Élysée étant encombré des installations de l’exposition du « Fabriqué en France », c’est à l’hôtel de Marigny que le déjeuner aura lieu, vendredi 25 octobre. Laurent Burelle (OPmobility, ex-Plastic Omnium), Alexandre Bompard (Carrefour), Rodolphe Saadé (CMA CGM)…
Alors que le Parlement débat d’un budget qui promet d’augmenter les taxes pour les entreprises, il n’est pas inutile, en ces temps troublés, de leur faire montre d’un peu de considération.
Les représentants des grands groupes tricolores sont par ailleurs comme les Français : depuis la dissolution, beaucoup ont changé de regard sur le président. Eux lui en veulent d’autant plus que le gouvernement et cette nouvelle Assemblée issue des urnes menacent d’enterrer la politique de l’offre par une remise en question de la stabilité fiscale, marque d’Emmanuel Macron depuis 2017, saluée dans le monde économique.
Surtaxe de l’impôt sur les sociétés, diminution de l’allègement de charges sur les bas salaires, taxe exceptionnelle sur les dividendes, rétablissement d’un impôt de production… « Comme du temps de Hollande, le French bashing est de retour », s’alarme un dirigeant de premier plan. « C’est sept ans de Choose France rayés d’un trait de plume ! » s’emporte un autre, inquiet du climat des affaires, fortement perturbé par l’instabilité politique.
“Il vit dans un monde parallèle !“
Attablé avec la fine fleur du capitalisme français, le président, accompagné de son secrétaire général Alexis Kohler, s’échine donc à défendre son bilan et les « macronomics », selon la formule en vogue à l’Élysée. De quoi susciter une certaine nostalgie chez ses interlocuteurs ? « Il essaie de rassurer les entreprises. Il fait croire qu’il a la main, que tout va bien. Il vit dans un monde parallèle ! » narre-t-on dans l’entourage d’un patron.
Ce budget, faut-il le rappeler, n’est pas le sien. Inutile, donc, de s’appesantir. « Si on massacre l’outil de production, c’est certain qu’à la fin c’est le retour du chômage. Donc, on n’est pas ravis », lâche, dans un euphémisme, un conseiller élyséen. Seulement voilà, Emmanuel Macron a beau essayer de se tenir le plus possible éloigné de la scène politique intérieure, chacun a bien en tête qu’il est l’unique responsable de la situation. Et qu’on n’a pas fini de payer les conséquences de son « acte d’abdication » du 9 juin, selon le terme très à propos de l’un de ses vieux compagnons de route.
Cinq mois ont passé et, jusqu’à l’Élysée, on peine à voir les effets bénéfiques de la dissolution, encore aujourd’hui source de guerres intestines entre les différentes ailes du Palais. « Moi, je n’ai toujours pas compris. Ils ont joué avec le feu », nous dit un stratège, désignant ses collègues « pro-dissolution », ceux qui ont encouragé le président à activer l’article 12 de la Constitution au soir des européennes.
« La dissolution, pensée dans l’objectif de 2027, est un geste sacrificiel.
Elle a simplement déplu à une bourgeoisie élitaire pour qui le suffrage universel est le mal français », tempête en retour l’un d’entre eux.
Emmanuel Macron lui-même continue de se justifier avec un invariable argument : une censure à l’automne sur le budget était inévitable, il fallait prendre les devants. Un peu court, pensent nombre de ses visiteurs.
L’inventeur du « en même temps » se rassure comme il peut devant l’étendue des dégâts qu’il a causés : la droite a explosé, la gauche reste l’otage de Jean-Luc Mélenchon, le RN a une fois de plus montré ses faiblesses et aura du mal à censurer Michel Barnier tant qu’il plaît à l’électorat de droite et de centre droit que convoite Marine Le Pen.
« Le président reste donc au milieu du jeu. La mort lente aurait été de continuer avec sa majorité dégradée », veut croire l’un de ses collaborateurs.
Feu Jupiter
À quoi ressemble la nouvelle vie d’un président sans pouvoir ? « Même s’il dit que tout va bien, c’est très difficile », souffle-t-on autour de lui. Depuis sept ans, pas une réunion interministérielle ne pouvait se tenir sans la participation d’un conseiller de l’Élysée, présent systématiquement pour rappeler le dogme macronien. C’est terminé.
Bien sûr, il y a les Affaires étrangères, le domaine réservé dont il ne veut pas céder un centimètre à Michel Barnier, fût-il ancien ministre des Affaires étrangères. Le nouveau Premier ministre l’a découvert à ses dépens, et a pu mesurer le niveau de susceptibilité du président quand il a évoqué le « domaine partagé ». On ne l’y reprendra plus. Les nominations requièrent toujours l’imprimatur suprême, au risque de déclencher des négociations serrées avec Matignon et Beauvau.
De grands événements et commémorations sont à venir, dont la réouverture de la cathédrale Notre-Dame en grande pompe début décembre. Mais feu Jupiter, pour qui le verbe « déléguer » ne faisait pas partie de son vocabulaire, prend conscience que tout lui échappe.
