Les non-dits du 7-Octobre: Clara Ekberg a lu “Les non-dits d’un conflit” de Daniel Sibony

Daniel Sibony publie « Les non-dits d’un conflit » et révèle l’indicible dans le conflit qui fait actuellement rage au Proche-Orient

Le titre du petit essai du philosophe Daniel Sibony nous dit bien que quelque chose – voire plusieurs choses – ne veut pas apparaître au grand jour, et qu’on préfère s’en tenir à l’aspect strictement politique, concernant le conflit actuel au Moyen-Orient…

Comment expliquer la monstruosité du 7-Octobre ? Daniel Sibony s’appuie sur l’histoire et sur les textes bibliques et coraniques, sans compter la charte du Hamas, pour montrer que ce qui se joue, et que l’Occident en particulier ne veut pas voir, concerne une haine vieille de 13 siècles. N’hésitant pas à parler de plagiat pour qualifier le Coran, il dévoile ce qu’on pourrait appeler le complexe du cadet qui veut prendre la place du premier. Ainsi, Isamaël prend celle d’Isaac dans le texte sacré de l’islam, oubliant, par ailleurs, qu’à celui-ci, dans la Bible, est dévolu un grand destin qui fera de lui également le père d’une grande nation. De la même façon, les deux mosquées de l’esplanade du même nom furent construites à l’emplacement exact du premier temple des juifs. Recouvrir l’origine, se substituer à elle jusqu’à effacer le texte premier et ceux qui vont avec. Car il ne suffit pas que les juifs n’existent plus, il faut, de surcroît, qu’ils n’aient jamais existé. Ils ne sont pas le peuple élu, Dieu les a maudits (Allah, peut-être, Yahvé, non, malgré toutes les remontrances). Les juifs ont falsifié leur texte, se seraient donné le beau rôle, alors que le vrai peuple de Dieu était encore à venir… Daniel Sibony souligne les problèmes logiques, voire les aberrations de tels procédés : « L’inversion chronologique et le déni qui l’accompagne sont cautionnés par assez de fidèles pour imposer cette croyance qu’un texte écrit au VIIème siècle de notre ère précède un texte écrit au VIIème siècle avant notre ère. »

Cause et conséquences

C’est cette haine qui empêche, selon l’auteur, la résolution du conflit israélo-palestinien. La cause palestinienne est recouverte depuis longtemps par la guerre sainte, dite encore djihad islamique : «  La cause palestinienne s’exporte au dehors comme un effort de libération nationale ou contre le colonialisme, et se pratique au dedans comme le djihad contre les juifs. » Il faut bien observer que le Hamas n’a pas réclamé un instant, lors du 7-Octobre ou après, le retrait des « colons » de Cisjordanie. Et, à propos de la supposée colonisation, l’auteur pose par ailleurs la question suivante : «  Mais Israël serait la colonie de quel État ? » Les Palestiniens lui semblent pris dans un étau ; comme s’ils devaient, étant géographiquement à l’avant-garde, endosser le rôle de l’éradicateur d’un peuple qui n’aurait aucune raison d’être là. Ce serait-là leur malédiction, laquelle renverrait aux calendes grecques toute espérance d’un État où ils pourraient enfin vivre en paix. Quant à l’argument selon lequel les juifs n’auraient rien à faire dans cette partie du monde, Daniel Sibony rappelle l’histoire qui les y a trouvés depuis des millénaires et la dimension symbolique véhiculée par leur texte. Et, à propos de texte justement, il interroge la situation des musulmans qui disent sincèrement que « ces violences n’ont rien à voir avec l’islam, alors que leur texte regorge d’attaques contre les gens du Livre. Cette contradiction condamne au clivagou encore au double discours ». Il dénonce également les propos des belles âmes quand il rapporte les propos d’Annie Ernaux : « Ce que je veux [Annie Ernaux], c’est qu’on laisse tranquille la religion musulmane. » Daniel Sibony lui fait remarquer qu’« elle ignore que lareligion musulmane ne laisse pas tranquilles les autres puisqu’elle ne cesse de parler d’eux pour les maudire »… Le 7-Octobre apparaît comme l’acmé d’un processus vieux de 13 siècles, le moment où la haine s’est exprimée de manière paroxystique. Les inversions accusatoires, déjà à l’œuvre depuis un bon moment, ont été reprises en chœur à partir de la riposte israélienne, en Occident en particulier : les juifs devenus les nouveaux nazis, les Palestiniens, exposés par le Hamas, les nouveaux juifs, le génocide invoqué pour parfaire la donne… Ce sont toutes ces inversions et distorsions que le philosophe et psychanalyste analyse. Depuis le temps qu’il dit et répète que : « l’origine de la haine, c’est la haine de l’origine »,il serait temps de l’entendre lorsqu’il pose cette question essentielle : comment faire pour « cesser de transmettre la violence envers les autres quand elle est inscrite dans un texte sacré ? »

Les non-dits d’un conflit de Daniel Sibony (Éditions Intervalles, 2024), 203 pages

Les non-dits d’un conflit: Le Proche-Orient après le 7 octobre

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