Et Macron n’a rien d’un contemplatif. Ni cohabitation ni coalition, la configuration reste confuse et tout est à inventer. “Nous sommes dans un troisième type de Ve République, il y a des continents à explorer, philosophe un stratège du Palais. En soixante jours, on a remis en question soixante ans de vie politique”.
Inévitable démission ?
Il n’y a que Sébastien Lecornu (Armées) et Rachida Dati (Culture) qu’Emmanuel Macron a plaisir à retrouver à la table du Conseil des ministres. Signe que les temps ont changé, le président éprouve le besoin de consacrer du temps aux siens, multiplie les conciliabules avec les historiques, de Stanislas Guerini à Olivier Dussopt.
En visite au Canada fin septembre, il a beaucoup parlé avec Roland Lescure. Au dîner d’État organisé en l’honneur du roi des Belges, Clément Beaune, battu aux législatives, et Gérald Darmanin étaient de la partie. Au Maroc, il a invité ses ex-ministres Nadia Hai et Sarah El Haïry, qui ont perdu leur mandat à la suite de la dissolution. Des marques de considération qui n’existaient pas jusqu’ici.
À un ami qui s’aventurait à prendre des nouvelles, la réponse fut celle-ci :
« On s’accroche. » Dans la bouche d’un incorrigible optimiste, cela signifie : « Ça tangue très fort. » Alors le solitaire de l’Élysée sonde, demande à ce qu’on lui raconte ce qui se passe, au parti, au groupe. Il veut tout savoir, exige des notes, des impressions. « Le gouvernement sera-t-il censuré ? » interroge-t-il. Ses nouveaux ministres l’intriguent. « Tu connais Armand ? Tu connais Genetet ? » questionne-t-il.
Son niveau de popularité au plus bas, le voilà qui dispute avec Éric Zemmour et Jean-Luc Mélenchon le titre de personnalité politique la plus rejetée des Français. Son nom est hué lors de la cérémonie du Conseil représentatif des institutions juives de France pour le 7 Octobre – et il l’a très mal pris –, il est désigné coupable de la crise des finances publiques – tandis que Bruno Le Maire n’a d’autre choix, pour s’en sortir, que de l’accuser – qui précipite l’inventaire de son septennat.
Le budget, ficelé dans l’urgence, pourrait mettre en péril l’attractivité, l’un des seuls acquis de son magistère. Cela fait bien longtemps qu’il ne peut plus compter sur son camp pour le défendre : ses ex-ministres et Premiers ministres se lâchent dans des livres, laissant entrevoir un portrait peu flatteur de son personnage. Avec, souvent, cette même conclusion : il faut moins de pouvoirs concentrés dans les mains d’un même homme…
Il est de bon ton, dans les dîners en ville, de verser dans l’antimacronisme primaire, de palabrer sur la crise de régime et sur son inévitable démission avant 2027. « Ça cogne », confesse l’un de ses fidèles. Au moment des législatives, une seule candidate macroniste avait consenti à mettre sa photo sur son affiche de campagne – à côté de celle de Gabriel Attal.
Lequel Gabriel Attal, non content d’avoir décroché la présidence du groupe à l’Assemblée, s’apprête à récupérer le parti présidentiel, sans cacher sa volonté d’en faire une écurie pour la course à l’Élysée. Emmanuel Macron aurait préféré y envoyer son grognard Julien Denormandie, un historique, un vrai de vrai, fidèle et loyal. « Voir son parti dans les mains d’Attal, c’est la goutte d’eau pour lui », constate un ex-ministre.
“La bête est fatiguée”
D’ailleurs, Attal ne l’a pas, pas plus qu’Édouard Philippe, prévenu qu’il se placerait dès cette rentrée sur la ligne de départ pour sa succession. « Dans la hiérarchie de la haine, Attal vient de prendre la première place ! » ricane un habitué de l’Élysée. Signe supplémentaire de l’influence prématurément déclinante d’Emmanuel Macron sur les siens : son incapacité à retarder le congrès du parti, qui se tiendra bien cet automne.
Lui a-t-on rappelé qu’à partir de 2005 plus personne ne rendait visite à Jacques Chirac ? Ambiance… crépusculaire. Le macronisme – voire le bloc central – court le risque de disparaître de manière précoce, menacé par le retour du clivage droite-gauche. Au Château, ceux qui sont partis ou en passe de l’être ne seront probablement pas systématiquement remplacés. Même les plus zélés ne jurent plus rester jusqu’à la fin. Ah, l’ingratitude…
L’opération « clarification » de la dissolution a fonctionné : le chef de l’État aura tôt fait de compter les amis qui lui restent ! De quoi alimenter le récit d’un président au bord de la déprime. Ce que ses proches ne démentent pas totalement. « C’est sûr que tu sens un peu plus que la bête est fatiguée », rapporte un visiteur régulier. Même l’intéressé, en petit comité, laisse poindre le ressentiment. « Si j’étais sentimental, je me serais déjà suicidé ! »
“Spectateur impuissant”
Le résultat d’une succession d’erreurs, une lente descente aux enfers qui fait qu’il se retrouve de plus en plus empêché. Le péché originel de la campagne présidentielle de 2022, d’abord, qu’il n’a pas menée, sur fond de guerre en Ukraine. Un passage à vide sitôt réélu, trop de temps passé à tergiverser pour nommer Élisabeth Borne alors qu’il avait choisi Catherine Vautrin, un gouvernement formé tardivement, des législatives perdues.
Au lieu de créer les conditions d’une coalition pour gouverner et former une majorité, il a continué d’exercer le pouvoir comme avant. Après l’épreuve des retraites et de la loi immigration, il a limogé Élisabeth Borne pour la remplacer par Gabriel Attal, qui ne pouvait éviter le crash annoncé des européennes. « S’il avait pactisé avec Les Républicains en 2022, il aurait la majorité absolue aujourd’hui, peste un haut gradé. Au lieu de quoi, Michel Barnier éteint un à un les boutons de sa politique. Il y assiste comme spectateur impuissant. »
Comment reprendre la main pour ne pas subir, genou à terre, le dernier quart de ses dix années au pouvoir ? Peut-il renouer avec le fil qu’il a lui-même perdu ? La lassitude et l’impopularité sont le lot des présidents en fin de vie, et Emmanuel Macron n’échappe pas à la malédiction des seconds mandats, le réconforte son cercle rapproché. « On verra bien quand ceux qui vous ont tant critiqué se retrouveront face à Poutine ! » console l’un, certain que le chef de l’État bénéficiera du “phénomène
“y a que ça””.
Comprendre : le personnel politique n’ayant jamais été aussi faible, les Français finiront par réévaluer le fondateur d’En marche ! à la hausse.
À défaut d’être reconnu dans son propre pays, Emmanuel Macron cherche une planche de salut à l’international, réservant ses piques à Israël, à propos de Gaza ou Beyrouth, quitte à se placer en marge de ses homologues occidentaux.
Revenir en 2032 ?
Laisser les commandes à Michel Barnier présente toutefois l’avantage de lui dégager le temps de se projeter et de préparer la suite. Ceux qui connaissent intimement l’ancien banquier d’affaires sont persuadés qu’il n’aura qu’un objectif une fois qu’il aura quitté la scène : celui de revenir… en 2032. « Sarkozy, Hollande… Aucun n’a réussi son retour. Il va donc vouloir créer l’exploit. C’est ce qui le fait tenir. Il n’écrit pas l’Histoire de France, il écrit sa propre histoire », rapporte un ex-confident.
Emmanuel Macron ne rappelle-t-il pas fréquemment qu’il a été « mieux réélu que de Gaulle », comme pour souligner sa propre performance ?
Il faudra, pour ce faire, calmer progressivement l’agressivité dont il fait l’objet. Sur ce plan, ses proches se livrent à une féroce lutte d’influence : faut-il rester en retrait, se taire en se contentant d’« inaugurer les chrysanthèmes et accueillir le roi de Micronésie », selon la formule un brin ironique d’un connaisseur du Palais ? Ou bien repartir sur le terrain, revenir dans la mêlée ? « Il n’a pas encore trouvé l’angle, sur l’international ou le national. Donc, pour le moment, il fait du classique », observe un ex-ministre.
Les plus anciens l’invitent à « chausser les bottes mitterrandiennes ».
Sous-entendu : se rétablir dans l’opinion en refusant de signer certaines ordonnances, en marquant habilement sa différence avec le gouvernement et en gagnant des points par contraste. N’a-t-il pas commencé à faire passer des messages sur la hausse des impôts et l’augmentation du coût du travail, ciblant sans le nommer le gouvernement, qui « pense qu’on règle les problèmes de déficit public en revenant totalement sur une cohérence de politique macroéconomique » ?
Des critiques jusqu’ici peu audibles. « Il veut être la valeur refuge, livre un soutien. Susciter le regret, réhabiliter son bilan et non pas partir avec le goudron et les plumes. ». La stratégie à suivre est toujours en débat en haut lieu. Est-ce que l’abstinence totale ressuscite l’envie ? Au contraire, le fait de ne pas être visible ne génère-t-il pas une déconnexion irrémédiable ?
Après tout, les Français ne rejettent pas complètement le libéralisme économique et le dépassement politique qui ont fait son succès en 2017.
Il faudra bien repartir au combat. D’où les messages cryptiques que le chef de l’État bombarde aux siens : « Je vais avoir besoin de guerriers » ;
“Il me faut du monde partout” ; “Mobilise nos gars et les militants”.
Pour quoi faire ? Les destinataires acquiescent, sans toujours percevoir le sens de ces injonctions tous azimuts.
Par Mathilde Siraud – Le Point
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